« Quiconque tient l'histoire d'un peuple tient son âme, mais quiconque tient la spiritualité d'un peuple le contraint à vivre sous le joug d'une servitude éternelle. »

Cheikh Anta DIOP
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Trois braqueurs tués par la PJ : halte aux tueries inutiles

Au lendemain de la journée internationale des droit de l’Homme et alors que la Côte d’ivoire vient tout juste d’être admise au conseil des droits de l’Homme de l’ONU et que la vague de critique essuyée par le pouvoir sur la torture des prisonniers s’éloigne de l’actualité, voila que trois individus suspects sont tués par la police relançant la question de la violation des droits de l’homme en Côte d’Ivoire. Bien sur très peu d’ivoiriens, vu l’insécurité galopante, sont enclin à s’émouvoir de la mort de supposés braqueurs, eux qui sont quotidiennement détroussés par ces hommes sans foi ni loi. Les douze millions de prime à la (IN) compétence offerts par Hamed Bakayoko ainsi que la large couverture de l’événement démontrent toute la satisfaction du ministre. Peut être est-il en cela conforme aux attentes sociales d’un public assoiffé de vengeance et qui récuse l’application de Droits voire le titre d’Homme, à ceux qui ont décidé de voler, pardon de braquer. En effet, les criminels à cols blanc et les criminels de guerre qui se compte par millier ne subissent pas ce sort alors bien même qu’ils sont les plus nocifs à la société.
De plus, l’opposition si prompte à dénoncer les abus des dozos et FRCI est étrangement muette du fait sans doute que cette fois-ci il s’agit de la police qu’elle a présentée comme le symbole du professionnalisme contre l’amateurisme et l’analphabétisme des premiers. Inutile de rentrer dans ce jeu malsain de comparaison vicié par la politique et les pseudoraisonnements, car toute bonne méthode d’analyse nécessite une comparaison systématique des acteurs et des faits. Sur ce plan, le rapport de la commission sur la crise postélectorale relatif aux violations des droits de l’homme a établi sans équivoque que le niveau de violation est croissant selon le niveau d’étude : en bas, on a les dozos, au milieu les FRCI et au sommet les FDS, autrement dit, plus les ivoiriens vont à l’école plus ils commettent des crimes. La police judiciaire est depuis des lustres abonnée aux exécutions sommaires des braqueurs.

Mais revenons aux faits : Le moins qu’on puisse dire à défaut d’accuser la police d’assassinat est que si elle avait une once de professionnalisme, les choses se seraient passées autrement. Elle avait selon le récit rapporté par le journal Soir Info une longueur d’avance sur les braqueurs du fait d’un appel anonyme reçu la veille qui l’informait du projet criminel. On aurait pu filer ces bandits une semaine encore pour voir toutes les ramifications de l’attaque, tous les complices, des fournisseurs d’armes aux concepteurs du projet et les cueillir tout en douceur. La police aurait également pu faire avorter le projet et procéder immédiatement à l’arrestation du complice qui travaillait dans la banque, le passeur d’armes, avant de neutraliser les autres dès leur arrivée. De plus, les braqueurs ont renoncé volontairement à leur projet supposé et sont repartis ne se sachant pas suivis, la PJ avait donc tous le loisir de mettre des barrages routiers et un dispositif dissuasif ou les suivre jusqu’à leurs domiciles, bref attendre le moment idéal avant de procéder à leur arrestation en toute sécurité, pour les policiers et pour les braqueurs. Mais que non. Elle en a décidé autrement. Comme à son habitude et sous pression des pouvoirs publics, il fallait sans doute tuer pour que cela serve d’exemple et terroriser selon les termes d’Hambak les braqueurs dont les velléités sont mal contenues à cette période de l’année. Si l’attitude populiste du ministre de l’Intérieur est sujette à caution, il serait abusif de lui mettre toute l’affaire sur le dos et oublier ainsi d’analyser la constante de tels faits depuis les années 1980.

