« Quiconque tient l'histoire d'un peuple tient son âme, mais quiconque tient la spiritualité d'un peuple le contraint à vivre sous le joug d'une servitude éternelle. »

Cheikh Anta DIOP
Categories: Lu pour vous

Fier d’être truand ?

Il faut, autant que possible, avoir le renom et la ceinture. » Denis Diderot, (Le neveu de Rameau)

Fier d’être un truand ? Oui, parce que la galère m’oblige à l’être. » Voilà ce que j’ai pu lire au dos du tee-shirt d’un motard sur le boulevard Latrille, lieu de grande circulation à Abidjan. La portée provocatrice de cette inscription par cette manière de présenter l’imposture nous livre un message explicite : la lassitude de toujours évoquer en les invoquant des valeurs qui à l’épreuve du quotidien sont comme des vœux pieux.

Comme un cri de protestation à destination des vertueux et de leurs arguties, le motard du dimanche sur ce boulevard achalandé ne craint pas de faire de l’exhibitionnisme. Pour bien signifier qu’au nom de la galère, il y a de la noblesse à arnaquer les autres. Diantre ! Regardons un peu les brouteurs/tapeurs vaquer à leurs occupations d’arnaque sur le Web et observons ce que cela leur rapporte. Un petit tapeur – petit parce que sa science ne lui a pas encore rapporté des millions – m’a raconté que lorsqu’il va chercher son argent dans les agences sous le nom d’Elise Ferrant, de Bintou Kwélé ou de Caroline Dubois, il n’a bien évidemment pas de pièces correspondant à ces différentes identités. Il a donc deux ou trois ‘’tanties gentilles’’ caissières prêtes, moyennant 10% du montant encaissé à lui remettre l’argent. Quelques fois, nos fins limiers l’attendent à la sortie. Quand ça se passe mal, il reçoit quelques baffes et son argent est confisqué ; quand ça se passe bien, le flic prend 60% du montant et se propose d’être son protecteur pour le prochain « encaissement ». Les âmes sensibles de l’autre côté de l’Atlantique peuvent bien se pendre ou aller se reposer à l’asile, il faut bien que quelques-unes commencent à payer pour la dette coloniale. En plus, le tapeur a des parents pauvres, les caissières ont un salaire de misère, les policiers ont du mal à joindre les deux bouts. Voire.

Au quotidien, une nuée de fillettes va offrir ses services au grand marché d’Adjamé. Parmi ces gamines frêles, certaines sont vendeuses de sachets plastiques, d’autres s’improvisent porteuses de bagages. Elles vont aideront à faire votre marché en tenant notre panier, proposeront de vous raccompagner à la voiture. Veillez à ce que vos pas aient la même allure sinon vous pourriez perdre toutes vos provisions qui transiteront pour tri dans un magasin quelque part au fin fond du marché, avant de se retrouver sur d’autres étals. La thèse est facile ; elle est devenue classique : il faut manger pour vivre, or la galère nous affame. Donc, tout peut y passer ! L’arnaque téléphonique, la mendicité avec support pictural, la corruption clandestine et quotidienne dans l’administration, la grande mode de la cybercriminalité aux mains d’adolescents gloutons et même les intermittences de malhonnêteté des nantis.

Cependant, si nous cherchons sans sermon les causes de ces comportements qui illustrent l’attrait face aux gains faciles, nous devons reconnaître qu’il est urgent de trouver des solutions durables à la galère, ce bateau sur lequel est embarqué la majorité de la population. Comment rester insensibles aux efforts, quelquefois à la limite du harcèlement, que fournissent ces jeunes gens dans les parkings ou sur le moindre espace où peut se garer une voiture ? Les laveurs de vitres, les cireurs et tous les autres faiseurs de petits métiers sont à la tâche, pour survivre. Et tous espèrent légitimement une solution à la vie précaire qu’ils mènent, dans les meilleurs délais. Fier d’être un truand ? Non, parce que la galère – ni la richesse – ne saurait tout justifier ! Le droit de penser par soi-même ne permet pas de légitimer toutes les opinions car il serait bien présomptueux de croire qu’émettre un avis, même fondé sur le « bon sens », suffit à le justifier !

OUMOU.D in FRATERNITE MATIN

Fri, 09 Nov 2012 01:57:00 +0100

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La Dépêche d'Abidjan

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