Écrivain et bibliothécaire, Ousmane Diarra a publié chez Gallimard trois romans qui traitent de l’extrémisme religieux et les conséquences que cela implique sur la société de son pays, le Mali : Vieux lézard (2006), Pagne de femme (2007), La route des clameurs (2014). L’attentat du 20 novembre dernier contre l’hôtel le Radisson blu à Bamako a replongé le pays dans un climat de terreur, quelques mois après celui de Sévaré perpétré le 8 août (12 morts), et celui contre le restaurant La Terrasse de Bamako le 7 mars (5 morts). Si beaucoup d’observateurs soulignent les problèmes économiques et géopolitiques propres au Mali pour expliquer cette vague d’attentats, Ousmane Diarra rappelle également que la violence issue de l’islam politique est une tradition ancienne dans la région. Au risque de déplaire à beaucoup.
Peut-on dire que ce qui se passe au Mali en ce moment n’est qu’une répétition d’une histoire déjà ancienne dans le pays ?
Oui, c’est le retour à une situation qui existait déjà au XIXe siècle, une situation encore plus violente d’ailleurs. Il suffit d’écouter notre répertoire traditionnel bambara où beaucoup de chansons parlent de l’extermination des peuples animistes. En particulier par Cheick Oumar Tall(1) ou Samory Touré, qui justifiaient leur guerre par la religion. Si l’islamisation de la région s’est faite au départ par les commerçants, la guerre a joué une grande part dans ce phénomène. De nombreux témoignages évoquent l’extrême violence qui a accompagné ces guerres où de nombreux villages et cités bambaras animistes ont été exterminés totalement. Malheureusement, cela n’est pas du tout évoqué dans l’histoire officielle du Mali qui préfère éluder ces évènements. Et tant que nous n’évoluerons pas sur notre façon de regarder notre passé, nous continuerons à en être victimes car par ce silence, cette amnésie, nous justifions a posteriori ces événements. Mais la conversion par la violence est une constante dans la progression de l’islam en Afrique.
Dans le cas du Mali, on évoque aussi le problème de l’intégration des touaregs, l’impact de la colonisation, les problèmes sociaux.
Oui, certes, il y a des problèmes, en particulier la déliquescence de l’État Malien, comme l’ensemble des Etats de la région. Ceci est la conséquence des mesures structurelles qui nous ont été imposées au détour des années 1990 par le Fond Monétaire International, les fameux plans d’ajustement structurel qui ont appauvri le pays et ont eu des conséquences dramatiques sur les populations. Ce fut le cas en particulier pour l’enseignement laïc et républicain dont je suis le fruit et qui a été totalement déstructuré. Mais cela a surtout eu comme conséquence l’affaiblissement de l’autorité de l’État.
Pour vous l’État Malien a sa part de responsabilité ?
Mais bien sûr ! Il ne joue plus son rôle d’autorité régulatrice. Pendant de nombreuses années, Amadou Koufa (2) a pu transmettre à Mopti des prêches extrêmement violents en toute impunité. À ceci, vous rajoutez la rébellion touareg et la crise économique, comme vous l’avez rappelé, et cela donne un cocktail explosif.
On nous a inculqué qu’avant l’époque coloniale, le Mali était un havre de paix et qu’avec l’indépendance, tout redeviendrait comme avant. Or, et ce n’est pas valable que pour le Mali, il y a toujours eu des gens qui se sont servis de l’islam pour prendre le pouvoir. L’époque précoloniale a aussi été une époque de guerres et de massacres.
Dans le cas des événements du XIXe siècle, peut-on parler de génocide ?
Oui, on peut utiliser ce mot. Dans les villages animistes, les musulmans ont massacré les hommes et épousé leurs femmes afin que les enfants deviennent des musulmans. On peut parler, dans ce cas-là, de projet génocidaire ! Et j’affirme que les régions concernées par la progression violente de l’islam au XIXe siècle correspondent à peu de chose près à la région concernée par les violences de Boko Haram et AQMI, au Nigeria, au Niger et au Cameroun. Je pense en particulier à l’empire de Sokoto, créé dans la violence par Usman Dan Fodio, El hadj Oumar Tall, fondateur de l’Empire Toucouleur, Cheickou Amadou Barry, fondateur de l’Empire peul du Macina, lesquels ont tous commis des atrocités au nom de l’islam. Les exemples sont nombreux. C’est simplement l’histoire qui se remet en marche. Malheureusement, je me fais souvent attaquer lorsque je dis cela, y compris en France par des intellectuels français ou africains. Et sur les forums de discussion, c’est pareil. Il n’y a aucun moyen d’en débattre.
Cette histoire est-elle enseignée dans les manuels scolaires ?
Cette histoire n’est pas du tout évoquée ! On considère ces tyrans comme des résistants, des héros. Beaucoup de gens connaissent les faits mais les excusent en disant qu’ils souhaitaient former des empires, qu’on ne peut faire d’omelette sans casser des ufs en quelque sorte, qu’ils ont aussi résisté aux Blancs, qu’ils nous ont permis de devenir musulmans, etc. Si on va par là, alors ce genre d’arguments justifie parfaitement la colonisation occidentale ! En effet, pourquoi la douleur que mon voisin m’inflige serait-elle moins douloureuse que celle infligée par quelqu’un qui vient de loin ? Je pense qu’il n’y a pas de honte à considérer certains de nos figures tutélaires comme des envahisseurs tyranniques alors qu’ils sont présentés comme des héros dans l’histoire officielle du Mali et même de l’Afrique.
