29 septembre 1898. Dans un petit village de l’ouest ivoirien, le dernier État de Samory s’écroulait. Mémoire du passé. Devoir de mémoire.

Il y a 121 ans de cela à Guélémou dans l’ouest montagneux ivoirien le dernier opposant à la pénétration coloniale, celui qui se faisait appeler l’Almami Samory Touré signa sa reddition face à l’armée coloniale française. Fait historique important certes, mais qui passe depuis de nombreuses années de façon anodine. L’Afrique noire a cela comme une une tare, cette façon d’oublier sa mémoire. Nous ne sommes toujours pas au rendez-vous des enjeux de notre mémoire. Pourtant, l’Empire samorien a bien lié plusieurs espaces africains et bien mis à contribution deux armées coloniales, celle de la couronne britannique et celle de la France.

Traqué depuis Bissandougou, sa capitale, dans sa Guinée natale c’est dans l’espace ivoirien que Samory Touré a reconstitué son empire en remettant au coeur de sa pensée ses ambitions de conquérant. Le choc des ambitions de conquêtes françaises et samoriennes ont eu lieu dans l’élan de la conquête coloniale française. Paris devrait avoir une main mise totale sur son empire colonial ouest africain. Samory Touré était donc considéré comme un ennemi public numéro un. Il faut le mettre hors d’état de nuire. Deux empires aux mêmes ambitions ne pouvant cohabiter.

L’histoire de Samory Touré est sue. L’ historien Yves Person en a fait sa spécialité. D’autres chercheurs et intellectuels africains lui ont emboîté le pas dans cette dynamique de la recherche. Mais Samory Touré reste toujours un homme énigmatique. Énigmatique de par son talant de conquérant, énigmatique de par ses origines et énigmatique de part sa capacité à intégrer les espaces mais aussi les cultures. Sa Révolution " Dyula " où Dioula a bel et bien lieu depuis le haut Niger jusqu’aux confins montagneux de l’Ouest ivoirien. Le choc des ambitions a donc eu lieu et a tourné en faveur de la France. Il n’est point question pour nous de revenir sur l’homme et de ses ambitions impérialistes ou de conquêtes mais de montrer un pan de l’histoire tracée par Samory que certains historiens et intellectuels africains et spécialistes de Samory passent bien sous silence dans leurs travaux. Le volet résistant étant l’essentiel de leurs préoccupations scientifiques. Nous ne leur tiendrons pas rigueur c’est leur approche. Cette approche négligée, est celle qui fait de Samory Touré à l’instar de ses prédécesseurs que furent Rabat, Bâ Bemba et Ousmane Dan Fodio, l’un des grands esclavagistes dans l’élan de ses conquêtes territoriales mais aussi dans l’élan du choc de ses ambitions qu’il eût avec France. Il ne s’agit pas pour nous de noircir le tableau samorien à dessein mais ces faits en histoire ne peuvent être occultés sous le prisme de nos ambitions scientifiques. L’historien doit dire ce qui s’est passé. Nous ne jugeons pas. Nous ne sommes pas des procureurs en puissance nous exposons les faits, les analysons et les interprétons. C’est en cela que l’histoire est une science d’analyse et d’interprétation.

Une guerre a toujours un coût matériel et humain et une fois dans l’espace ivoirien (1893-1894), Samory Touré allait entrer en contact avec les populations animistes du Nord ivoirien ( tagbana, Djimini, Djamala et sénoufo ) mais aussi musulmanes avec celle de Mory Touré populations Zerma venues du Niger dans le contexte du djihad d’Ousmane Dan Fodio, dans la construction du Royaume musulman de Sokoto. Les guerres de Ousmane Dans Fodio ont entraîné des mouvements de populations. Certaines se sont dirigées vers la Côte d’Ivoire actuelle ce fut le cas des Zerma fondateurs de la cité marchande islamisée de Marabadiassa. Mory Touré avait pénétré l’espace ivoirien bien avant Samory Touré et avait établi des relations commerciales avec les Baoulé. Ces relations n’étaient pas portées que sur les marchandises ( kola, objet de l’artisanat ) mais aussi sur les captifs pris dans les guerres menées contre ses voisins Tagouana et surtout Djimini. Samory Touré vient donc trouver déjà en place un réseau d’échanges anciennement mis en place par Mory Touré.

