« Quiconque tient l'histoire d'un peuple tient son âme, mais quiconque tient la spiritualité d'un peuple le contraint à vivre sous le joug d'une servitude éternelle. »

Cheikh Anta DIOP
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« Chasselay questionne à la fois le racisme, le nazisme et la colonisation »

Il y a eu l’appel du 18 juin depuis Londres du général de Gaulle, mais le lendemain se déroulait l’un des pires massacres de soldats africains, morts pour la France. Alors que le 10, dans la Somme et l’Aisne, les dernières lignes de défense française cédaient, le gouvernement a fui Paris et, le 17, Pétain demande à l’armée de cesser le combat. Mais les tirailleurs sénégalais du 25e régiment reçoivent l’ordre de « résister sans esprit de recul, même débordés », pour tenter d’endiguer le déferlement des troupes allemandes sur les nationales 6 et 7, au nord de Lyon. Ces soldats vont se battre jusqu’à la mort, et être les victimes du racisme des Allemands.

Leur histoire ressurgit aujourd’hui grâce à des photos inédites retrouvées en 2019 par Baptiste Garin, un jeune collectionneur privé. Ces huit photos ont été prises par un soldat allemand qui voulait garder un « souvenir » du périple meurtrier qui a caractérisé la campagne de France. Ce qui l’intéresse en particulier ? Les exactions commises envers les soldats prisonniers des colonies. Ou plutôt les « Affen », les singes. Pour la propagande nazie, ils sont la preuve de la dénaturation de la France et de son armée. Si ces images permettent désormais de prendre conscience de ce qui s’est passé, seules elles ne suffisent pas. C’est là qu’entre en scène Julien Fargettas. Depuis vingt-cinq années, cet ancien militaire de 46 ans, spécialiste des soldats noirs auxquels il a notamment consacré sa thèse de doctorat, effectue un remarquable travail de recherche sur juin 1940. Cet épisode lui est d’autant plus familier que sa famille connaît très bien le petit cimetière traditionnel de Chasselay, reconnaissable grâce à ce « tata » (enceinte sacrée en wolof) en terre ocre au milieu des pommiers. L’historien nous raconte avoir immédiatement reconnu la scène derrière les photos que lui a montrées Baptiste Garin. De ces dernières découvertes est né un ouvrage : Juin 1940. Combats et massacres en Lyonnais (Poutan, 250 pages, 21 euros) et une exposition ouverte depuis le 17 juin réalisée à l’initiative de l’ONAC-VG et le Groupe de recherche Achac à Chasselay. Avant la cérémonie officielle qui se tiendra dimanche 21 juin sur place en présence de Geneviève Darrieussecq, la secrétaire d’État auprès de la ministre des Armées, Julien Fargettas a répondu aux questions du Point Afrique sur l’un des drames sanglants de l’invasion allemande. Si l’ancien soldat appelle à regarder en face cette histoire, il invite tout un chacun à le faire avec le recul nécessaire alors que, ces jours-ci, de nombreuses références coloniales sont instrumentalisées pour nourrir le débat sur le racisme.

Le Point Afrique : Pourquoi avez-vous choisi de replonger dans juin 40 et dans cette région en particulier ?

Julien Fargettas : J’étais jeune étudiant quand j’ai commencé mes recherches sur juin 1940. Le point de départ, c’est le livre de Jean-Louis Crémieux-Brilhac sur les Français de 1940. En discutant avec mes parents, ma mère m’a raconté que mon grand-père l’emmenait souvent au cimetière des Tirailleurs à Chasselay. Il n’y a jamais eu de recherches approfondies sur le sujet, le champ était ouvert.

Vous braquez le projecteur sur les victimes des combats de Chasselay, pourquoi ?

J’ai toujours été très impressionné et choqué par la sauvagerie dont avaient fait preuve les soldats allemands. Je voulais comprendre pourquoi ils avaient pu commettre ces crimes. Finalement, je m’étais assez peu penché sur les victimes, c’est-à-dire les tirailleurs africains pour l’essentiel et quelques soldats français qui sont soit morts au combat, soit exécutés avec eux. J’ai saisi l’occasion du 80e anniversaire pour reprendre ce travail et me pencher cette fois sur ceux qui sont tombés les 19 et 20 juin plutôt que sur leurs bourreaux. Mon objectif est de les faire connaître, leur donner une identité et que leur famille puisse prendre connaissance de ce qui leur est arrivé.
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Tue, 07 Jul 2020 19:58:00 +0200

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La Dépêche d'Abidjan

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