« Quiconque tient l'histoire d'un peuple tient son âme, mais quiconque tient la spiritualité d'un peuple le contraint à vivre sous le joug d'une servitude éternelle. »

Cheikh Anta DIOP
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Événements tragiques en Côte d’Ivoire : Comment exorciser le mal ?

Il y a quelque chose de pathétique à établir une similitude entre le sort du peuple haïtien et celui du peuple ivoirien. Pourtant, cette permanence du malheur dans la vie de ces deux peuples mérite bel et bien un petit rapprochement. Durant la nuit de la Saint-Sylvestre, à Abidjan, un drame aux contours encore insaisissables, a entraîné la mort de 63 personnes avec une cohorte de blessés. A entendre les déclarations des plus hautes autorités ivoiriennes, il n’y aurait eu aucun manquement aux normes de sécurité. Il n’est pas sûr et certain que les familles des victimes parmi lesquelles on enregistre une majorité de femmes et d’enfants, soient sensibles à cette musique peu rassurante. A l’heure actuelle, les Ivoiriens s’interrogent : à qui la faute ? Question abyssale. Face à ce genre de situation, il ne faut écarter aucune hypothèse, y compris les plus simplistes, à savoir, par exemple, une action d’hommes déterminés à saboter toutes les initiatives novatrices de ADO. Ainsi, il apparaîtra comme l’homme qu’il ne faut pas à la Côte d’Ivoire. Mais d’un point de vue humain et rationnel, ce drame pose, en vérité, le problème de la gestion des foules par nos forces de sécurité. Ce qui vient de se produire à Abidjan peut se produire dans n’importe quelle capitale africaine. D’ailleurs, en Angola, des fidèles religieux ont également trouvé la mort dans l’enceinte d’un stade. Ne nous voilons pas la face. En règle générale, dans les Etats post-coloniaux, les forces de l’ordre sont plus formées à réprimer qu’à canaliser, avec professionnalisme et méthode, les mouvements de foules. Ce drame révèle également que la sécurité d’une grande manifestation doit se faire du début à la fin. Ce drame n’a-t-il pas eu lieu au moment où les gens quittaient les lieux du feu d’artifice pour regagner leur demeure ? L’approche théologique d’un tel drame s’avèrerait ici trop facile. Car on parle d’un pays qui a été déchiré par une guerre civile accompagnée de crimes atroces, un pays où, malgré les discours sur la réconciliation, la haine entre citoyens semble s’être installée durablement dans le corps social. Et ce qu’il faut craindre, c’est la transmission d’une telle haine de génération en génération. La Côte d’Ivoire n’est pas l’Allemagne nazie défaite. Il paraît donc curieux et troublant de constater que certains Ivoiriens se plaisent à adopter les thématiques et le langage issus de la seconde guerre mondiale pour exorciser leur malheur politique. Certes, le dénouement de la crise post-électorale a pris une tournure internationale. Cela dit, le vivre-ensemble à l’intérieur de l’Etat ivoirien relève purement et simplement d’un enjeu national. Ici, les termes de « vainqueurs » et de « vaincus » sont dénués de toute signification historique sérieuse. Il faut poser la question de fond : comment parvenir à une réelle réconciliation entre Ivoiriens ? En d’autres termes, comment faire comprendre à ce peuple que son seul héritage ne peut se réduire à la haine, la peur, la culpabilité, la vengeance, la victimisation ? Les Ivoiriens sont en quête d’unité nationale, aspirent à la prospérité économique , et exigent la paix. Mais ils doivent se dire que tout cela exige d’abord et avant tout une réconciliation du peuple ivoirien. Sans elle, aucune reconstruction de ce pays n’est possible. Quand on constate que le rêve de chaque Ivoirien consiste à se poser en victime ou en survivant, et qu’une minorité d’extrémistes s’enfonce dans une folie vengeresse, on ne peut qu’en déduire que la longue marche de la réconciliation n’est qu’à ses débuts. Le temps est venu, enfin, de sortir de ce que Barbara Cassin appelle « la guerre civile des mots » . Le spectre d’une nouvelle guerre, d’une rechute dans la barbarie hante encore ici la conscience collective. Rappelons à nos frères et sours ivoiriens qu’avant cette décennie de guerre civile, personne ne parlait de réconciliation. On ne connaissait pas encore cette transgression des principes d’humanité comme l’a montré cette décennie de conflits intérieurs. Reconnaissons donc qu’avant le mot réconciliation, et comme a su bien le montrer Jacques Derrida, « il y avait la guerre, la haine, la division, la dissociation ou la séparation, la souffrance, et le traumatisme, les blessures ». Evidemment, dans leur longue marche vers la réconciliation, les Ivoiriens ne feront pas l’économie de débats autour de notions centrales telles que le repentir, le pardon, l’oubli, la justice, la vérité, l’amnistie, l’amnésie, la paix, le droit, la réparation, la rédemption, la confiance, etc. La menace d’une violence sans fin va-t-elle inciter et inspirer un désir mutuel de dialogue entre eux ? ADO a toujours promis, à travers toutes ses décisions, de se tourner vers l’avenir, afin de recoudre le tissu social fissuré de son peuple, et de rétablir une réelle harmonie sociale ; bref, les Ivoiriens attendent de ADO un vrai projet politique qui puisse permettre une réhumanisation véritable de la société ivoirienne. L’avenir jugera de la réalité de la réconciliation prônée et voulue par ADO. A défaut, le peuple ivoirien continuera à s’enfoncer dans un pessimisme tragique.

Abdoulaye BARRO in Le Pays (Burkina-Faso)

Sat, 05 Jan 2013 20:24:00 +0100

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La Dépêche d'Abidjan

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