« Quiconque tient l'histoire d'un peuple tient son âme, mais quiconque tient la spiritualité d'un peuple le contraint à vivre sous le joug d'une servitude éternelle. »

Cheikh Anta DIOP
Categories: Lu pour vous

Au nom de notre foi : Réconciliation-purification ou la valse d’un réconciliateur mal inspiré

Le pauvre Banny, on le voit porter le souci de réconcilier les Ivoiriens. Que ne fait-il pas pour prouver aux Ivoiriens sa bonne foi de réconciliateur devant l’Eternel ! Voyages planétaire, national, régional, espoir en la CAN 2012, purification et mois de purification, agenouillement devant caméras et micros et une foule hystérique…Tout y passe. Mais visiblement, on voit notre Banny courir, courir et courir. Peut-être essoufflé, se met-il à genou pour souffler un bon coup ! Pour qui court-il donc ? Certainement pour les Ivoiriens. L’intention n’est jamais mauvaise. Elle est même toujours bonne. Par contre, ce qui semble mauvais, c’est certainement la manière de courir. Banny court pour ne récolter que des miettes. J’allais même dire plus il court, plus le fossé de la haine et de la division s’accroît davantage entre les Ivoiriens. Plus il court et se met à genou, plus la réconciliation lui échappe comme une anguille. La mayonnaise ne prend pas. Le problème de Banny, c’est de croire que la réconciliation entre les Ivoiriens, dans l’état actuel de la crise peut se faire selon sa volonté et son désir à lui et bien entendu contre ceux de ceux qu’il veut forcément réconcilier et aujourd’hui purifier. Pire, étant du côté des vainqueurs, il fait la même lecture de la réconciliation qu’eux ; lecture du reste biaisée. Eux, veulent une réconciliation taillée et cousue sur mesure pour leur permettre de régner et de «rattraper» tranquillement. Dans cet élan, il oublie l’essentiel. Ou alors, il joue au cache-cache avec les Ivoiriens. Il me semble, à l’évidence, qu’il n’a pas assez de courage pour dire clairement à ses mandataires et alliés que dès le départ, la base de la réconciliation était fausse. La pierre sur laquelle il devrait construire sa réconciliation était fortement perforée donc endommagée. En plus, les actes que posent ses mandataires et alliés ne sont pas des actes de réconciliation, mais des actes qui divisent et compliquent davantage son travail. Quand il reste coi devant la déportation de Laurent Gbagbo, la politique de «rattrapage» ethnique, le licenciement abusif et ethnique des travailleurs, le gel des avoirs, les mandats d’arrêt internationaux, les exactions des FRCI, qu’est-ce qu’il attend des Ivoiriens ? Je suis convaincu que Banny sait aujourd’hui et même depuis toujours, en son âme et conscience, ce qu’il doit faire pour que la «réconciliation» et la «purification» soient des réalités ici dans notre pays. Cela est bien loin de tout le folklore sans originalité qu’on sert quotidiennement aux Ivoiriens pour tendre la main aux bailleurs de fonds de plus en plus regardants. En trichant par des actes qui n’ont rien à voir avec la réconciliation, il rend d’office inutile et caduque sa mission. D’ailleurs, beaucoup disent qu’il peut même se rouler et se dérouler à terre, sa réconciliation ne les intéresse point tant qu’elle est organisée de cette façon. Qu’est-ce qu’un mois de purification vient chercher dans un processus de réconciliation qui n’a ni tête ni queue et demeure incroyablement invisible? Qu’est-ce que la réconciliation ? Qu’est-ce que la purification ? Ont-elles la même valeur spirituelle et cathartique ? Est-il convaincu qu’au terme de son «mois de purification», le pays serait vraiment purifié et pourrait-il l’annoncer publiquement et sans sourire aux Ivoiriens? Banny et son équipe doivent véritablement creuser le sens de ces concepts qu’ils brassent s’ils veulent avoir des résultats probants au lieu de louvoyer. Le faisant, ils