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Cheikh Anta DIOP
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Contribution / En attaquant le ministre Désiré Tagro : Mamadou Koulibaly viole un pacte honteux de non agression

Le Président de l’Assemblée Nationale a encore jeté un pavé dans la marre nauséabonde de la politique ivoirienne en accusant le Ministre Désiré TAGRO de diverses fautes dont le trafic d’influence dans les concours de l’école nationale de police. Cette accusation n’a surement pas fini de faire des vagues. Cependant, les réactions de la classe politique et du Président de la République laissent entrevoir un niveau d’enracinement de la démocratie et de l’Etat de droit globalement faible dans notre société. Cette faiblesse se constate aussi bien dans les déclarations tendant à critiquer la forme de l’accusation qu’en ce qui concerne la gestion institutionnelle de cette affaire.

Le FPI condamne
La direction du FPI a condamné la forme de l’accusation estimant que le Président de l’Assemblée n’avait pas à critiquer publiquement les activités d’un membre du parti. En dehors du FPI certains leaders politiques estiment qu’il doit se taire ou démissionner de son poste de Président de l’Assemblée Nationale ou du FPI et parfois des deux. Ces prises de position reposent sur une confusion regrettable, en démocratie et dans un Etat de droit, entre l’Etat et le parti au pouvoir ou, au moins, sur l’exigence moralement inacceptable d’une loi du silence entre les membres d’un même parti relativement à la gestion des affaires publiques. En effet les accusations de Mamadou Koulibaly ne visent nullement la gestion interne du FPI, ni même ses orientations ou ses projets politiques. Seuls ont été visées les activités du Ministre de l’Intérieur. Dire qu’en sa qualité de membre de la direction du FPI Mamadou KOULIBALY ne pouvait pas critiquer publiquement ces actions, c’est considérer que les affaires de l’Etat sont la propriété du FPI du seul fait que leur gestion a été confiée à un militant de ce parti. Dire que le Président de l’Assemblée Nationale doit démissionner s’il veut critiquer l’action d’un Ministre Membre du FPI c’est considérer que le Ministère et la Présidence de l’Assemblée Nationale sont propriété privée du FPI.

Comme si le FPI était un parti-Etat
Exactement comme si le FPI était un parti-Etat, un parti qui absorbe l’Etat du simple fait qu’il a une partie du pouvoir d’Etat. Et selon cette vision largement partagée au sein de la classe politique ivoirienne, chacun des partis ou groupements politiques qui ont hérité d’un Ministère à l’issue de l’accord de Marcoussis se croit propriétaire de ce Ministère et en fait ce qu’il veut. Les membres de la tribu du Ministre se croient également propriétaires du même Ministère. De cette façon, les personnes qui cumulent les deux qualités de membres de la tribu et de militant du parti du Ministre ont un droit de priorité absolu pour accéder aux emplois et fonctions publiques. Les autres ivoiriens doivent avoir l’argent nécessaire pour payer le prix fixé par le gérant de cette propriété privée partisane ou tribale. A la vérité en accusant le Ministre TAGRO, Mamadou KOULIBALY viole un pacte honteux de partage et de non agression conclu entre les partis et groupement politiques signataires de l’accord de Marcoussis avec deux clauses essentielles non expressément écrites. La première procède au partage du territoire, du pouvoir d’Etat et des richesses du pays entre les parties signataires, la France et le Burkina Faso. La deuxième engage les bénéficiaires du partage à se garantir mutuellement la jouissance paisible et absolue de la part de Côte d’Ivoire de chacun. Seul Mamadou KOULIBALY pouvait se permettre de remettre en cause un pacte auquel, on s’en souvient, il a refusé de s’associer. Ceci explique la gêne de tous ceux qui se sont attaqué à la forme et non au fond de son intervention ainsi que la gestion institutionnelle qui en est faite. Sur le plan institutionnel, le Président de la République a saisi le Procureur de la République près du tribunal de première instance d’Abidjan aux fins d’enquêter sur tous les faits reprochés au Ministre Désiré TAGRO.

