Reportage / Fête Djidja : La fête du grand pardon

Photo : DR
L’EFFERVESCENCE…

Il est 19h05mn, ce samedi 04 septembre 2010, lorsque nous faisons notre entrée à la gare de Grand Morié à Agboville. Sous le hangar, les pas- sagers sont rassemblés et les bagages jonchent le sol. Des tubercules d’ignames et des denrées alimentaires sont entassées en vrac. Le visage mé- dusé, des voyageurs sont ahuris par le ballet incessant et le vrombissement des moteurs de véhicules. La longue attente exaspère visiblement les fêtards qui n’ont aucun scrupule à se jeter dans les premiers Taxis-brousses qui pénètrent dans la gare. La file indien- ne ne désemplit pas. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les clients sont superposés. On se suit à la queue leu- leu. Finalement, c’est à 22h12 mn, après avoir fait le pied de grue que nous prenons place à bord d’une voi- ture de couleur verte. Le cap est mis sur Grand Morié. Dans le véhicule, nous sommes immanquablement confinés : sept (7) personnes au lieu de 5 personnes en temps normal. Fête oblige ! 15mn plus tard, nous sommes sur la terre d’Ernest Boka après avoir surfé sur une voie bitumée longue de 12 km. Dans ce gros village d’envi- ron cinq (5) mille âmes, les Taxi- brousses vont et viennent à un ryth- me saccadé. Bagages sur la tête, sacs portés en bandoulière, les Abbey de la ‘’diaspora’’ descendent sur la pla- ce du marché du village. Au milieu des baluchons, des volailles avec un regard penaud, se laissent transporter de fa- çon fainéante. Le comité d’accueil, lui, est rustique. A la vue d’un invité ou d’un parent, les membres des diffé- rentes familles s’écrient presqu’en chœur ‘’Atouhou’’ (Ndlr : bonne ar- rivée en langue Abbey). Les foyers s’inondent à mesure que les heures passent. L’ambiance est fiévreuse dans les cabarets ou bistrots. La joie est telle qu’elle se ressentait à travers les nombreuses bouteilles décapsulées, les senteurs frénétiques de volailles boucanées et les odeurs des poissons braisés… Une odeur de fête.

LA FÊTE DJIDJA : L’ALLÉGORIE D’UNE COEXISTENCE PACIFIQUE

Célébrée annuellement, le ‘’Djidja’’ est une fête de réjouissance populaire en pays Abbey. C’est l’occasion rêvée pour les Abbey de la ‘’diaspora’’ de réaliser un véritable ‘’cahier d’un re- tour au pays natal’’. Moment de partage et de retrouvailles, le ‘’Djid- ja’’ s’étend sur trois jours au cours des- quels culture et tradition sont au menu des différents débats. Abusive- ment qualifiée de fête des ignames, le ‘’Djidja’’ est un rituel de purification qui marque le nouvel an dans le canton Morié. Le vocable ‘’Djidja’’ est composé du préfix ‘’Dji’’ qui signifie l’eau et ‘’Dja’’ qui veut dire ‘’se jeter, se baigner’’. ‘’Djidja’’ revient à dire se purifier ou par extension ‘’ naître de nouveau’’. La preuve en a été faite à Grand Morié, dans la région de l’Agnéby. Le 1er jour, de blancs vêtus, le visage badigeonné de kaolin, des femmes épluchent des tubercules d’ignames. Des grosses marmites sont déposées sur des foyers compo- sés de trois (3) morceaux de bois. Par- tout, sourires, grimaces et embras- sades câlines assaisonnent les ren- contres ! La particularité de ce jour ré- side dans le régime alimentaire. C’est la purée d’ignames, localement appe- lée ‘’foufou’’ d’igname accompa- gnée de la soupe de poulet, qui est inscrite au buffet gastronomique du village. L’on savoure la nouvelle igna- me. La condition sine qua non est que le ton de la dégustation est donné par le chef de terre central dénommé Na- nan Kotchi Kanga du village de Grand Morié.

‘’DJIDJA’’ : FÊTE DES IGNAMES OU CÉLÉBRATION DE L’UNION SACRÉE ?

