« Quiconque tient l'histoire d'un peuple tient son âme, mais quiconque tient la spiritualité d'un peuple le contraint à vivre sous le joug d'une servitude éternelle. »

Cheikh Anta DIOP
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Côte d’Ivoire: un Etat défaillant

Le droit international défini un "failed state" ou "Etat défaillant" comme celui qui a failli dans l’accomplissement de l’un ou des trois principaux domaines (économie, société, et politique) retenus comme critères par le Fund for Peace, organisme indépendant de recherche sur la Paix. Il est aussi important de savoir qu’en droit international, un Etat se défini classiquement par trois entités ; à savoir un territoire, une population et des institutions qui assurent la cohésion de cet ensemble.

Au regard de ces critères et de la définition de l’Etat à tant qu’entité politique, la bonne santé d’un Etat dépend donc du bon fonctionnement de son économie, de la qualité de sa cohésion sociale et de la solidité des institutions publiques qui l’incarnent. Cela veut dire implicitement qu’un état ne peut pas avoir le statut d’Etat viable ou stable, conformément aux normes internationales, si son économie est en dégradation avancée, sa société complètement disloquée et ses institutions totalement affaiblies.

Le Fund for Peace s’est récemment focalisé sur les conflits émanant des pays dits défaillants. Il publie depuis 2005, annuellement, ce qu’il appelle le « failed states index » ou « indice des états défaillants », un tableau qui présente des entités étatiques selon leur statut. L’indice de défaillance est calculé à partir de 12 indicateurs (politiques, sociaux et économiques). Ces indicateurs affectent à chaque pays un score allant de 0 pour les Etats stables et en paix à 10 pour les Etats instables et presqu’en faillite. Chaque indice est obtenu par l’addition des différents scores. Ce qui permet de classer les pays sur une échelle de 0 à 120 pour l’ensemble des 12 indicateurs.

Les pays les plus stables ont un indice de moins de 29,9 pendant que ceux qui bénéficient d’une stabilité et d’une paix modérée se situent entre 30 et 59,9. Les pays en situation inquiétante et faisant l’objet d’avertissement ont, quant à eux, des indices compris entre 60 et 89,9. Enfin, pour les pays où l’Etat est presqu’inexistant l’indice se situe entre 90 et 120.

Pour l’année 2010, le Fund for Peace avait classé douzième la Côte d’Ivoire avec un index égal à 101.2. Cette position faisait déjà de la Côte d’Ivoire un pays à risque alors que les fonctionnaires ivoiriens recevaient régulièrement leurs salaires et étaient à leurs postes respectifs malgré les appels assourdissants à la désobéissance civile lancés par M. Alassane Ouattara. L’école était ouverte. La police et la gendarmerie à tant qu’institutions qui assurent la sécurité des populations et de leurs biens étaient à la tâche. Quotidiennement. L’armée était entièrement loyale au président Gbagbo. Bref, malgré la crise qui a débuté en 2002, les fondements de l’Etat sous le Président Gbagbo sont restés, jusqu’au 11 Avril 2011, intacts, plus ou moins stables. Cependant, la Côte d’Ivoire a été classée comme un pays à risque.

Alors examinons ici, en utilisant les mêmes critères de Fund for Peace, le cas de la Côte d’Ivoire depuis la chute du Président Gbagbo. Plus d’un mois après la chute du régime de la refondation, aucune institution ne fonctionne en Côte d’Ivoire. L’Assemblée Nationale, le Conseil Economique et Social, le système judiciaire, la Police, la Gendarmerie, la Douane, les Eaux et Forets et l’Armée nationale ont d’emblée démissionné. Idem pour les partis d’oppositions. L’affirmant, nous pesons nos mots. Nous ne sommes pas en train de dire que les présidents de ces institutions n’ont pas fait allégeance à M. Alassane. Nous disons qu’aucune institution républicaine ne fonctionne à présent. Pendant ce temps, M. Alassane Ouattara est occupé à conduire la chasse aux militants LMP et se rassure que l’épuration des Bété, ethnie de Gbagbo, est bien faite à travers le pays.

L’Ecole, l’avenir du pays, peine à reprendre étant donné que la quasi-totalité des infrastructures scolaires et universitaires a été saccagée par les forces pro-Ouattara. Surtout les Universités et les campus universitaires; ces lieux du savoir ont connu une sanction particulière à cause du soutien des étudiants au Président Gbagbo. En plus, les étudiants qui ont échappé aux escadrons de la mort d’Alassane ont peur de retourner sur les campus.

Dans la Côte d’Ivoire du gouverneur Alassane, on ne peut pas parler de fonctionnement de l’Administration publique en l’absence des autorités françaises. A preuve, pour le paiement de salaires des fonctionnaires, c’est en présence de Christine Lagarde, ministre français de l’Economie et des Finances, que tout a été décidé. C’est même la France qui a versé 200 millions d’Euro représentant une partie des salaires des fonctionnaires ivoiriens au régime putschiste d’Alassane Ouattara. Alors qu’il ne s’agissait là que du seul salaire du mois d’Avril, étant donné que le Président Gbagbo avait déjà positionné les salaires de fin Mars avant d’être renversé le 11 avril 2011.