Deux aspects vont amener Samory Touré à continuer à pratiquer la traite dans l’espace ivoirien. Il faut le souligner il en avait déjà une saine réalité depuis que son Etat dans le haut niger était en structuration. Le premier est son souci constant de ravitailler ses troupes en nourriture, fusils et poudre et le second est de consolider ses acquis territoriaux en les intégrant à sa domination. Ainsi, ses guerres déclarées contre les populations du Nord ivoirien ( Djimini, Djamala, Tagouana et Sénoufo) n’étaient pas foncièrement basées sur la propagation de l’islam. Le djihad n’était pas l’objectif premier de Samory Touré dans le Nord ivoirien. Il n’était pas question de soumettre les peuples du Nord à l’Islam sinon Samory aurait ouvert le front baoulé qui était un peuple foncièrement animiste et n’aurait pas détruit Kong déjà islamisé une fois dans l’espace ivoirien. Mais pour lui c’était une façon de soutenir l’effort de guerre et de permettre aux populations civiles qu’il avait sous son autorité depuis le sac de Bissandougou de se nourrir. Et ses sofas, de les protéger contre l’avancée française. La destruction de Kong résidait dans le fait que Samory voulait contrôler les réseaux marchands, qui, passant par le Djimini, entrait à Kong puis allait bien au delà, jusque dans le Soudan occidental et aux confins de la méditerranée. Le contrôle de la route de la Kola et des cotonnades pourrait servir à ses ambitions hégémoniques et l’influence grandissant des princes de Kong pourrait en être un frein. Surtout, en ce qui concerne ses ambitions expansionnistes . Un royaume florissant sur les marches orientales de son empire pourrait s’avérer comme un danger permanent ou un frein à ses ambitions. Kong fut alors mis à sac en 1897.

Les échanges entre Samory Touré et les Baoulé étaient essentiellement basés sur les captifs venus du Nord ivoirien. Djimini, Djamala, Tagouana, Sénoufo, mais aussi Malinké et Wan constituaient l’essentiel des cargaisons de la traite Samorienne. Les marchés d’esclaves servaient de centre d’achat de ses prises de guerre. Si le Baoulé reste son premier partenaire commercial nous ne saurons occulter que la guerre en mouvement de Samory Touré avait aussi ouvert la voie commerciale qui lui permettait d’écouler ses captifs vers la Sierra-Leone via la Guinée. Les Baoulé échangeaient de la nourriture, des barres de fer, les fusils, la poudre, les produits de l’artisanat et les manilles contre les captifs samoriens. Des marchés sont cités à Bouaké dans le Goli et surtout dans le baoulé nord par Fabio Viti même si la question des marchés reste encore sujet de débat dans l’historiographie de la traite intérieure dans l’élan des conquêtes samoriennes. Au plus fort de ces guerres, avec l’armée coloniale, les prises samoriennes étaient importantes et les affrontements créaient une insécurité telle que certaines personnes venues du Nord venaient trouver asile dans le baoulé en s’offrant comme esclave dans les familles baoulé. La présence de Samory Touré et de ses sofas dans le Nord fut douloureuse pour ces populations. Mais les Baoulé tiraient bien profit des campagnes samoriennes. Car les captifs achetés leur permettaient de booster leur production agricole et d’or mais aussi pour le maintient de leur lignage et pour leur pratique sacrificielle.

Dans les archives coloniaux, il est mentionné que les Baoulé ont beaucoup gêné l’avancée de l’armée coloniale dans leur élan vers les États de Samory Touré. L’une des raisons réside dans le fait qu’ils avaient établi des échanges fructueux avec Samory. Traqué par l’armée coloniale française, le départ de Samory du Nord ivoirien et sa traque vers l’ouest fut un soulagement pour ces populations qui regardaient le colon en libérateur et non comme un oppresseur.

Samory Touré demeure un grand résistant à la conquête coloniale. Le choc des ambitions impérialistes entre Samory Touré et l’Empire colonial français allait avoir pour conséquence les nombreuses guerres occasionnées dans le Nord ivoirien. Mais ces guerres avaient leur coût humain et les captifs samoriens ont servi à alimenter un réseau de traite important qui avait pour ramification le pays baoulé et la sierra-Léone. Si Samory Touré était perçu comme un héros par certains Africains, pour d’autres il n’était qu’un simple négrier. Ainsi va l’histoire. Ainsi va la perception de ceux qui ont été des acteurs de cette histoire sur le conquérant venu de Bissandougou. Nous avons là un devoir de mémoire. L’Afrique noire doit s’inscrire nécessairement dans ses enjeux de mémoire. Que nous reste t-il de la mémoire de ce conquérant? À regarder autour de nous pas grand-chose.

Par DOCTEUR Dognimalass Coulibaly

Fri, 12 Jun 2020 16:29:00 +0200

0

Laisser un commentaire

Nous utilisons des cookies afin de vous offrir la meilleure expérience possible sur notre site Web. En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez notre utilisation des cookies.
Accepter
Refuser
Privacy Policy