éviteront le mélange de genre qui les fait tourner en rond et les rend de plus en plus ridicules devant le monde entier. Pour ma part, ces concepts qui sont essentiellement religieux doivent forcément tenir compte de leur milieu de naissance et de pratique. De quoi les Ivoiriens doivent-ils se purifier ? Quel est le sacrifice expiatoire à accomplir ? Et qui offre l’animal du sacrifice de purification ? Dans notre réconciliation, ce qui est proprement choquant et incompréhensible, c’est que ce sont les religieux qui reçoivent toujours les ordres des politiques pour exercer leur mission ou orienter celle-ci dans tel ou tel sens, selon leurs propres préjugés. Que des hommes religieux reçoivent d’un politique leur mission de réconcilier et de purifier le peuple, il est à croire que ceux-là se sont résolument mis aux ordres de celui-ci. Et c’est cela tout le mal de notre processus. Un tel renversement de rôle et de valeur n’est jamais efficace. Banny gagnerait à éviter d’écorcher l’anguille par la queue. Cette réconciliation sous la dictée des politiques n’a aucun avenir. Je doute fort bien que ce «mois de purification» ne dépasse le cadre bruyant et folklorique du Palais de la culture. Ce n’est pas dans un Palais de culture qu’on se purifie. Quand on porte le souci de réconcilier un peuple meurtri et déchiré, il faut forcément éviter ces actions d’éclats qui ont tout l’air d’une publicité mal montée parce qu’orchestrée par des amateurs qui ne sont pas eux-mêmes purs. D’ailleurs, a-t-il jamais entendu dire que les Ivoiriens veulent se purifier ? Et de quoi les appelle-t-il à se purifier ? A-t-il ajouté la mission d’exorciste à celle de réconciliateur ? Je crains fort bien aussi qu’au terme de son processus de réconciliation et de purification, Banny ne change de vocation : d’économiste, il pourra bien enfiler la soutane. Ce qui n’est pas forcément mauvais. Etre prêtre pour servir Dieu et les hommes, beaucoup en rêvent. Mais cela n’est pas la vocation de Banny. En mélangeant les rôles et les genres, il donne de l’eau au moulin de tous ceux qui, comme moi, ne croient point en sa réconciliation. Sa méthode est inefficace voire inexistante. On ne fait pas de la réconciliation avec des sentiments quand on vit une crise profonde comme la nôtre. Quand on n’a pas de courage, on ne prend pas le risque de vouloir réconcilier les Ivoiriens. Banny parcourra tous les villages et hameaux de notre pays, il n’obtiendra rien s’il ne va pas à l’essentiel. Et cet essentiel, il le connaît lui-même. S’il cesse de louvoyer et prend le courage d’aller droit au but, il n’aura même pas besoin de toutes ces gesticulations époustouflantes pour atteindre son objectif. Les Ivoiriens n’ont pas besoin de comédie de «réconciliation» ou de «purification» dans le vent. Ils ont plutôt besoin de vivre dans un pays où ceux qui les gouvernent leur accordent un minimum de respect et de droit. Les Ivoiriens veulent travailler, manger, boire, retrouver leurs biens perdus et leurs familles. Les questions de purification et autres tintamarres de ce genre sont bien à la périphérie de leur préoccupation existentielle. Croyants qu’ils sont, ont-ils vraiment besoin d’un ordre de Banny pour aller se purifier? Banny a-t-il besoin de dessin pour comprendre cela ?
Je termine par ces propos savants de ce grand intellectuel et théologien camerounais, le père Jean-Marc Ela : «Il est illusoire de parler de réconciliation et de paix tout en privilégiant les injustices garanties par la violence des appareils de pouvoir dont la plupart sont les relais de l’impérialisme». (In Théologie et choc des cultures, Paris, Cerf, 1984, p.44).

Père Jean K in Notre Voie

Mon, 26 Mar 2012 00:30:00 +0200

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La Dépêche d'Abidjan

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