Enquête express / Bana-Bana, vendeurs à la criée : Ils défient chaque jour, la mort et la police

Photo : DR
5h30, c’est à cette heure que Malick D., qui se fait appeler John, sort de son sommeil. Quelques pompes, ensuite la douche avant de mettre le cap chez son fournisseur de marchandises-un chinois qui tient à son domicile, un stock de verres et vaisselles. Une fois le ravitaillement en marchandises satisfait, John prend la direction de son lieu de travail. C’est le carrefour de l’Hôtel Sebroko, à quelques encablures du camp de l’ONUCI. En sa compagnie, une incursion est faite dans l’univers des bana-bana ou si vous voulez dans l’univers des vendeurs (routiers) ambulants. Comme Malick D., beaucoup d’autres jeunes d’horizons divers viennent animer le carrefour Sébroko pour en faire un marché qui rivaliserait même avec les GMS (Grandes et moyennes Surfaces) de la capitale. Tant les articles vendus en ce lieu sont divers, verreries, ustensiles de cuisines, produits d’hygiènes, vivres, journaux, etc. Tout y passe. « C’est ici qu’on se débrouille pour se nourrir », nous lance-t-il. Avant de se lancer à l’assaut des automobilistes stationnés au feu rouge. « Tôt le matin, tu peux facilement faire une bonne recette. Pour cela, il faut être le premier à approcher le client. Voilà pourquoi, pour venir ici, il faut être en jambe. C’est la même chose au Plateau », nous confie-t-il. Pour attester de la course qu’ils font aux automobilistes, une fois que le feu vire au vert. Pour lui, être Bana Bana n’est pas une sinécure. Il aurait souhaité avoir mieux à faire que ça mais en attendant, il faut bien qu’il s’assure la pitance journalière.

Le bana- bana s’en tire à bon compte mais…

A la question de savoir, s’il arrive à joindre les deux bouts, notre compagnon, après un soupir se met à table. « Ça dépend, il y a des jours où je peux retourner à la maison sans avoir vendu d’articles, mais il y a des jours où je peux facilement être en rupture de stocks et rentrer me reposer. A dire vrai, en moyenne, quand je rentre à la maison, j’ai au moins trois mille francs CFA (3000FCFA) en poche (environ 5 euros)», déclare-t-il. Toutefois, si notre ami qui s’est spécialisé dans la vente de verres, reconnait qu’à l’approche du Week-end, les affaires bougent mieux pour lui, (des tenanciers de maquis viennent acheter des verres pour le week-end), les bana bana connaisent des fortunes diverses en ce qui concerne la recette. C’est ce que nous relate, un de ses compagnons, tout essoufflé après avoir couru derrière un automobiliste, potentiel client, sans gain de cause. « Moi, je suis ivoirien, on dit qu’il n’y a pas de sots métiers mais être Bana Bana dans mon propre pays, vraiment c’est parce qu’il n’y a pas de travail que je me suis retrouvé dans ce métier. Dieu merci, ça va », nous lance-t-il. Et d’ajouter : « il faut avoir la ‘’tchatche’’, ne pas avoir peur de donner son prix. Le reste, c’est Dieu qui décide ». Selon lui, être vendeur ambulant n’est plus la chasse gardée des jeunes de la sous région. A la faveur de la crise, bon nombre d’Ivoiriens sont venus à ce boulot. Même s’il reconnait que les débuts ont été difficiles surtout pour se ravitailler en marchandises. « Pour se ravitailler, les créneaux sont différents. Il y a ceux qui se font livrer par les libanais, d’autres par les sénégalais et les chinois. A ce niveau, il faut se faire introduire. C’est quand les fournisseurs ont confiance en toi qu’ils peuvent te livrer leur marchandise car il y a trop de risques », confie-t-il. Selon lui, les fournisseurs ont leur prix et il appartient au bana bana de savoir vendre la marchandise pour se faire un bénéfice après avoir versé le soir, le prix d’achat des marchandises au fournisseur.

