« Quiconque tient l'histoire d'un peuple tient son âme, mais quiconque tient la spiritualité d'un peuple le contraint à vivre sous le joug d'une servitude éternelle. »

Cheikh Anta DIOP
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SACRÉ-CŒUR I (Sénégal) – Comment les soldats tchadiens et les membres de l’équipage ont réussi leur intégration

Première apparition publique du président Habré à la Grande mosquée de Dakar

En exil au Sénégal, l’ancien président du Tchad Hissène Habré est mort, avant-hier, des suites du Covid19 à l’âge de 79 ans alors qu’il était en détention à perpétuité pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et actes de torture. Tout a commencé dans la nuit 11 décembre 1990 lorsque Hissène Habré avait fui précipitamment Ndjamena avant d’atterrir à l’aéroport de Dakar-Yoff après une brève escale à Douala. Deux jours après l’arrivée du président déchu dans notre capitale, tous les membres de l’équipage de l’avion présidentiel de l’Etat tchadien et les éléments de la garde rapprochée ont été logés au quartier Sacré-Cœur 1. Certains d’entre eux ont réussi leur intégration jusqu’à se marier avec des filles de la cité. Notre grand reporter Pape Ndiaye, alors jeune lycéen qui avait eu à fréquenter ces soldats et pilotes tchadiens à travers des soirées dansantes et autres cérémonies, se souvient… Une enquête exclusive du quotidien sénégalais « Le Témoin »

Depuis le 25 novembre 1990, Ndjamena vivait sous couvre feu nocturne. Car, la tension monte dans la capitale du Tchad. Les rebelles de l’ancien chef d’état-major entrés en rébellion, Idriss Deby, se sont emparés de plusieurs régions et se rapprochaient de Ndjamena. D’ailleurs, certaines de leurs colonnes étaient aux environs de Ndjamena. Sentant que la capitale allait tomber sans combat, le président Hisséne Habré a pris la fuite. A bord de sa Mercedes suivie de véhicules de troupes transportant les éléments de sa garde rapprochée, le président Habré a filé tout droit vers l’aéroport. D’où il a décollé pour le Cameroun voisin. Ensuite Dakar-Yoff (Sénégal) où le président tchadien déchu a été accueilli nuitamment par le gouverneur militaire du Palais d’alors du président Abdou Diouf. Dans le lot de ces hôtes accueillis pour raisons humanitaires, une centaine de soldats tchadiens et une dizaine de membres de l’équipage de l’avion présidentiel. C’était le 11 décembre 1990. En dehors du président Habré Habré mis en résidence « surveillée » ou sécurisée à la « Résidence-Pasteur » à Dakar, le gouverneur du Palais s’est attelé à trouver des logements temporaires aux autres. Finalement, deux villas ont été louées pour eux dans le quartier de Sacré-Cœur I à Dakar. L’une destinée à loger certains officiers-généraux, conseillers techniques et membres du service de protocole du président Habré qui l’avaient suivi dans sa fuite ; l’autre réservée aux éléments de la garde rapprochée ainsi qu’aux membres de l’équipage (pilotes et mécaniciens) de l’avion de commandement du Tchad. C ‘est ainsi que le paisible quartier résidentiel de Sacré-Cœur I  s’est réveillé avec des dizaines de réfugiés pas comme les autres. En bons bidasses sachant s’adapter à n’importe quel environnement, les soldats tchadiens se sont efforcés rapidement de s’intégrer dans cette cité en sympathisant assez facilement avec des jeunes du coin. Surtout, surtout, ils ont tenté de draguer les belles et coquettes filles ! Ce qui n’était pas facile dans cette cité bourgeoise dans le contexte des années 90 où les habitants de ce quartier résidentiel étaient de nature calmes, discrets et effacés. Des familles au mode de vie individualiste qui tenaient avant tout à valoriser tout la sécurité et le statut social de leur nouveau quartier. A l’époque, de nombreux habitants de Sacré-Cœur avaient peur de ces individus qui venaient d’un pays en guerre ! Pire, certains parmi leurs nouveaux voisins venus d’Afrique centrale, bien qu’étant en civil, se baladaient avec des pistolets. Une raison de plus qui a conforté certains voisins dans leurs préjugés. Donc pour les Tchadiens de Sacré-Cœur, la seule sociabilité formelle ou obligée était relative aux fréquentations utilitaires comme les contacts avec les gérants de télécentres, les boutiquiers et les marchands de fruits. El Hadj K. Diop, ancien opérateur téléphonique et domicilié à Sacré-Cœur des années 90, se souvient. « Je faisais partie des premiers habitants à nouer des contacts avec les soldats tchadiens puisqu’ils venaient régulièrement dans mon télécentre pour téléphoner. A l’époque, l’arrivée des Tchadiens à Sacré-Cœur suscitait généralement beaucoup de craintes et de retenue. Pire, ils avaient subitement bouleversé notre environnement et notre mode de vie. Au fil des mois, ils ont cependant réussi à intégrer le voisinage puisqu’ils étaient ouverts et gentils. A chaque fois qu’on organisait des soirées dansantes, ils nous aidaient financièrement et, en retour, on les invitait. Finalement, des relations amicales de bon voisinage se sont nouées. Ce même si certains parents ne cessaient de se plaindre du fait qu’ils courtisaient assidûment les jeunes filles du quartier. En tout cas, ces soldats de la garde rapprochée du défunt président Hisséne Habré ont marqué l’histoire de Sacré-Cœur 1 » témoigne notre interlocuteur trente ans après.