La fête Djidja permet une rencontre des peuples Abbey disséminés à tra- vers les différentes contrées de la Côte d’Ivoire. A la veille de ce jour sacré, toutes les querelles intestines sont obli- térées afin de permettre aux sujets du village d’être en odeur de sainteté avec leurs semblables, et ainsi entrer dans la nouvelle année avec des bénédic- tions. Le 2ème jour est plus convivial. Ce jour-là, l’hospitalité du peuple Abbey est mise à l’épreuve. Les dix- neuf (19) grandes familles que comp- te le village Grand Morié, n’hésitent pas à se bousculer ou se chamailler pour s’arracher le plus grand nombre de convives. L’affluence des hôtes au sein d’une famille marque l’amabilité, l’enthousiasme et la jovialité de celle- ci. Quand les femmes rivalisent d’ar- deur et de talent dans les cuisines, les hommes, eux, se jaugent en nombre de bouteilles vidées et se saoulent vo- lontiers au moyen des litres de bois- sons locales ou importées: ‘’Bangui’’ (vin de palme) et ‘’Koutoukou’’, (li- queur de fabrication artisanale à for- te dose d’alcool). On déguste à satié- té (foutous de bananes accompagnés de sauces africaines). Le 3ème jour – jour de clôture de la fête ‘’Djidja’’, toutes les têtes couronnés du canton Morié et les populations déferlent sur la capitale Grand Morié. Crépite- ments de tambour, rythmés des ins- truments à vent (cornes). Le tout sous le regard vigilant des fétiches protecteurs du village Morié et des prêtresses traditionnelles Komians qui aspergent le public « pour exorciser les mauvais esprits ». Cet instant est d’autant plus prépondérant que tout le monde s’attèle à y être pour recevoir des mânes des ancêtres dif- férentes bénédictions. Bénédictions données par le chef de terre central, Nanan Kotchi Kanga qui, ce jour-là, est singulièrement vêtu de couleur des dieux : le blanc. Chaque grande famille se présente à la cérémonie munie de liqueur ou de vin de palme. Nanan Kotchi Kanga en fait un mélange dont il utilise pour des libations : le patriarche demande aux génies protecteurs du canton Morié de renouer le pacte de coexistence pacifique pour la nouvelle année. Soulignons au passage que le peuple Abbey ne re- connaît qu’au chef de terre des attri- buts et l’exercice du pouvoir. Le chef de village, lui, ne bénéficie d’aucune considération. Selon une anecdote locale, en 2008, un chef de famille avait osé porter main au chef de terre cen- tral du canton Morié. La famille du fautif a été purement et simplement excommunié. Aussi, a-t-elle été som- mée de quitter le village manu militari.

GRAND MORIÉ, UNE CAPITALE RUSTIQUE

Érigé en sous-préfecture en 1997, Grand Morié compte aujourd’hui en- viron cinq mille (5000) âmes. Ville aux allures rustiques, la capitale du canton Morié affiche une architecture pitto- resque avec des toitures enrouillées par les effets conjugués de la pluie et des rayons du soleil. Dans ce paysage ar- chaïque, de nouveaux édifices dres- sent fièrement leurs architectures modernes. En outre, la formation spirituelle y est assurée par des respon- sables religieux issus de diverses congrégations religieuses : Catho- lique (Paroisse St Thomas d’Aquin), Evangélique, Harris et musulmane (Mosquée de Dioulakro). En plus, la voie principale, bitumée, donne un air de modernité avec ses panneaux de signalisation qui réglementent une cir- culation presque inexistante, compte tenu du flux de véhicules. Le soir, d’énormes boules de feux s’allument et éclairent ainsi de leurs lumières abondantes les différentes artères. Grand Morié possède un atout tou- ristique : le Mausolée d’Ernest Boka. Il a été construit en 1997 de la volonté de Henri Konan Bédié alors Prési- dent de la République de Côte d’Ivoi- re, pour rendre hommage à Ernest Boka (fils de la région décédé le 6 avril 1964). L’édifice qui, jadis, faisait l’es- time du village, a désormais plus que le triomphe modeste. Il n’attire plus le regard des visiteurs comme par le passé. Le Mausolée est éculé par le poids des années. Au plan sanitaire, la sécurité sociale est assurée par un dépôt pharmaceutique et un centre de santé urbain d’un plateau tech- nique assez restreint. Un médecin, trois (3) infirmiers et une sage-femme, c’est l’arsenal mis en place par le mi- nistère de la santé et de l’hygiène pu- blique pour venir à bout des maladies récurrentes que sont : le paludisme et les infections respiratoires (rhume et toux). Lorsque des pathologies liées à l’hypertension et au diabète arrivent à être diagnostiquées, cela relève d’une véritable prouesse technolo- gique. Des sources médicales soutien- nent qu’au titre des précautions, un accent est particulièrement mis sur l’usage des moustiquaires impré- gnées et l’hygiène environnementa- le. Le taux de natalité y est très élevé quand celui de la mortalité est en chu- te libre. L’activité économique reste dominée par les cultures vivrières à sa- voir le manioc (aliment de base) et les petits commerces. Les dimanches – jour de marché, tous les commerçants des villages voisins viennent à Grand Morié pour ravitailler les populations allogènes, autochtones et étrangères. On observe sur les éventaires du vivrier, des cultures maraichères, les friperies, des produits cosmétiques, etc. La fête Djidja est une période rêvée pour l’activité commerciale. Les gé- rants de cabines cellulaires, les tenan- ciers de maquis et bistrots, les com- merçants font de bonnes affaires. Par exemple, Boka Boni, coiffeur, dit avoir qua-triplé son chiffre d’affaire ha- bituel (2000 à 9000 FCFA). Kobena Kossonou, livreur de liqueur local ‘’Koutoukou’’ s’est réjoui d’avoir écoulé, en un seul jour, à ses clients (buvettes et cabarets) plus de cent (100) litres de cette boisson enivran- te contre cinquante (50) litres par se- maine. Même les vendeurs de frian- dises et beignets ne demeurent pas en reste, tout le monde y trouve son compte.

Avec l’Intelligent d’Abidjan / Par Patrick Krou, envoyé spécial à Grand Morie

Thu, 18 Nov 2010 08:44:00 +0100

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