L’oeil de Glez – La maladie du président et la gangrène de la rumeur

La curiosité que suscite la santé des chefs d’État africains n’a d’égal que le mystère qui l’entoure. Mystère bien souvent contre-productif : plus les sérails présidentiels ont la réputation de cacher le moindre éternuement de dirigeant, plus les citoyens scrutent les dilatations de narines et échafaudent des diagnostics fantasques, diagnostics immédiatement sources de rumeur. Le président a-t-il maigri ? C’est qu’il est souffrant, sur un continent où l’embonpoint est synonyme de "bonne forme", surtout quand on vit dans le confort d’un palais. Et comme le citoyen sous-informé devient hypocondriaque à la place de son "chef", des joues présidentielles inhabituellement rebondies peuvent également être interprétées comme l’effet secondaire d’un traitement à la cortisone…

Si les récents efforts de transparence de la présidence ivoirienne au sujet de soucis de santé d’Alassane Ouattara, – même partiels – ont été salués, c’est qu’ils sont déjà exceptionnels sur un continent où les supputations sont reines, seule alternative aux fréquentes censure ou intoxication. Et la déontologie médicale dans tout ça ? Si un médecin assermenté a pu officiellement qualifier de "mort naturelle" l’assassinat de Thomas Sankara, pourquoi ne présenterait-il pas un cancer de l’œsophage comme une luxation du poignet ? Un président qui a l’ambition de ne jamais quitter le pouvoir doit forcément y mourir, ce qui suppose, pour éviter une destitution, la dissimulation ou le maquillage de son déclin physique. Dans le pays d’Alassane Ouattara, justement, le "vieux" Félix Houphouët-Boigny était passé maître dans l’art de couvrir d’un voile pudique son passage inéluctable de vie à trépas. Conséquence de cette culture de la manipulation : les Ghanéens se posèrent mille questions au décès inopiné de leur président John Atta Mills. Au royaume du secret médical, gratter son oreille devient suspect…

Le mutisme des présidences sur la santé des dirigeants n’est pas l’apanage de l’Afrique. C’est au pouvoir que le Français Georges Pompidou mourut, perclus de septicémie, quand on le disait souffrir de simples rhumes et d’hémorroïdes anodines. Et l’Afrique, comme l’Europe, est passée au XXI e siècle. 15 ans après la condamnation du journaliste Pius Njawé qui s’était interrogé sur le fonctionnement du cœur de Paul Biya, les peuples ne sont plus dupes. Leurs sources d’information et leurs outils de communication étant fulgurants, les cabinets présidentiels tentent désormais de céder des bribes d’informations crédibles. Et comme les mots, même en jargon médical, sont sujets à cautions, les images deviennent prioritaires. Faire bonne figure doit censément calmer les affabulations des citoyens. Quoique…

En 2013, dès que le président algérien Abdelaziz Bouteflika a été présentable -quelques mois, tout de même, après son accident vasculaire cérébral- un maladroit montage audiovisuel essayait de montrer un président très actif. Mais la robe de chambre est-elle la tenue adéquate pour donner l’impression qu’on gère une nation ? Et le mouvement artificiellement répétée d’un bras fait-il oublier la parésie de l’autre ?

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Wed, 12 Feb 2014 20:35:00 +0100

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