L’artillerie financière des soldats fugitifs

Ce qu’il faut surtout retenir à l’époque, c’est que la venue à Sacré-Coeur 1 de ces soldats et membres d’équipage tchadien, qui n’étaient pas fauchés, a non seulement contribué à booster quelque peu l’économie du quartier, mais aussi à redéfinir le mode de vie. Pour preuve, Sacré-Cœur 1 était le seul quartier au Sénégal où les devises tchadiennes s’échangeaient dans les boutiques et commerces. Les billets de banque (CFA) de l’Afrique centrale circulaient abondamment et rapidement dans cette cité résidentielle au point de pousser le gouverneur de la Bceao à prendre une circulaire interdisant la transaction des signes monétaires de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (Beac) au Sénégal.

En effet, les fortes sommes d’argent en devises étrangères que détenaient les fugitifs tchadiens confortent ceux qui disaient que le président Habré avait vidé les caisses du Trésor public avant de partir. Toujours est-il que durant toutes les années 1990 et 1991, les compagnons d’Hissene Habré constituaient la première source de recettes en devises étrangères à Sacré-Cœur 1 et quartiers environnants. Mme Nd. K. F domiciliée à la Sicap Liberté 4 voisine semble être bien placée pour confirmer. Pour cause, elle s’était mariée en 1993 avec un sous-officier tchadien. « Malheureusement, notre union n’avait pas duré. C’était un homme bien, généreux et sans histoires. Le problème s’est posé lorsqu’il a décidé de rentrer au Tchad et a voulu m’emmener avec lui. Mes parents s’y étaient opposés à cause de l’insécurité dans ce pays. Et on avait divorcé avant qu’il retourne dans son pays » confie la dame qui s’est remariée depuis.