La démarche de Gbagbo est une solution positive
Le communiqué publié à cet effet met le Premier Ministre en cause. Cette démarche du chef de l’Etat doit être considérée comme une révolution positive du point de vue de l’encrage de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance. En effet, c’est la première fois en Côte d’Ivoire qu’un Premier Ministre et un Ministre en fonction font l’objet d’une enquête sur leur gestion des affaires publiques. Cela n’arrive pas souvent dans le monde. Quelle que soit sa motivation profonde et son issue, cette enquête marque un tournant dans la gestion des affaires publiques. Elle apparaît comme la manifestation d’une volonté politique partagée au sommet de l’Etat entre le Président de la République, le Président de l’Assemblée Nationale et le Premier Ministre de sortir la Côte d’Ivoire de l’époque où la dénonciation des pires malversations pouvaient être ignorée, traité avec dérision ou au mieux présentée comme une peccadille. C’est, en soi, un progrès immense du point de vue de la gouvernance d’Etat. Mais c’est le seul point positif dans la gestion de cette affaire. En saisissant le Procureur de la République, le président de la République brouille les cartes institutionnelles. Dans une telle situation trois types d’enquêtes sont possibles. On peut recourir à une enquête politique confiée soit à une commission d’enquête ad hoc, soit à une commission d’enquête parlementaire. On peut aussi faire une enquête administrative qui relève normalement de la compétence de l’inspection générale d’Etat. On peut enfin ouvrir une enquête judiciaire qui, dans le cas d’un membre du gouvernement, doit être confiée au Procureur général près de la cour suprême.

Tchimou n’est pas compétent
Au fond, la saisine du Procureur de la République est un mélange des genres entre le politique et la judiciaire. On sait d’ores et déjà que cette enquête confiée à une autorité judiciaire ne pourra avoir aucune suite judiciaire. D’abord parce que la haute cour de justice est la seule juridiction compétente pour juger des faits commis par un membre du gouvernement dans l’exercice de ses fonctions. Or cette juridiction n’a pas été mise en place, surement en application du pacte de non agression convenu à Marcoussis. Ensuite parce que le Procureur de la République près du tribunal de première instance d’Abidjan n’est pas compétent. Les dispositions du code de procédure pénale ne sont pas applicables car il existe un principe élémentaire selon lequel la loi spéciale déroge toujours à la loi générale. C’est donc la loi relative à la haute cour de justice qui s’applique au cas des membres du gouvernement. Selon cette loi « Le Ministère Public près la Haute Cour de justice est représenté par le Parquet Général près la Cour de Cassation ». Le Procureur de la République près du tribunal de première instance d’Abidjan plateau n’a donc pas la qualité de représentant du Ministère Public dans cette affaire. On pourrait penser qu’il agit en tant que chef de la police judiciaire mais l’Article 18 de la loi relative à la haute cour de justice ne permet pas de lui reconnaitre cette qualité. Il en résulte que les actes commis par le Président de la République et les membres du gouvernement sont portés à la connaissance du Procureur général près la Cour de Cassation. C’est ce dernier que le Président de la République aurait dû saisir s’il avait l’intention de donner une suite judicaire à cette affaire. Ainsi donc il ne pourra en tirer que des conséquences politiques. Dans ce cas, pourquoi l’avoir confiée à une autorité judiciaire dépendant du gouvernement ? Ce qui est certain, c’est que le choix de cette autorité permet au Président de la République et au Premier Ministre d’avoir une maîtrise totale du déroulement de l’enquête et des suites éventuelles qu’il faudra donner à ses résultats.

L’opposition interpellée
Dans ces conditions l’opposition n’a peut-être pas tord de penser que cette enquête ne servira qu’à étouffer l’affaire, à blanchir le Ministre TAGRO. Elle s’abstient de dire qu’elle peut aussi servir à mettre en difficulté ce troublions de la scène politique qu’est Mamadou KOULIBALY en le faisant passer pour un accusateur léger. Dans tous les cas, on se demande pourquoi, tout en mettant en doute la crédibilité de l’enquête, l’opposition n’essaie-t-elle pas d’utiliser les mécanismes institutionnels qui lui permettent de contribuer à la manifestation de la vérité ? Pourquoi l’opposition qui dispose de trois groupes parlementaires à l’Assemblée nationale ne demande-t-elle pas la création d’une commission d’enquête parlementaire ? Pourquoi ne demande-t-elle pas l’élection des membres de la Haute Cour de justice ? Plusieurs réponses sont possibles. Soit que l’opposition hésite à utiliser une arme qui pourrait très vite se retourner contre ses membres au gouvernement dont la gestion ne paraît pas moins critiquable. Soit qu’elle n’a même pas conscience des possibilités que lui offrent les institutions de la République. Soit qu’en application du pacte de partage et de non agression de Marcoussis elle choisit délibérément de faire obstacle à la mise en place d’institutions qui ne peuvent que troubler les bénéficiaires du partage de MARCOUSSIS dans leur entreprise de pillage systématique de la Côte d’Ivoire. On constate qu’aucune de ces réponses n’incite à l’optimisme quant à l’encrage de la démocratie et de l’Etat de droit dans la classe politique

Jean Médard K et Michelline Z

NB :le titre est de la rédaction

Fri, 25 Jun 2010 03:13:00 +0200

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La Dépêche d'Abidjan

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