Mais il n’y a pas que les manuels scolaires. Dans un guide touristique sur le Mali édité en France, j’ai lu qu’on nous expliquait que la fin de l’empire animiste de Ségou aurait été provoquée par la débauche et l’alcoolisme de ses dirigeants. Mais c’est totalement faux ! C’est tout simplement une invasion qui a mis fin à l’empire de Ségou, qui était alors très structuré. Tout est fait pour dévaloriser ce qui existait politiquement avant l’époque musulmane.
Qu’est ce qui peut expliquer selon vous cette situation ?
C’est le fameux prisme colonial ! Il y a quelques années, je suis intervenu lors d’un débat à l’IUT et me suis adressé aux étudiants en leur citant tous ces faits. J’ai alors constaté que l’immense majorité d’entre eux ignoraient ces violences. Le président de l’Association des Historiens du Secondaire (entendez l’enseignement secondaire) du Mali, présent dans la salle, a alors pris la parole et m’a dit que l’on ne pouvait pas tout dire dans l’enseignement de l’histoire. Cela n’était pas la première fois que l’on m’opposait ce genre d’arguments.
C’est ce fameux silence général qui explique la thématique de vos romans ?
Oui. Tous mes livres portent sur ce sujet, je ne cesse d’écrire pour dénoncer cette vision fausse de notre histoire et ses conséquences de nos jours. Dès 2007, dans Pagne de femme, j’imaginais l’arrivée des djihadistes à Bamako et le coup d’État. Et dans mon avant-propos, j’abordais l’histoire violente du XIXe siècle. Tout le monde n’apprécie pas, mais je souhaite encore témoigner. Je le fais à chaque fois qu’un de mes livres sort dans la presse malienne ou internationale.
Peut-on parler d’un combat entre animistes et musulmans durant le XIXe siècle ?
Oui, mais l’histoire ne peut se résumer à ça, loin de là ! Les envahisseurs ont également attaqué des villages et villes musulmans. Après avoir pris Ségou, El Hadj Oumar Tall est allé s’attaquer à l’empire du Macina qui pourtant était un empire musulman. Il y a même une chanson bambara qui évoque ce fait et qui se moque du fait que les musulmans se font attaquer par d’autres musulmans, quelques années après avoir vaincu les bambaras et convertis certains d’entre eux par la force. Tout cela ne s’est fait que quelques décennies avant l’arrivée des Français. D’ailleurs, très peu de Maliens peuvent donner le nom de leurs arrière-grands-parents, car une grande partie de notre histoire familiale commence avec l’islam. Avant, tout a été effacé.
Que s’est-il passé à l’indépendance ?
Seuls l’islam et la chrétienté, dans une moindre mesure, ont été reconnus par le nouveau pouvoir dirigeant. L’élite qui prend le pouvoir à l’indépendance n’a laissé aucune chance aux religions traditionnelles et ne les a pas reconnues. Aucune mesure n’a été prise pour les protéger. Au contraire, tous les instruments officiels de diffusion – presse, radio, télévision par la suite – ont été mis à contribution pour propager cette religion. Cela a d’ailleurs permis à l’islam de s’étendre dans les années 1960. Alors que jusqu’entre les deux guerres mondiales, le Mali était encore à près de 80 % animiste, en tout cas dans sa partie sud, et même le centre. Même quand je suis né, on pouvait compter plus d’une quarantaine de villages non musulmans dans ma région.
Et maintenant ?
La société s’est quasi entièrement islamisée. Et l’extrémisme a pignon sur rue. Il suffit d’écouter le président du haut conseil islamique du Mali, Mahmoud Dicko, qui ne condamne pas explicitement les attentats. Pire, pendant l’occupation des trois régions du nord et une partie du centre par les terroristes, il était la seule autorité, y comprise religieuse, à pouvoir se rendre dans ces régions, sous-prétexte d’humanitaire. Ce n’est pas tout, le même, à la même époque, lors d’une rencontre entre religieux au Stade Modibo Keita, ne suppliait-il pas les terroristes en ces termes : « Frère Ançardine ! Frère Iyad ! » ? Comment peut-on appeler « frères » ceux qui ont froidement assassiné une centaine de tes compatriotes désarmés ? Comment peut-on appeler « frères » ceux qui tuaient, lapidaient, coupaient les pieds et les mains de ses propres compatriotes, hommes, femmes, enfants ? Dans un pays autre que le Mali, on l’aurait fait arrêter et interroger dès le lendemain !
En 2007, lors du vote du code de la famille, il a organisé des manifestations pour que l’on retire ce code pourtant déjà voté, parce qu’il le trouvait trop libéral pour les femmes. Par la suite, Dicko est allé à Nioro pour rendre visite à la famille de Cheick Oumar Tall et remercier leur ancêtre pour l’expansion de l’islam au Mali. Le fait qu’on remercie un génocidaire n’a dérangé personne, apparemment. Comme si le fait de massacrer au nom de l’islam était justifié !
N’avez-vous pas l’impression d’être un peu seul à avoir cette position-là ?
Quand un citoyen veut être objectif et ne navigue pas dans le sens du vent en ne glorifiant pas l’islam, on le taxe d’apatride, de valet des Occidentaux. C’est cette situation que vivent les intellectuels. Le moindre mot doit être justifié. Ce qui explique que beaucoup restent sur leur réserve. On dirait que nous n’avons pas le choix et devons pourfendre l’Occident. C’est devenu un fonds de commerce, un passage obligé.
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