« Quiconque tient l'histoire d'un peuple tient son âme, mais quiconque tient la spiritualité d'un peuple le contraint à vivre sous le joug d'une servitude éternelle. »

Cheikh Anta DIOP
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Côte d’Ivoire: comment éviter la guerre de cent ans

La formule a frappé les esprits. Et ramène aux 116 années de conflit ayant opposé la France et l’Angleterre au XIV et XVe siècle: la «guerre de Cent ans», synonyme d’un cycle infernal de conflits, de morts et de destructions, de vengeances, de représailles, de plaies à vif et de cicatrices jamais refermées.

La formule a été remise au goût du jour par Charles Konan Banny, président de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation en Côte d’Ivoire:

«Désarmons aujourd’hui nos haines, faute de quoi nous nous acheminons à grands pas vers une guerre de Cent ans».

Oui, Alassane Ouattara a gagné l’élection présidentielle de 2010, dont les résultats ont été certifiés par l’ONU.

Oui, il a ensuite délogé par la force, avec l’aide de la France et de l’ONU, le président Laurent Gbagbo qui refusait de reconnaître sa défaite.

Mais «aucune victoire par la force ne peut être tenue comme définitive car le vaincu d’aujourd’hui fourbira ses armes dans l’espoir de devenir le vainqueur de demain», a insisté le chef de la Commission, lors de l’installation officielle de cet organisme mercredi 28 septembre à Yamoussoukro.

La réconciliation ne peut pas se faire sans le FPI

La Côte d’Ivoire, ancienne «vitrine» de l’Afrique de l’Ouest, dont les tours du Plateau évoquaient un Manhattan tropical du temps du «miracle ivoirien» dans les années 70, doit maintenant s’inventer un nouvel avenir.

Elle sort progressivement de la plus grave crise de son histoire, de plus d’une décennie de conflit politico-militaire, de discours xénophobes, d’exécutions arbitraires sur la base de l’ethnie, de la religion ou de la nationalité.

Et la tâche de la Commission, qui ne doit pas se substituer à la justice ivoirienne ou à la Cour pénale internationale (CPI), sera des plus ardues. Charles Konan Banny, dans le rôle du grand réconciliateur, joue quant à lui son avenir politique. S’il réussit, il pourrait alors nourrir des ambitions présidentielles.

Mais pour que la réconciliation prenne son élan, il faut que le Front populaire ivoirien (FPI), le parti de Laurent Gbagbo, revienne dans le jeu politique, en participant aux législatives prévues le 11 décembre.

Un éventuel boycott figerait le pays en deux camps antagonistes. Une bombe à retardement qui fragiliserait la nécessaire reconstruction d’un pays qui, ces dix dernières années, a fait un grand bond en arrière en matière de développement.

Un boycott des urnes serait idéal pour ressasser les vieilles haines, alimentant les fantasmes d’une possible réécriture de l’histoire de la présidentielle de novembre 2010.

La participation du FPI est pourtant loin d’être acquise. Le 21 septembre, le parti a même suspendu sa participation à la commission électorale, jugée acquise au camp Ouattara. Il dénonce le «mépris» du pouvoir et exige une nouvelle composition de cet organisme-clé et le redécoupage des circonscriptions électorales.

Le FPI doit faire le ménage

Plusieurs anciens responsables du régime Gbagbo, dont le sulfureux Charles Blé Goudé, sont partis en exil, notamment au Ghana. Le président déchu et son épouse, Simone Gbagbo, sont en résidence surveillée dans le nord du pays. Le FPI est décapité, certes, mais il est toujours là.

Plusieurs de ses cadres sont soit emprisonnés, soit en fuite. Mais tous les responsables du parti ne sont pas des criminels. Le FPI doit faire le ménage dans ses rangs, en mettant en avant des hommes politiques et non des chefs de guerre. Dans le cas contraire, il pourrait purement et simplement disparaître de la scène politique.

En juillet, Mamadou Koulibaly, ex-numéro un du FPI et toujours président de l’Assemblée nationale, a ainsi claqué la porte du mouvement, affirmant que les radicaux, les «ultras» refusaient le changement et demeuraient fidèles à Gbagbo.

Dans un entretien avec un journal ivoirien, il a stigmatisé la cacophonie au sein du FPI, reflet de profondes divergences.

«J’étais à Abidjan, supposé être le président dudit parti. Mais il y a toujours à Accra une coordination des exilés et réfugiés au Ghana qui pense avoir une légitimité pour parler au nom du FPI sans considération pour ce que je faisais à Abidjan. Ensuite, il y a à Paris une autre direction du FPI qui pense que, pour des raisons affectives, elle est autorisée à parler au nom du FPI», raconte-t-il.

Koulibaly a donc formé un nouveau parti, le Lider (Liberté et démocratie pour la République), qui participera aux législatives. L’ex-chef du FPI sera pour sa part candidat à Koumassi, une des communes d’Abidjan. Le résultat du scrutin sera un indicateur important.

Combien de militants vont suivre Mamadou Koulibaly hors du FPI? Difficile à dire. Mais au scrutin présidentiel de novembre 2010, près d’un Ivoirien sur deux a voté Gbagbo, qui était majoritaire dans la capitale économique ivoirienne, Abidjan. Impossible de les rayer de la carte. Impossible aussi de savoir s’ils voteront toujours FPI ou feront preuve de réalisme…
«C’est le dialogue républicain qui vient de se lancer»

Les nouvelles autorités «doivent faire en sorte que les jeux soient équitables», insiste de son côté le site d’information guinéen Guinéeconakry.info:

«S’il a été dit qu’une justice des vainqueurs est inacceptable sur le plan sociopolitique, sur le plan strict des élections, cette vérité demeure la même», poursuit le site.

Jeudi 29 septembre, le président Ouattara a ainsi fait un pas vers ses adversaires, en recevant le Congrès national pour la résistance et la démocratie, coalition de partis soutenant Gbagbo. Le dialogue s’est enfin engagé et, côté FPI, on s’en félicite, puisqu’un des responsables a même assuré que «c’est le dialogue républicain qui vient de se lancer».

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le président Alassane Ouattara a besoin d’avoir des opposants forts et démocrates pour conforter sa crédibilité, tant sur la scène intérieure que sur le plan international.

Et le plus important aujourd’hui n’est peut-être pas de respecter la date du 11 décembre. Mais plutôt de s’assurer une participation du FPI aux législatives. Pour entamer la réconciliation des Ivoiriens. Et éviter une «guerre de Cent ans».

Adrien Hart in slateafrique.com

Fri, 30 Sep 2011 15:28:00 +0200

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La Dépêche d'Abidjan

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