« Quiconque tient l'histoire d'un peuple tient son âme, mais quiconque tient la spiritualité d'un peuple le contraint à vivre sous le joug d'une servitude éternelle. »

Cheikh Anta DIOP
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La peau noire des colons : Quelles indépendances ?

Le cinquantenaire de l’ « indépendance » de la Côte d’Ivoire, loin d’être exclusivement un moment de fête, de réjouissance, enjolivé par des prestations d’artistes, des défilés militaires comme démonstrations de forces, et des discours soporifiques d’hommes politiques et d’acteurs de la vie socio-économique, sera, comme le veut le Président Gbagbo, un moment de réflexion. Un moment où l’on arrête de boire, de manger, de danser, de jouir et de se réjouir. Mais un moment pour jeter un regard rétrospectif critique, pour faire un diagnostic des maux présents, pour rechercher les voix et moyens de trouver les solutions adéquates à ces maux, et pour faire des propositions adéquates et concrètes constructives pour le bien-être des générations présentes et futures. Sans ce moment de réflexions suivis d’effets positifs, toutes les festivités d’indépendance à venir ne seront qu’absurdes et ridicules ; car elles ne seront que des exutoires et des moyens purgatifs éphémères de nos maux, comme le sont très souvent les fêtes de fin d’années.

Pour la Côte-d’Ivoire, comme pour tous les pays africains, il faudra poser la problématique du néo-colonialisme. Sommes-nous depuis « l’indépendance » embarqués dans le navire de l’indépendance illusoire ou de l’indépendance réelle ? Espérant revenir prochainement sur cette interrogation, mettons la entre parenthèse, pour poser cette autre interrogation d’actualité ivoirienne: Quel honneur, quelle fierté et quelle dignité a-t-on de fêter un cinquantenaire de l’ « indépendance » à coût de milliards, quand la démocratie est en panne, quand le pays reste divisé et une partie du territoire est sous occupation rebelle depuis plus de sept ans, quand cette situation plonge la majorité du peuple dans la misère la plus infamante, dans le dénuement total, dans une lutte pour la survie sans précédent ?

Pour que la fête du cinquantenaire de l’indépendance de la Côte-d’Ivoire ne soit ni absurde ni ridicule, pour qu’elle ait un début de sens, la rébellion devra prendre congé des ivoiriens ; à défaut, ceux-ci devront se débarrasser d’elle. L’indépendance du peuple ivoirien, c’est avant tout sa souveraineté sur toute l’étendue de son territoire, et non sa dépendance d’une rébellion qui doit lui dicter sa « loi » selon ses caprices et ces humeurs, et encouragée en cela par son couronnement au poste de premier ministre. Tout comme ces rebelles, tous leurs soutiens et alliés connus, secrets et stratégiques sont les ennemis de l’indépendance chèrement conquise par nos parents, grands-parents et arrières grands-parents. L’indépendance était pour ces derniers une promesse de liberté, de développement, d’élévation du niveau de vie, de bien-être, de bonheur pour eux et pour les générations futures. Les politiques ce sont depuis toujours efforcés de transformer cette espérance en illusion.

Si nous africains avons « chassé » le colon blanc pour nous substituer à lui d’une manière ou d’une autre, nous sommes perdus pour des siècles. En réalité, le colon a changé de peau, ce n’est plus le blanc, le toubab, c’est l’homme africain lui-même. Après avoir« chassé » le toubab, dans la majorité de nos pays africains « indépendants », on a malheureusement continué ses pratiques en les reproduisant fidèlement ou sous d’autres formes.

Kwame Nkrumah, dans son livre intitulé “ L’Afrique doit s’unir“, résumant les pratiques coloniales et les réduisant à leur identité essentielle, écrit ceci : « Anglais, Français, Portugais, Belges, Espagnols, Allemands, Italiens : tous ont une fois ou l’autre gouverné des régions d’Afrique ou le font encore. Leurs méthodes ont pu varier, mais leur but était le même : s’enrichir aux dépens de leurs colonies. » (Edition Présence Africaine, p36) Pillages des richesses par une minorité et pour son seul profit au détriment de la majorité souffrante, obstacle au développement des pays africains, en faisant fi de la couleur de peau des colons, la colonisation fut essentiellement cela. De ce point de vue, tous les corrompus noirs de tous ordres, tous les forcenés de détournements des deniers publics qui, par leurs actes, sont la cause de la souffrance de la majorité des africains et font obstacle au développement de nos pays, sont les auteurs noirs du néo-colonialisme, manipulés et aveuglés par leurs intérêts égoïstes, par leur cupidité pathologique. Pour se débarrasser de ces colons à la peau noire, l’Afrique devra être enceinte d’une autre révolution. Le champ du coq de cette révolution sera le crépuscule d’une part considérable des douleurs et des souffrances des peuples noirs, qui annoncera l’aurore des cris de d’allégresse, dont les échos seront plus retentissants quand seront tombés tous les bastions du néo-colonialisme. Alors l’Indépendance commencera à devenir une réalité pour l’Afrique en générale.

ZEKA TOGUI

Thu, 22 Apr 2010 09:19:00 +0200

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La Dépêche d'Abidjan

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