Nous sommes dans une période de crise de civilisation qui est le résultat d’une crise de culture. Une question qui revient constamment c’est de savoir si l’Afrique a une culture propre et à quoi peut servir celle-ci. Mais au fond qu’est-ce que la culture ? Le caractère universel de la culture, diverse cependant en ses incarnations dans le temps et dans l’espace, en fait le patrimoine de tous les hommes donc des peuples d’Afrique.
La culture africaine fut longtemps niée dans la mesure où l’on parlait de sauvage au lieu de cultures. Les historiens nous enseignent que le Noir est au centre même d’un miracle qu’il faut avoir la loyauté de mettre à sa place, c’est le miracle égyptien. Nous dirons le « miracle nègre ». Pendant toute la période égéenne, l’influence culturelle nègre a été prédominante à un moment où les Blancs étaient des plus frustes et il faudra attendre des millénaires pour que les Indo-Européens puissent valablement profiter des leçons de l’Egypte nègre.
Par quel processus le Noir africain a pu rompre avec ce passé si chargé de lumières ? Les guerres et l’éclatement de l’ordre social, la surpopulation ont entraîné le long du Nil des exodes successifs vers l’intérieur du continent africain. Les prodigalités de la nature ont entraîné à long terme le manque d’effort, lui-même générateur des lenteurs ou des régressions de toute civilisation. La rupture avec la culture d’origine et, à la faveur de l’absence de besoin, la perte des éléments essentiels ont imposé une orientation culturelle particulière plus conforme au milieu.
Il faut ajouter à cela l’effet de la colonisation d’apparition récente. Il est significatif que pour s’implanter l’Occident dût partout commencer par détruire la culture des Noirs : suppression des statues interdiction des rites sacrés, désagrégation de l’ordre social millénaire ont procédé du même impérieux besoin de faire le vide culturel. On remplaça par des fonctionnaires, simples rouages d’une machine technique – l’administration – les chefs traditionnels qui étaient le couronnement de l’édifice culturel.
L’essentiel de ce qui constitue la culture africaine contemporaine, autrement dit les thèmes développés dans la littérature, les arts, la musique, le cinéma, le théâtre, manque souvent de pertinence et d’enracinement. Tout se passe en effet comme si les créateurs de cette culture écrivaient, peignaient, sculptaient, pour restituer à un certain public occidental l’image que celui-ci se faisait de leurs peuples et assouvir son besoin d’évasion.
Utilisant les grands moyens modernes de diffusion, cette culture marginale et exotique, artificielle, urbaine et artistique risque ainsi d’étouffer le patrimoine culturel authentique du peuple et de se substituer à lui. Un nouvel ordre social, surgi d’une puissante civilisation d’importation avec ses critères de référence et de valeur, a fait ainsi son apparition ne tolérant et ne diffusant que certaines activités et caractéristiques culturelles résiduelles de l’Afrique éternelle, comme la danse, les gestes expressifs, le pouvoir de fabulation, la religiosité, l’enthousiasme discontinu…
La culture négro-africaine, ce n’est point ce syncrétisme qu’affectionnent et encouragent les médias des pays occidentaux voire des nouveaux États africains. Le rôle primordial de la culture africaine, faut-il le rappeler a toujours été d’enseigner une certaine idée de l’homme et de la nature et de contribuer à l’harmonie de leurs relations.
L’identité culturelle d’un peuple, c’est le droit qu’il a de rester lui-même envers et contre toutes les formes d’assimilation et de cultures du monde contemporain. Ces forces jouent le plus souvent en faveur des pays développés. Le monde contemporain est caractérisé par une tendance au nivellement culturel, conséquence de la dépendance économique ou politique des pays en voie de développement par rapport aux pays développés. L’aide économique internationale tend, par le canal des anciennes stratégies, à vulgariser dans les pays en développement le modèle de production et de consommation occidental ou socialiste.
Le monopole des moyens d’information détenu par les pays développés, est un autre facteur du nivellement culturel. Il favorise l’exportation des systèmes d’éducation des pays développés aux dépens des cultures nationales. Le nouvel ordre mondial de l’information prôné par l’Unesco de même que le nouvel ordre économique mondial provoque les foudres des détenteurs des médias en Occident.
L’identité culturelle doit signifier égalité entre toutes les cultures ; elle exige le même respect pour la majorité que pour les minorités, elle exclut toute subordination, toute oppression tout en maintenant l’ouverture sur les autres, tout en réclamant le droit à la différence.
Un autre instrument de la domination culturelle est, sans aucun conteste, la langue. Tant qu’un peuple, disait Montesquieu, n’a pas perdu sa langue il peut garder l’espoir. La langue est le trait d’identité culturelle par excellence. Pour justifier la domination de la langue française dans les anciennes colonies on invoque souvent le fait que l’Afrique est une tour de Babel. C’est un point de vue défendu aussi bien par les autorités françaises que par les Chefs d’Etats africains qui ont tous adopté le français comme langue officielle.
Mais l’Europe est aussi une tour de Babel. L’unité linguistique apparente n’existe à l’échelle d’aucun continent : les langues suivent les courants migratoires, les destins particuliers des peuples. C’est – écrit Cheikh Anta Diop – une langue africaine typiquement nègre qui a été la plus anciennement écrite dans l’histoire de l’humanité, il y a de cela 5300 ans en Égypte.
L’utilisation exclusive du français dans l’éducation et dans la vie des relations internationales par les Africains risque fort de freiner pour longtemps leur effort pour rejeter la tutelle culturelle de la France. Il n’est point dans notre intention de prôner le rejet des langues de l’ancien colonisateur mais l’enseignement de celles-ci ne doit pas faire tomber dans l’oubli les langues nationales, véritables véhicules des cultures africaines. C’est en effet dans le dialogue des cultures que peut se faire le véritable développement de l’Afrique. La solution du problème culturel est la condition sine qua non du développement, et même de toute croissance.
Source : wathi.org
