Certains prétendent avoir vu des personnes décédées qu’ils connaissent et qui apparaissent de temps en temps pour troubler la quiétude des vivants. Le seul moyen de mettre un terme à cette situation est l’organisation d’intenses séances de prière pour « délivrer » (de l’empire du démon, bien entendu) les lieux ou les personnes sujettes à pareilles apparitions.
Aussi, si l’enfer presque définitivement quitté les territoires d’outre-mer, il est très présent dans l’agenda de la nouvelle spiritualité au Congo, par le biais de Satan qui a littéralement investi les mentalités congolaises. Lorsque l’on observe la religiosité de l’habitant de Kinshasa, on se rend compte que les termes « enfer» et « Satan» sont devenus interchangeables.
En effet, le mot « lifelo » (enfer, en lingala) a pratiquement disparu du vocabulaire religieux de Kinshasa. Bien au contraire, aucune allusion n’y est faite dans les communiqués nécrologiques : tout mort va « nécessairement » au Ciel, même les personnes réputées ou connues comme ayant eu une existence terrestre des plus sombres : « azongisaki molimo epayi ya Nkolo Nzambe … » (« Il a remis son âme entre les mains du Seigneur »;« Nzambe amobengisi o boka ye … » (« I’Eternel l’a rappelé à Son Royaume »). Ici, on rejoint les croyances qui considèrent que le « séjour sidéral du trépassé est justifié par l’origine divine de l’âme: puisque c’est le dieu qui est censé avoir créé les âmes, celles-ci doivent retourner après la mort auprès de leur créateur »
Mais si le terme « feu » revient souvent dans nombre de prédications, campagnes et prières, il s’agit plus du « feu de Dieu » grecque, qui entretient la foi et consume Satan. Le feu de l’enfer qui est même purificateur, prélude à la résurrection générale après le Jugement Dernier est remplacé lui dans la terminologie par les « lieux desséchés » (« bisika bikauka, en lingala):« Nabeleli moto ya Nzambe »; «Nazali kozikisa milimo nyonso ya mabe ».
Les chrétiens du Congo ont « déplacé » l’enfer des lieux souterrains décrits dans la littérature eschatologique vers les « lieux desséchés » (en fait lieu sans vie mais qui ne sont pas nécessairement une fournaise)", qui sont aussi « ténèbres », d’où l’expression «Prince des ténèbres » pour désigner Satan, près présent dans la nouvelle spiritualité au Congo.
Les concerts de musique dite « mondaine », les stades de football sont des temples de Satan par excellence, sans oublier les liens que certains sportifs (catcheurs notamment) avouent entretenir ou avoir entretenu avec Satan: dans un quartier périphérique de Kinshasa (le mien) un « pasteur » ne s’est pas empêché de qualifier des sportifs agglutinés autour d’un poste de télévision pour suivre un match de football de « païens habités par les démons», de même qu’il considère toute dame habillée en pantalon, même correct comme possédée par le Diable ! Des objets d’usage courant sont « diaboliques » pour les adeptes de certaines sectes de Kinshasa: ce membre du gouvernement ne prend possession de ses bureaux que longtemps après d’intenses séances de « délivrance » des lieux, avec évacuation des statuettes qui y ont été placées à titre décoratif, parce que supposées être refuges du Diable; des personnes apparemment saines d’esprit se sont vu contraintes de se délester de certains de leurs biens matériels, au motif qu’ils seraient d’origine démoniaque.
Allant à l’encontre des règles de l’état civil, des gens en arrivent à changer unilatéralement leur nom, sous le prétexte que les éléments de leur identité constituent des « blocages », des « liens » à certains personnages, coutumes, situations pratiques démoniaques ou qui appellent malheur et malédiction…Chanter comme Bella Bella il y a 30 ans en disant « nasenga chance na bakoko po nabika » ou « molimo ya Lumbu epayi ezali ekokamba bana » n’est ni plus ni moins aujourd’hui qu’un scandale ! De même qu’aucune rencontre, aucune réunion de quelque nature que ce soit ne peut commencer sans qu’on ait « lié » tout esprit malfaisant, dont on est convaincu de la présence et sans qu’on ne l’ait expédié vers les « lieux desséchés »: personne ne peut s’asseoir derrière sa table de travail ou entreprendre sa tâche quotidienne sans vouer aux gémonies le Diable; on combat « l’esprit de mort » et on «prend autorité » sur des lieux pour vaincre Satan !