Retourné cette semaine dans ce premier quartier refuge du clan Habré, « Le Témoin » a appris que le chef du protocole a été le dernier des Mohicans tchadiens à quitter le quartier Sacré-Cœur 1 après 30 ans d’exil. Après avoir fondé un foyer avec une Sénégalaise, nous souffle-t-on, il est finalement rentré au bercail pour raisons médicales. « Il était malade et paralysé. Ses parents sont venus le chercher à Dakar après avoir négocié sa reddition avec le défunt président Idriss Deby. Mais bien avant lui, certains membres de l’équipage étaient rentrés les uns après les uns après les autres ». Il faut dire que l’avion de commandement tchadien qui avait transporté Habré et les siens avait été restitué aux autorités tchadiennes sur décision de la justice sénégalaise…

Le sermon de bienvenue de l’Imam Maodo Sylla

Quelques mois après avoir débarqué à Dakar avec bagages et combattants en détresse, le président Hissène Habré est apparu comme un homme pieux, un musulman pratiquant et un voisin généreux. Il avait ces qualités humaines et spirituelles qui auraient facilité son intégration dans la société sénégalaise. La preuve par sa première apparition publique à la Grande Mosquée de Dakar. C’était avril 1991 à l’occasion de la prière de l’Aïd Al Fitr dirigée par l’Imam Maodo Sylla. Bien avant l’arrivée du chef de l’Etat Abdou Diouf, le président Hissène Habré, tout de blanc vêtu, avait été la grande attraction ce jour-là. En compagnie d’une dizaine d’éléments armés de sa garde rapprochée, l’illustre hôte Habré avait été accueilli par l’alors chef du protocole de la Grande Mosquée, El Hadj Ameth Diène, qui l’avait installé aux cotés des différents ambassadeurs accrédités à Dakar. (Votre serviteur avait pris place dans le troisième rang des notables et dignitaires). Juste après la prière, l’Imam Maodo Sylla, de sa belle et imposante voix d’or, a imploré Allah le Tout-Puissant d’agréer nos actes de dévotion avant de rappeler les règles de la Zakat etc. Le charismatique et éloquent Imam Ratib de Dakar a prié pour le Sénégal, le président Abdou Diouf et l’ensemble des membres du gouvernement. Il avait profité de l’occasion pour souhaiter la bienvenue à un hôte particulier en ces termes : « Président Habré…dalal diam thi Sénégal ! Merci d’être venu ici au Sénégal, et précisément à la Grande Mosquée de Dakar comme tout bon musulman…Dans ce pays de Téranga, nous allons prier pour toi et pour ta famille… » avait rassuré un Imam Maodo Sylla très accueillant dont les propos avaient fait converger tous les regards vers Hissène Habré. Depuis lors, l’homme de Ndjamena n’avait jamais raté les grandes prières de Korité et de Tabaski à la Grande Mosquée de Dakar. Jusqu’à ce qu’on lui fasse comprendre un jour qu’il était persona non grata en ce lieu de culte… Un ancien gouverneur militaire du Palais sous le régime d’Abdou Diouf nous confiait ceci « Effectivement, Habré priait régulièrement aux cotés du président Abdou Diouf. Seulement à un moment donné, je voulais lui interdire l’accès à la Grande Mosquée parce que, pour des raisons de sécurité présidentielle, je ne pouvais pas tolérer que des gens armés viennent prier aux cotés du chef de l’Etat. Finalement, les soldats tchadiens ont été tous désarmés pour que tout rendre dans l’ordre » a confié notre général.

Malgré les persécutions qu’il subissait de la part du président Idriss Déby et la traque internationale des Ong, Hissène Habré avait pu s’intégrer dans la société sénégalaise où il a fondé un second foyer et où il a eu des enfants et petits-enfants ayant tous la nationalité sénégalaise. Ses voisins du village de Ouakam ne tarissent pas d’éloges sur sa générosité et l’un de ses plus illustres parrains dans notre pays n’était autre que Serigne Mansour Sy « Borom Dara Dji »qui fut le khalife général des Tidjanes. Hélas ! C’est ce patriarche âgé de 79 ans vient de nous quitter dans la pire des manières : mourir en prison ! Décidément, la légendaire téranga sénégalaise n’est plus ce qu’elle était…

Pape Ndiaye
« Le Témoin » quotidien sénégalais

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Fri, 27 Aug 2021 10:28:00 +0200

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La Dépêche d'Abidjan

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