M.T.F : En vous lisant, c’est comme s’il y a une sorte de jubilation, comment expliquez-vous cela ?
J.L.R : Qu’est-ce que vous voulez dire par jubilation ?
M.T.F : Par exemple, lorsqu’on ouvre le livre, vous parlez de Survivant. « Sur », « Vivant ». Vous expliquez qu’on vous donnait mort, qu’on n’attendait pas de vous de survivre, etc., la manière donc vous accentuez le mot, la phrase : « 30 ans après je suis toujours là », etc.
J.L.R : Bah, c’est-à-dire que, vous imaginez quand vous avez cru que vous ne connaitriez jamais vos 30 ans, vous vous rendez compte que… c’est pour cela que je joue beaucoup avec « 3 » et « 0 », qui est un chiffre, un nombre qui revient assez souvent dans ma propre histoire. Évidemment, c’est assez incroyable d’imaginer que vous avez survécu à ce virus tant d’années alors que vous vous croyiez condamner. C’est vrai que je commence un peu le livre par ça d’abord, en expliquant un peu ce titre, « pourquoi survivant » ? Et en fait, ce titre a un double sens. Survivant par rapport à tous mes amis qui sont morts quasiment, ce qui est quand même quelque chose de terrible, et en même temps, le grand paradoxe, c’est pour cela que je mets un « V » majuscule à « vivant », parce que sachant que j’étais à priori condamné, j’ai vécu peut-être plus intensément que je ne l’aurais fait si je n’avais pas été avec ce virus (…) Quand on fait un livre comme ça, 30 ans après, c’est aussi une espèce de bilan (…)
M.T.F : Parlez-nous de ces 36 milliards de dollars par an, que vous préconisez pour éviter la mort des personnes atteinte du virus du sida. Sur quoi vous basez-vous pour avoir ces chiffres ?
J.L.R : Aujourd’hui, on sait qu’on peut avoir un monde sans sida, c’est-à-dire faire disparaître le sida, ce qui serait la première fois qu’on pourrait faire disparaître un virus sans vaccin, mais grâce aux traitements. Et pour ça, il faut de l’argent pour que tout le monde puisse accéder aux traitements. Je dis dans ce livre que j’ai la chance de vivre dans un pays riche où toutes les personnes qui sont sur notre territoire : sans-papiers, français, pas français, etc., ont droit à ce traitement…
Dans les pays du sud, il y a plein de gens qui continuent à mourir puisqu’aujourd’hui ça doit être à peu près plus de 3 200 personnes qui vont mourir du sida dans une espèce d’indifférence glacée. Et donc, il faut une volonté politique ! Maintenant, comme l’ont eu Jacques Chirac et Lula, qui ont été les présidents à prendre vraiment à bras-le-corps le problème, c’était à un moment où on disait : « dans les pays du sud, de toute façon, ils ne sauront pas prendre les traitements, c’est impossible, etc. ». Mais ils ont dit que ce n’est pas possible de penser qu’en France, en Europe, aux États-Unis, les gens ont des traitements et vous allez en Afrique ou en Asie, les gens n’y ont pas droit, c’est tout à fait insupportable. Et donc, ils ont créé ce qu’on appelle le fonds mondial contre le sida. Ce fonds mondial a besoin de 20 milliards, 25 milliards pour an pour faire que toute personne qui a besoin d’un traitement l’ait. Et aujourd’hui malheureusement, on est à 13 milliards par an, donc loin de l’objectif. Et c’est quand même terrible de savoir qu’on a cette fois-ci la possibilité d’éradiquer un virus de la planète, qu’on sait comment faire, mais malheureusement il n’y a pas de volonté politique, il n’y a pas assez d’argent, donc on stagne. Et l’objectif qui est celui de l’Onusida, qui est un organisme qui dépend de l’ONU, de faire disparaître le sida en 2030 serait difficile à atteindre si les responsables politiques n’en ont pas conscience (…). C’est un peu le cri de colère que je donne dans ce livre ! (…)
M.T.F : Ça veut dire que les 36 milliards que vous écrivez sont les chiffres de L’Onusida ?