La présence permanente de Satan est ainsi attestée par les nombreuses séances de « délivrance » ou de guérison-miracle avec fortes transes dans les groupes de prière et sectes de Kinshasa. Le thème de la sorcellerie et du démon est aujourd’hui le plus exploité dans les représentations des troupes de théâtre populaire, surtout à la télévision. On verra sans doute là l’influence des films nigérians diffusés sur de nombreuses chaînes de télévision chrétiennes de Kinshasa, qui n’exploitent que le thème du fétichisme, du crime, de la sorcellerie et du Diable.
Ainsi à Kinshasa, Satan et le « kindokisme » se vendent très bien : ils sont devenus le fonds de commerce des « hommes de Dieu », qui, face à une population naïve et crédule, cultivent une illusion de la prospérité en même temps qu’ils prêchent une religion de la peur et de la culpabilisation permanente: l’épée de Damoclès de la damnation est suspendue au-dessus des têtes des fidèles. C’est un véritable signe des temps des (apocalyptiques ?): l’investissement Congolais dans le « kindokisme » est allé de pair avec le «boum» du religieux en République Démocratique du Congo, qui transforme la religion en un produit de consommation.
C’est cette pastorale de la damnation et de Satan qui se trouve au cœur de la nouvelle spiritualité: la confession en secret auprès du prêtre a laissé la place au témoignage-spectacle où Satan est le personnage central. Ces rassemblements «hystériques axent leur fantasme sur le personnage de Satan ». Ici, les accents religieux ressemblent plus aux incantations qu’aux prières : cela se justifie par le fait que lorsqu’il s’agit des démons, c’est bien d’incantations dont on a besoin. Le nom d’une église célèbre en République Démocratique du Congo résume bien cette tendance.
Quel peut ainsi être le sort d’un pays où la majorité de la population, confortablement installée dans les mythes et les illusions, a depuis longtemps renoncé à trouver une explication rationnelle à ses difficultés ? Un peuple qui a porté sa culpabilisation au paroxysme, se croit dominer ou habité par Satan et qui vit dans un sempiternel augustinisme est condamné à la régression.
C’est plus le châtiment pour la faute commise (quelle faute ?) et le Salut d’un pardon qui sont au cœur de la prédication. La conséquence ici est un passeport pour la bêtise accordé aux vrais responsables des malheurs de la société qui se trouveraient ainsi disculpés à la place de Satan, le bouc-émissaire, dont l’élimination doit attendre la main de Dieu (« Nzambe akosala »).
Aussi, étant donné que c’est Satan qui est le seul responsable de tous les maux dont souffre la société, la solution ne peut plus se trouver dans les recettes du monde concret: école, hôpital, rencontres politiques, économiques ou sociales.
C’est vers le pasteur, le prophète, l’apôtre, le bishop ou l’archibishop ou le vendeur d’illusions, capable de « neutraliser » Satan qu’il faut se tourner. Ils sont devenus les vrais « chefs » du Congo.
Le Président, son gouvernement, le Parlement, les hauts fonctionnaires font de la figuration: personne ne les écoute, C’est le pasteur, le prophète, les prêtres, etc. qui sont les plus écoutés. Seuls les vedettes de musique peuvent prétendre les rivaliser, mais pour combien de temps encore ? Encore que eux aussi quittent un à un la barque du « monde » pour grossir les rangs de ceux qui luttent contre Satan. Le combat contre celui-ci étant une lutte de très longue haleine, les hommes sont invités à la patience et l’espérance ou à …la résignation (« Ya Nzambe ewumelaka: ce qui vient de Dieu prend du temps »: « Ezali mokano ya Nzambe: c’est la volonté de Dieu »).
Professeur Jean Kambayi Bwatshia et Ekombe Isenkangi
Directeur du Centre de Recherche sur les
Mentalités et l’Anthropologie Juridique « Eugemonia »
Tue, 13 Jul 2021 11:54:00 +0200
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