En effet, la question qui se pose ici la forte punitivité de la société ivoirienne vis-à-vis des braqueurs ou personnes supposé tels. C’est la première et seule option des pouvoirs publics à chaque fois qu’est ressentie une vague de criminalité. En 1985 la BAC (brigade anti criminalité), en 1990, la SAVAC (secours et assistance aux victimes actes criminels), en 2000, le PC-crise ; 2005 le CECOS (le centre de commandement des opérations de secours) toutes des machines de mort sans compté la PJ que tout bon ivoirien craint, à raison, pour ses exécutions extrajudiciaires et la terreur qu’elle suscite dans les quartiers populaires. Ces exécutions sommaires, il faut le dire tout net, se font en violation des lois du pays. Elles n’honorent pas la dignité humaine et manque certainement de professionnalisme. Sont-elles efficaces et arrivent-elles infléchir la courbe de la criminalité ? Là encore la déception est grande, ses effets sont éphémères, la preuve la plus solide est fournie par la nécessité même de créer à chaque fois de nouveaux corps punitifs signe que les anciens ont échoué. Si la BAC avait réussi, on n’aurait pas créé la SAVAC. Le succès de cette dernière aurait épargné la création du pc-crise et ainsi de suite. Bref, si tuer les criminel pouvait mettre fin au phénomène, on le saurait. La seule certitude qu’apporte les études criminologiques sur le sujet est que pour avoir un effet à long terme et s’il faut aller jusque-là (or il ne faut pas, car violation des droits de l’homme) l’assassinat des criminels doit s’insérer dans une stratégie globale bien ficelée. Dans le cas de la cote d’ivoire, il s’agit plutôt d’assassinats sauvages, qui ont pour objet de toujours tuer et de tuer plus que les voleurs, car impossible de faire des omelettes sans les casser des oufs au passage. L’histoire de la SAVAC et de tous les autres est pleine de morceaux de coquilles appelés de façon politiquement correcte : bavures policières et soigneusement cachées au public. De plus, comment voulez-vous que la population balance les braqueurs si elle est convaincue qu’ils seront assassinés. Quelle est cette société ou les gardiens de la loi peuvent s’en affranchir allègrement ? N’utiliseront-ils pas ce pouvoir usurpé, car appartenant à la justice pour se transformer en justiciers, escadrons de la mort ? C’est vrai que le mot a fait fortune en Côte d’Ivoire dans le domaine politique, mais ailleurs comme au Brésil, où il a été utilisé abondamment dans les années 1970, il s’agissait de policiers qui avaient décidé de décimer la pègre brésilienne.

Que faire ? Les parents des victimes de cette détention illégale d’arme à feu, car c’est la seule inculpation qu’on peut juridiquement retenir contre eux, tout le reste étant spéculatif, peuvent et doivent porter plainte contre l’État de Côte d’Ivoire. Mais, malheureusement ces petites gens démunis au plan matériel pour engager des avocats, le sont également sur le plan du capital social, c’est à dire connaissent très peu de personnes de leur entourage capables de les guider vers la justice. D’ailleurs, le problème qui est ici posé comporte des éléments complexes qui pourraient valablement servir de supports adaptés à nos cours de droit trop basés sur des exemples français, et qui de ce fait porte sur des objets morts, car n’appartenant pas à la société ivoirienne, alors que des illustrations tirées de la société peuvent mieux enrichir les connaissances. ici, nous avons affaire dans le cadre du droit pénal général que je connais à un cas d’école sur le désistement volontaire et le début d’exécution d’une infraction. Enfin, et c’est le plus important. Un tel événement ne peut survenir dans un pays qui se respecte sans soulever des questions. Rappelons-nous en France ce terroriste Réda tué par la police et dont l’affaire à fait l’objet d’enquête interne avant de se retrouver pendante devant les tribunaux. Le ministère de l’intérieur et l’exécutif peuvent pour des raisons liées à l’urgence et la raison d’État cautionner de tels faits, mais il est de la responsabilité et de la dignité des pouvoirs judiciaires et législatifs de se poser en rempart, car c’est en cela que se trouve l’essence de leur existence. L’État de droit ne se décrète pas ou comme on le dit à Adjamé «ce n’est pas dans bouche». C’est à l’occasion d’évènements comme celui-ci qu’ils doivent s’affirmer en ouvrant des enquêtes judiciaires ou parlementaires. C’est le lieu de rappeler aux citoyens la part qui leur revient : l’édification d’un État de droit et de la démocratie est un processus collectif de longue haleine, «un championat» qui ne saurait être donné ou garanti par un seul homme (le président), elle commande une attention de tous les instants, pour à chaque fois ramener nos dirigeants que nous aimons tant sur les rails. La tâche n’est pas aisée, car elle commande de nous défaire de nos fanatismes et haines qui ne font pas bon ménage avec la réflexion. Quand il faut dénoncer, il faut dénoncer.

Sun, 16 Dec 2012 13:21:00 +0100

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La Dépêche d'Abidjan

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