Que de risques encourus

« Si tu veux que ta journée ‘’rentre en ordre’’ (NDLR faire sa recette), il faut être toujours en jambe, savoir courir et être vigilant. C’est le B A BA si tu veux être bana bana », déclare Malick D. Comme pour nous prévenir des dangers qui les guettent chaque jour sur ce boulevard. C’est que dans cette débrouillardise, les risques encourus sont énormes. Les accidents de la circulation, la police et aussi des clients qu’ils appellent « malho » dans leur jargon. « En courant derrière une voiture pour marchander, tu peux facilement te faire percuter par un autre automobiliste. Nous avons déjà perdu un ami de cette manière ici. Nous étions tous abattus mais le lendemain, nous y sommes revenus », ajoute Malick D. Avant que son compère ne renchérisse. « Quand on dit, ici il faut être en jambe et vigilant, ce n’est pas fortuit. Il faut courir après le client parce qu’une fois que le feu est vert, il n’attend pas. Ensuite, il faut vite récupérer l’argent si vous êtes d’accord , avant même qu’il ne démarre ». Pourquoi, toutes ces précautions ? Le compère de Malick D., après avoir passé sa chemise sur son visage en sueur nous répond. « Il y a des clients qui sont très malhonnêtes. Quand le feu passe au rouge, ça fait au moins une minute. Donc ils ont leur astuce, ils se fouillent les poches et une fois que le feu passe au vert, ils démarrent en trombe. Dans cette situation, tu ne peux plus jamais les rattraper. Tu perds une marchandise comme ça et le fournisseur lui, il n’a pas besoin d’explication. Soit tu as vendu ou tu lui rends sa marchandise. Beaucoup parmi nous ici sont criblés de dettes », dit-il avec amertume. N’y a-t-il pas des jours où le contraire se produit ? « Mon vieux laisse ça, nous on est tout le temps ici. Si la monnaie d’un client reste avec toi, il stationne sur le trottoir pour t’attendre. Les automobilistes ne sont jamais pressés quand on leur doit la monnaie », lance-t-il. Et le voilà à l’assaut de nouveaux clients, d’autres automobilistes. Soudain, il fait de grands signes de la main. « Ils arrivent ! Ils arrivent ! », crie-t-il. En un temps record, le carrefour se vide. Visiblement, il s’agit de la police. C’est que le bana bana a une peur bleue pour la police puisque certains parmi eux vendent des CD piratés. Mais pour eux, la raison est tout autre. « Il ya des jours où la police débarque ici, on nous traite de voleurs, de receleurs(…) avant de partir avec nos marchandises. On arrête certains parmi nous(…)On dit que ce que nous faisons est illégal parce qu’on ne paye pas de taxes. Mais on ne peut pas demander à quelqu’un qui se débrouille de payer des taxes ! », s’indigne l’ami de Malick. L’astuce que les bana bana ont trouvé, c’est d’emmagasiner leurs marchandises du jour dans une baraque non loin du collège privé d’à côté. Les cachettes de cette sorte, sont légion aux dires de notre interlocuteur. Et à l’en croire, entre eux et la police, c’est une affaire de « attrape moi si tu peux ! ». « Si la police t’attrape et que tu as les ‘’arguments ‘’ (NDLR l’argent), tu peux retrouver ta marchandise. Sinon, c’est une dette contractée de facto envers le fournisseur », déclare-t-il.

Et pourtant pas toujours appréciés des populations

L’opinion que les populations ont des Bana Bana diffère d’une personne à une autre. « Je pense que les bana bana sont à encourager. Quelquefois, ils ont de la quincaillerie ambulante, moins chère. En une minute, vous pouvez faire votre achat », pense M. Adebayo Mohamed, un automobiliste rencontré à la gare des gros camions. Comme pour attester de ce qu’il dit, il nous montre une valise de clés de dépannage achetée avec eux. Comme lui, plusieurs personnes ont équipé leur maison d’ustensiles de cuisine, de vaisselles et verreries avec le concours des bana bana, sans agresser leur économie. Mais les griefs contre ces vendeurs ambulants ne manquent tout de même pas. M. Kouadio Jean baptiste, que nous rencontrons en face de la pharmacie Sébroko, n’est pas du tout tendre avec eux. En somme, il résume tous les griefs des usagers contre les bana bana. « Ces jeunes là, ils ne concourent en rien à l’économie du pays. Ils ne payent aucune taxe. Les marchandises qu’ils ont, c’est du n’importe quoi, de la contrefaçon, rien d’autre. En plus, c’est une couverture pour commettre des larcins au feu rouge. Si ça ne tenait qu’à moi, ils n’auraient même pas existé. A votre avis, où trouve-t-il toutes ses marchandises pour être si moins chers ? Soit ils volent ou sont recéleurs de ce que leurs amis arrivent à extraire sans difficultés dans les rayons des magasins », lance-t-il . Cette opinion est partagée par Dame Alima Diaby qui soutient mordicus qu’ils ne sont pas exempte de reproches. « Moi, je fais très attention à ces jeunes, pendant qu’un d’entre eux vous approche, il y a forcément un autre qui guette votre sac à main ou votre téléphone portable. J’ai perdu une fois mon sac à main comme ça au rond point de la Solibra. Mais il ne faut pas généraliser, certains sont de vrai débrouillards », estime-t-elle. Comme au carrefour Sébroko, les grands carrefours d’Abidjan sont envahis de bana bana, belle illustration de la poussée de l’informel dans une Côte d’Ivoire qui sort inexorablement de la crise pour amorcer son développement

Kouakou Hyacinthe

Avec le partenariat de l’Intelligent d’Abidjan

Tue, 10 Aug 2010 02:36:00 +0200

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