Dans les zones rurales, toutes les activités agricoles sont mises en veilleuse. Craignant pour leur vie, les populations villageoises se sont refugiées dans les forêts, abandonnant leurs villages aux hommes d’Alassane. Pour preuve, dans la région de Gagnoa, d’où est originaire le Président Gbagbo, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants continuent de parcourir les forêts denses à la recherche de refuge et d’alimentation. C’est le cas de dame Dakouri Madeleine, âgée de quatre vingt deux (82) ans. Bien que très vulnérable, cette vieille parcourt, depuis six semaines, les forêts avec son fils et sa belle fille pour sauver ce qui lui reste comme vie. Son fils aîné, M. Dadi, Conseiller Economique et Social, accusé par les forces rebelles d’avoir partagé des armes aux villageois est recherché par les cannibales d’Alassane qui promettent de le tuer et manger son cœur. La plus part de ces fugitifs ne vivent que de cueillette et dorment entre les racines des gros arbres. Que deviendront-t-ils avec la grande saison des pluies de Mai et Juin qui s’annonce? Dieu seul a la réponse à cette préoccupation.

Globalement, dans la zone anciennement sous contrôle du gouvernement Gbagbo et qui reste sa zone d’influence, les habitants ont totalement désertés leurs habitations. Les nouvelles qui nous parviennent de façon récurrente font état de ce que les localités rurales de cette zone sont en train d’accueillir des populations venues du Nord, région d’Alassane et des pays frontaliers (Burkina Faso, Mali, Guinée) pour exproprier les autochtones, en fuite, de leurs terres après avoir pillé leurs biens.

Dans la Côte d’Ivoire d’Alassane, la presse libre n’a pas été épargnée. Les organes de presse (Notre Voie, le Temps, Le Temps hebdo, Le Nouveau courrier, Le Quotidien d’Abidjan, Le Soleil d’Abidjan, L’œil du Peuple, Notre Défi…) proches du régime Gbagbo ont vu leurs sièges soigneusement saccagés, pillés et quelque fois incendiés par les hommes du président non élu, non investi, mais internationalement reconnu. Les maisons d’édition de ses journaux ont été, elles aussi, brulées par les mêmes hommes d’Alassane. Seuls les journaux proches du RHDP paraissent à présent. Alassane détient en otage les medias d’Etat, RTI (la radio et la télévision nationale) et Fraternité Matin, et les radios et télévisions pirates qu’il avait créées dans la rébellion avec l’aide de la France.

Il est important de savoir que le retour de ces organes de presse proches du régime Gbagbo ne sera pas pour maintenant, même si le gouverneur français Alassane avec rang de chef d’Etat en Côte d’Ivoire et ses alliés occidentaux trouvaient de l’argent pour réparer les dommages qu’ils ont causés. Car, pourchassés par les escadrons de la mort à la solde d’Alassane, beaucoup de journalistes et techniciens ont dû prendre le chemin de l’exil pour protéger leur vie.

Une fois débarrassé de tous ses opposants politiques gênants, des intellectuelles et des militaires soupçonnés d’être pro-Gbagbo, il ne restera plus à Alassane, qu’une Côte d’Ivoire de parti et de pensée uniques. Il aura ainsi réussi à mettre fin au processus démocratique que le président Gbagbo a enclenché officiellement le 30 Avril 1990. Ainsi, Alassane et ses alliés n’auront pas seulement détruit l’avenir démocratique de la Côte d’Ivoire, mais ils auront aussi et surtout brisés les fondements de l’Etat/nation ivoirien.

Avec M. Alassane Ouattara, la Côte d’Ivoire n’a, aujourd’hui, ni forces de défense et de sécurité républicaines, ni Administration publique, ni système éducatif et sanitaire fonctionnels. Son tissu social est complètement détruit et la possibilité de réconciliation nationale est presqu’impossible à ce jour vu l’ampleur de l’injustice faite aux Ivoiriens. L’économie ivoirienne est totalement exsangue avec les braves paysans tués et/ou chassés de leurs villages, les entreprises publiques et privées entièrement pillées et saccagées par les hommes d’Alassane.

Enfin, plus d’un mois après ce coup d’état opéré par la France, nous sommes en droit d’affirmer que ce coup de force a le « mérite » d’avoir permis à la Côte d’Ivoire de renforcer la communauté des Etats en déliquescence tels que la Somalie et l’Afghanistan. Une position que le Fund for Peace ne lui reconnaitra certainement pas. Vraiment pas maintenant, vu que cela ne fera pas honneur à la soi-disant communauté internationale qui a aidé Alassane Ouattara à ramener la Côte d’Ivoire, soixante années en arrière.

M. Arsène DOGBA Politologue

Fri, 13 May 2011 16:48:00 +0200

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La Dépêche d'Abidjan

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