« Quiconque tient l'histoire d'un peuple tient son âme, mais quiconque tient la spiritualité d'un peuple le contraint à vivre sous le joug d'une servitude éternelle. »

Cheikh Anta DIOP
Categories: Politique

Les journaux africains enterrent Wade

Le «Sopi», ce mouvement de changement incarné par Abdoulaye Wade à son arrivée au pouvoir au Sénégal en 2000, serait-il d’ores et déjà enterré?

Les manifestations du 23 juin 2011 contre le projet de loi visant à instituer un ticket pour l’élection présidentielle de 2012, et celles du 27 juin contre les coupures intempestives d’électricité dans la capitale sénégalaise auraient-elles sonné le glas du système Wade?

C’est en tout en tout cas la lecture que font la plupart des éditorialistes et commentateurs de la presse africaine.

La «révolution»

Pour le journal en ligne Guinée Conakry Info, c’est carrément «la révolution aux portes de Wade», vu l’ampleur de la mobilisation populaire, vu la rapidité avec laquelle les Sénégalais sont descendus dans la rue; vu aussi la volte-face du président Wade qui a aussitôt fait retirer des débats à l’Assemblée nationale le projet de loi qui a mis le feu aux poudres. Le journal estime qu’il s’agit là d’une «bonne occasion pour définitivement faire partir Wade». L’éditorialiste se demande d’ailleurs «quelle mouche a bien pu piquer le président sénégalais quand on voit la vitesse avec laquelle il a fait machine arrière»:

«Peut-être que jusqu’ici, il n’avait conscience du rejet dont il était l’objet au sein de la population sénégalaise.» Il conclut en précisant que «l’entêtement pouvait entraîner pour lui le même sort que ses ex-homologues égyptien et tunisien».

«La tentation néocoloniale»

C’est le quotidien dakarois Walf Fadjri qui est le plus virulent. Le 29 juin, il titrait «Panique au sommet» en évoquant un coup de fil que Karim Wade, fils du président et ministre de la Coopération internationale, des Transports aériens, des Infrastructures et de l’Energie, aurait passé au président français Nicolas Sarkozy le 27 juin pour solliciter l’intervention de l’armée française afin de contenir les manifestations. Une demande à laquelle, ajoute le journal, «l’Elysée aurait opposé une fin de non recevoir puisque les ressortissants français ne sont pas menacés». Pour Walf Fadjri, il s’agit d’un lâchage en règle. Et de dénoncer à la fois «la scandaleuse confusion népotiste qui règne au sommet de l’Etat» et la «tentation néocoloniale».

Dans tous les cas, le journal fait savoir que le vent de révolte qui souffle en ce moment à Dakar et dans le tout le pays semble inquiéter sérieusement le régime de Wade. Le président sénégalais n’est par exemple pas présent au 17e sommet des chefs d’Etat de l’Union africaine (30 juin et 1er juillet) organisé à Malabo, en Guinée équatoriale.

Le 30 juin, le quotidien titrait: «Wade rate le vol pour Malabo», sûrement par crainte d’être moqué à son tour par ses pairs africains, «ceux-là même qu’il ne cesse de traiter de despotes». Pour Walf Fadjri, «beaucoup d’observateurs le classent maintenant au même niveau que les dictateurs qui veulent se maintenir au pouvoir à tout prix».

Le journal publie également une longue tribune des initiateurs du Mouvement du 23 juin, qui cherchent à internationaliser leur action en contactant les organisations internationales.

«Nous n’accepterons pas que les gens attendent que le pays s’embrase, comme ça a été le cas en Côte d’Ivoire, pour essayer, après, de jouer aux sapeurs-pompiers», dit la tribune.

«Comment ça va finir?»

Le Soleil, quotidien pro-gouvernemental sénégalais, fait évidemment entendre un autre son de cloche. Depuis les événements de Dakar, le quotidien appelle au calme et à la raison et publie une série de réactions des partis membres de l’Alliance Sopi pour toujours (AST), proche du président Wade, mais surtout des réactions de l’Union des jeunesses travaillistes libérales (UJTL).

L’UJTL veut par exemple installer des «sentinelles de la démocratie» pour «défendre le régime, les biens de l’Etat et les responsables de la mouvance présidentielle contre toute agression.» Bara Gaye, le tout nouveau secrétaire général des jeunesses travaillistes se veut même un peu menaçant:

«Les ennemis de la démocratie sont désormais identifiés et seront traités comme tels.»

Il n’empêche, pour le journal burkinabè L’Observateur, les manifestations des 23 et 27 juin sont un succès total. Au point que, le 29 juin, il titre en une, sur le ton fleuri que l’on connaît dans certains pays ouest-africains: «Sénégal: C’est ça on appelle opposition». L’Observateur estime que Wade est allé beaucoup trop loin et que dans la tourmente provoquée par sa dernière lubie, «l’attitude de l’opposition sénégalaise force l’admiration. Elle a le mérite de présenter des objectifs clairs, limpides et juridiquement soutenables». Reste à savoir comment tout cela va finir, se demande enfin le journal.

«Colère noire à Dakar»

Cameroon Tribune est l’un des rares journaux d’Afrique centrale à traiter de la crise sociopolitique au Sénégal. Le quotidien pro-gouvernemental camerounais revient sur les deux grandes manifestations qui ont secoué la capitale sénégalaise. Il rapporte le bilan des affrontements entre les populations et les forces de l’ordre, indiqué par les officiels dakarois, à savoir 102 blessés.

Le journal s’essaie à un exercice le plus neutre possible en n’indiquant que les faits. Mais il titrait tout de même: «Wade recule». Pour le quotidien de Yaoundé, «la population a montré la profondeur de sa colère et son profond désaccord face à ce projet de loi du gouvernement, qualifié de hold up par les opposants.»

Bien difficile pour la presse africaine de parler d’une autre voix que celles des populations qui sont descendues dans les rues de Dakar les 23 et 27 juin…

Raoul Mbog in slateafrique.com

Sat, 02 Jul 2011 10:03:00 +0200

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La Dépêche d'Abidjan

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