« Quiconque tient l'histoire d'un peuple tient son âme, mais quiconque tient la spiritualité d'un peuple le contraint à vivre sous le joug d'une servitude éternelle. »

Cheikh Anta DIOP
Categories: Lu pour vous

La charia expliquée aux nuls

Le chef du Conseil national de transition libyen Moustapha Abdeljalil a suscité l’émoi en annonçant l’adoption de la charia en Libye. LEXPRESS.fr fait le point sur cette notion finalement très vague.
Va-t-on désormais couper les mains des voleurs en Libye? Les déclarations de Moustapha Abdeljalil, chef du Conseil national de transition (CNT) libyen, sur l’adoption de la charia comme base de la législation en Libye, dimanche, ont suscité des inquiétudes de l’autre côté de la Méditerranée. Il est toutefois revenu en arrière, en assurant "qu’en tant que Libyens nous sommes musulmans, mais musulmans modérés". Que représente exactement ce concept?

Qu’est-ce que la charia?

Littéralement, c’est la "voie d’accès à la loi divine". "C’est à l’origine une notion plus religieuse que juridique", souligne le juriste Baudouin Dupret, directeur du centre de recherches Jacques Berque, à Rabat, au Maroc, interrogé par LEXPRESS.fr. "Ce n’est que progressivement que l’on a eu tendance à vouloir incorporer des préceptes moraux dans la loi moderne". "La charia c’est à la fois des principes très généraux comme la justice, la tolérance, et des notions plus précises comme le droit de la famille où le droit pénal", explique Saïd Haddad, chercheur à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman.
La charia codifie tant les aspects publics que privés de la vie d’un musulman. Au nom de la loi islamique, on peut régir les transactions financières, le code de la famille -qui par exemple autorise la polygamie-, l’héritage -les hommes héritent du double de leurs soeurs-, et un certain nombre d’interdits concernant la tenue vestimentaire, les règles alimentaires, mais aussi les infractions pénales et les affaires judiciaires.

A quoi s’applique-t-elle?

"La charia n’est pas un corpus de règles détaillées", explique Baudouin Dupret. Dans les pays où la Constitution fait référence à la charia, "rien n’établit concrètement ce qu’il faut entendre par ce mot. Tout est affaire d’interprétation", précise le chercheur. En Egypte, par exemple, il existe l’équivalent d’une Cour constitutionnelle chargée d’interpréter les applications de cette loi. "Le droit des pays musulmans a été influencé par des règles d’inspiration coraniques, mais il est chapeauté par une législation bâtie sur le modèle juridique européen", souligne Baudouin Dupret.

"Affichage symbolique"

"Il s’agit la plupart du temps d’un affichage symbolique destiné à marquer l’ancrage dans le monde musulman" analyse Beaudoin Dupret. "C’est parfois aussi un slogan, utilisé par exemple par les Frères musulmans, pour contester la légitimité des régimes en place", ajoute-t’il.
Les applications de la charia dans le droit pénal sont celles qui sont les plus controversées: flagellation, lapidation, amputation. Mais elles sont assez rarement appliquées: "La grande majorité des 50 pays membres de la Conférence islamique ont des systèmes de loi civile très éloignés des châtiments traditionnels", explique Ali Mazrui de l’Institute of Global Cultural Studies.
"L’image caricaturale des peines corporelles pratiquées au nom de la charia n’est que rarement mise en application", confirme Baudouin Dupret. Contrairement aux idées reçues, "dans la plupart des pays musulmans, l’héritage islamique est peu appliqué au droit pénal. La consommation d’alcool par exemple, n’est pas punie par des peines corporelles; l’apostasie n’est pas condamnée par la peine de mort, sauf en Arabie saoudite et au Soudan". Et toute une batterie de mesures permet de réduire les peines qui pourraient être prononcées au nom de la charia.

Où est-elle en vigueur?

On l’oublie souvent, mais la plupart des pays musulmans font déjà référence à l’islam dans leurs institutions. L’islam est religion d’Etat en Algérie, en Arabie saoudite -et tous les pays du Golfe-, en Libye, en Egypte, au Maroc et même en Tunisie (voir le tableau publié dans L’Histoire), ainsi qu’en Iran, au Pakistan, en Afghanistan, au Soudan, en Somalie et dans quelques États du nord du Nigeria.
En outre, la signification de la notion de charia varie d’un pays à l’autre. Dans la plupart des pays musulmans, l’influence de la charia concerne surtout le droit de la famille ou la finance islamique. "Il y a tant d’interprétations possibles de ce que signifie la charia qu’elle peut être incorporée assez facilement dans les systèmes politiques", juge Steven A. Cook, spécialiste du Proche-Orient au Council on Foreign Relations.

Depuis quand la charia inspire-t-elle les législations?

Les régimes autoritaires, qui ont usé et abusé de leur rôle de rempart contre l’islamisme dans les années passées, "n’ont pas sécularisé les sociétés", rappelait Olivier Roy dans un chronique du Monde en février dernier, "au contraire, sauf en Tunisie, ils se sont accommodés d’une réislamisation de type néofondamentaliste". C’est parfois au moment même ou les régimes s’alignaient sur l’Occident que ces régimes ont renforcé la référence faite à l’islam et à la charia dans leur législation, comme Zia ul-Haq au Pakistan en 1978 ou Sadate en Egypte, en 1971 puis en 1980.

Le cas de la Libye

On l’ignore peut-être, mais Mouammar Kadhafi qui a "dissous tour à tour l’Etat, le gouvernement et l’armée" a en revanche instauré la charia en 1994. Le "Livre vert" de l’ancien despote qui lui tenait lieu de bréviaire, affichait pourtant "une volonté d’égalité entre les hommes et les femmes", indique Saïd Haddad, chercheur à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman. Et leur place dans la société libyenne y est plus affirmée qu’en Egypte par exemple. "On compte 2 femmes pour un homme inscrit à l’université", indique le chercheur.
Mais la société libyenne est fortement conservatrice et patriarcale, explique-t-il. "Le modernisme affiché par Kadhafi n’était que du vent", estime quant à lui Baudouin Dupret qui rappelle que "le régime de Kadhafi a empêché tout débat d’idée depuis 40 ans". Pour lui le droit familial et pénal va faire l’objet de négociations musclées entre les différentes composantes du nouveau pouvoir, dans un pays structuré par le tribalisme et le conservatisme religieux.

lexpress.fr

Wed, 26 Oct 2011 21:28:00 +0200

0
La Dépêche d'Abidjan

Recent Posts

Côte d’Ivoire : Une première injustice ne doit jamais être tolérée

J’ai regardé aujourd’hui une vidéo dans laquelle une dame, en pleurs et s’exprimant tantôt en…

13 heures ago

Le monde noir de demain : Africain… Américain… woke… décolonial… sinon bien au delà ?

Ivoiriennes, Ivoiriens, chers Amis L'on va célébrer un peu partout dans le monde le 80e…

3 jours ago

Côte d’Ivoire : Le laisserons-nous avoir un quatrième mandat ?

Le retour de la Côte d’Ivoire au programme du Ppte (pays pauvres très endettés) annoncé…

5 jours ago

NIGERIA : Daniel Ojukwu, symbole des menaces qui pèsent sur les journalistes d’investigation

Le journaliste d’investigation Daniel Ojukwu, membre de la Fondation pour le journalisme d'investigation (FJI), a…

1 semaine ago

L’art de dire et de se dédire aussi facilement

En 2010, Achille Mbembe, qui n’est pas philosophe mais historien, invitait les Africains qui «…

1 semaine ago

This website uses cookies.