« Quiconque tient l'histoire d'un peuple tient son âme, mais quiconque tient la spiritualité d'un peuple le contraint à vivre sous le joug d'une servitude éternelle. »

Cheikh Anta DIOP
Arts et Culture

Christianisme : La mémoire oubliée de l’héritage gréco-romain

La cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de 2024 à Paris a suscité une vive polémique en raison de la représentation du banquet de Bacchus, un mythe de l’Antiquité grecque. Cette mise en scène visait à établir un lien entre la Grèce antique et les Jeux Olympiques en rappelant un aspect de cette époque. Cependant, la performance n’a pas été du goût de tout le monde. Certains responsables religieux ont rapidement qualifié la scène de blasphématoire, estimant qu’elle offensait leurs sensibilités religieuses. En effet, il est paradoxal de constater que ces critiques émanent d’une tradition religieuse qui est, en grande partie, issue de la civilisation gréco-romaine.

Cette réaction révèle une ignorance déconcertante, mais malheureusement courante, des racines historiques de la civilisation occidentale, notamment de l’empreinte considérable de la culture antique sur le développement du christianisme. Ce dernier a largement puisé dans les traditions mythologiques et philosophiques du monde gréco-romain, lequel a été notablement influencé par l’Égypte antique. Pourtant, ces emprunts sont ignorés ou minimisés par les autorités religieuses actuelles, contribuant ainsi à une amnésie culturelle et alimentant des polémiques comme celle qui entoure les Jeux Olympiques. L’ignorance religieuse ne résulte pas uniquement de la simple méconnaissance ; elle est parfois délibérément entretenue pour servir des objectifs politiques ou identitaires.

Le christianisme s’est construit durant la période de l’Empire romain, une société imprégnée de la culture grecque. Il n’est donc pas étonnant que des éléments de la mythologie et de la philosophie gréco-romaines aient été intégrés dans les fondements de cette doctrine, bien que ces apports soient aujourd’hui passés sous silence.

Les similitudes entre Jésus-Christ et le dieu grec Dionysos sont évidentes.

L’une des similitudes les plus frappantes concerne le thème de la mort et de la résurrection, essentiel dans le christianisme avec la crucifixion et la résurrection de Jésus-Christ. Or, ce concept n’est pas inédit dans l’Antiquité. Le dieu grec Dionysos, par exemple, est également associé à la mort et à la renaissance. Les mystères dionysiaques célébraient le retour à la vie, symbolisée par le cycle de la vigne, où le vin, fruit de la transformation, jouait un rôle fondamental, tout comme dans le rite chrétien de l’Eucharistie. De même, les cultes égyptiens d’Isis et d’Osiris comportaient des récits de naissance virginale, de mort et de résurrection. En parallèle, les cultes de Mithra et d’Attis, deux divinités orientales intégrées dans le panthéon gréco-romain, véhiculaient des légendes similaires de mort et de réapparition. Ces récits ont incontestablement contribué à former les dogmes chrétiens, et le personnage de Jésus-Christ s’inspire indubitablement de ces divinités préexistantes.

Le christianisme a en outre emprunté des pratiques rituelles à la tradition gréco-romaine. Les fêtes chrétiennes majeures, telles que Noël et Pâques, coïncident avec d’anciennes célébrations. Noël correspond aux Saturnales romaines, une fête en l’honneur du dieu Saturne, ainsi qu’au solstice d’hiver, symbolisant le retour de la lumière. La fête du dieu Mithra, organisée autour du 25 décembre, marquait également la naissance du dieu solaire.

Pâques coïncide avec des fêtes printanières de renouveau et de fertilité, comme celles commémorées lors de l’équinoxe de printemps. Les cultes d’Isis et Osiris, ainsi que ceux d’Attis et Cybèle, incluaient des rites de mort et de résurrection similaires à ceux de Pâques. Cela témoigne de la manière dont l’Église a intégré et transformé des traditions existantes pour mieux s’implanter dans une société déjà riche en rites religieux.

De plus, le symbolisme chrétien a été influencé par la culture gréco-romaine. La croix, pour illustrer, est devenue l’emblème du christianisme, mais des symboles similaires existaient dans les pratiques religieuses antique. Le poisson, utilisé comme signe secret par les premiers chrétiens, était associé à la fertilité dans les traditions antiques et est devenu par la suite un symbole de Jésus-Christ.

Malgré ces évidences, les emprunts du christianisme à la culture gréco-romaine sont délibérément ignorés par les autorités religieuses. Ce silence n’est pas anodin. Il sert à renforcer l’idée que le christianisme est une religion révélée, unique en son genre, détachée de l’influence des traditions antérieures. Cette vision simplifiée de l’histoire religieuse est cependant trompeuse et réductrice.

Les religions abrahamiques qui font fi de ces impacts renient une partie de leur propre histoire et favorisent la propagation de l’ignorance religieuse, qui alimente des tensions et des malentendus culturels. Cette lacune empêche les croyants de saisir la profondeur et la complexité des traditions auxquelles ils appartiennent, ainsi que d’apprécier les connexions entre différentes cultures et religions.

La controverse autour de la scène du banquet de Bacchus lors des Jeux Olympiques est un exemple parfait de cette amnésie culturelle. Ce banquet, loin d’être une simple célébration de l’excès, est profondément ancré dans la tradition religieuse et culturelle de l’Antiquité, une tradition qui a remarquablement marqué le christianisme. En rejetant cette représentation comme blasphématoire, les critiques passent à côté de la richesse historique et symbolique de cette scène, ainsi que des enseignements qu’elle peut offrir. 

Pour dépasser cette ignorance religieuse, il est essentiel que le christianisme reconnaisse et enseigne son patrimoine gréco-romain. Revenir à ce legs est une étape nécessaire pour restaurer une vision plus complète et plus équilibrée de l’histoire de l’humanité. Le christianisme, en tant qu’émanation de la civilisation gréco-romaine, a le devoir d’admettre et de célébrer cette tradition. C’est en assumant son passé qu’il pourra véritablement contribuer à un monde plus éclairé et plus tolérant.

Axel Illary

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