J.L.R : On a à peu près calculé ce qu’il fallait pour faire disparaître le VIH, faire surtout que toute personne qui en a besoin accède à ces traitements qui ont certes fortement baissé, aujourd’hui vous avez parfois des traitements à 1 dollar par jour, mais aujourd’hui plus de la moitié des personnes qui en ont besoin ne bénéficient pas d’un traitement dans le monde, ce qui fait qu’aujourd’hui on continue à mourir du sida alors qu’on ne devrait plus, en tout cas pas dans ces proportions-là…
M.T.F : Selon vous, l’écriture peut-elle être une forme de thérapie ? La pratiquez-vous ?
J.L.R : Oui. L’écriture pour tout le monde, vous savez, moi c’est mon dixième livre, tous ceux qui écrivent, surtout quand on parle d’un sujet qui vous concerne, il y a bien sûr une certaine forme, plutôt que d’aller, moi je ne vais pas voir de psy, c’est une façon bien sûr de poser les choses, mais j’essaye de la poser de telle manière à ce qu’elle soit utile (…). Ce livre c’est d’abord un livre d’espoir !
M.T.F : Parlez-nous un peu de l’ADMD et de l’ELCS
J.L.R : L’ADMD, c’est l’association pour le droit de mourir dans la dignité, c’est une association qui réunit un peu plus de soixante-huit mille adhérents et qui se bat pour une loi sur la fin de vie, qui permette à celui qui meurt de décider, parce qu’aujourd’hui c’est toujours ceux qui sont autour du lit qui décident, notamment les médecins, etc. Et nous, on veut une loi qui permette, d’un côté, l’accès universel aux soins palliatifs, qui est l’un des grands échecs de notre pays puisqu’à peine 20 % des gens peuvent en bénéficier. Et de l’autre côté, la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, parce qu’en France la loi, elle vous permet certes de dire stop : on vous endort, on n’arrête de vous alimenter, de vous déshydrater, et vous pouvez mettre trois semaines à mourir. Mais nous on trouve que ça peut être une mort à petit feu et que ça n’est pas normal qu’on n’offre que cette possibilité-là. Nous on voudrait qu’il y ait la possibilité de l’euthanasie, c’est-à-dire qu’on vous endort, vous partez en quelques secondes, entouré des vôtres. Je pense que c’est ce qu’il devrait se passer dans un pays humaniste (…) L’ADMD se bat pour cette loi qui est voulue par quasiment 90 % des Français, tous les sondages depuis 20 ans nous disent ça !
L’ELCS, c’est une association d’élus, partant du principe que, on l’oublie souvent, la plupart des élus locaux, je pense aux conseillers municipaux, ils sont partout dans le pays, ils sont des centaines et des milliers, ce sont des bénévoles qui ont la même fibre souvent que des militants associatifs, ils sont là pour faire avancer les choses dans leurs villages, dans leurs villes, etc. Et je me suis dit qu’ils pourront nous aider à relayer les messages de prévention, d’aide aux malades, et surtout d’apprentissage de l’acceptation (…)
Extraits du livre :
« Ce virus qui tue dans des souffrances atroces est en moi. Il me ronge déjà. Peu à peu, il devient moi. Et c’est moi qui disparais pour lui laisser la place. »
« Le sida, ce compagnon de trente ans, m’a conduit à me surpasser, à vivre certes différemment, mais aussi plus fort et plus intensément. Il m’a obligé à faire tout, tout de suite, me laissant si peu de temps. Jouant avec ma destinée bien mieux que n’importe quel dieu.»
« À 28 ans, on se croit souvent invincible »
« Les symboles et la parole sont également essentiels dans ce combat collectif que nous nous devons de mener, car il ne faut plus taire cette maladie. Il faut en parler(…), faire tomber ce sentiment scandaleux de honte qui l’entoure et il faut utiliser des symboles, voire des exemples. »
MICHEL TAGNE FOKO
mtfoko@aol.fr
Sat, 17 Dec 2016 18:14:00 +0100
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