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    Pourquoi les États africains peinent-ils à promouvoir la Renaissance culturelle de l’Afrique noire ?

    Le Monument de la Renaissance Africaine à Dakar.

    La question de la renaissance culturelle de l’Afrique noire est cruciale, d’autant plus que les chefs d’État africains ont adopté la Charte de la Renaissance culturelle de l’Afrique, qui souligne la nécessité d’enseigner l’Histoire générale de l’Afrique. Cependant, les États africains peinent à mettre en œuvre des actions concrètes pour promouvoir cette renaissance.

    Lors d’une conférence tenue en 1984 à Niamey, au Niger, le célèbre savant Cheikh Anta Diop a déclaré : « Je crois que le mal que l’occupant nous a fait n’est pas encore guéri. Voilà le fond du problème. L’aliénation culturelle finit par être partie intégrante de notre substance, de notre âme, et quand on croit s’en être débarrassé, on ne l’a pas encore fait complètement. Toutes les questions que vous m’avez posées reviennent à une seule : Quand est-ce que les Blancs vous reconnaîtront-ils ? Parce que la vérité sonne blanche. Mais c’est dangereux ce que vous dites. Si réellement l’égalité intellectuelle est tangible, l’Afrique devrait, sur des thèmes controversés tels que l’origine africaine de la première civilisation humaine, être capable d’accéder à sa vérité par sa propre investigation intellectuelle et se maintenir à cette vérité jusqu’à ce que l’humanité sache que l’Afrique ne sera plus frustrée, que les idéologues perdront leur temps, parce qu’ils auront rencontré des intelligences égales qui peuvent leur tenir tête sur le plan de la recherche de la vérité. Mais vous êtes persuadés que, pour qu’une vérité soit valable et objective, il faut qu’elle sonne blanche. »

    Cheikh Anta Diop emploie l’expression « La vérité sonne blanche » pour critiquer la propension des Noirs à ne croire que ce qui est affirmé ou validé par les Blancs. À travers cette image, il dénonce la colonisation intellectuelle dont sont victimes les Noirs, qui tendent à dévaloriser ou à ignorer les savoirs énoncés par leurs pairs. Ces connaissances ne sont jugées crédibles que lorsqu’elles sont avalisées par l’Occident.

    De fait, la colonisation a eu pour effet de dévaloriser les cultures africaines en imposant une vision européenne ou arabe de l’histoire et des valeurs. Cet héritage persiste et la réhabilitation de l’histoire africaine est parfois entravée par des élites qui, consciemment ou non, perpétuent des schémas de pensée hérités de l’impérialisme.

    En effet, la méconnaissance de leur histoire pousse de nombreux Africains à ne pas s’identifier à leur héritage. Cela les rend dépendants de récits historiques imposés par les conquérants, alimente une vision dépréciative de leur culture et engendre parfois un complexe d’infériorité vis-à-vis des cultures occidentale et arabe. Une situation qui empêche le continent d’exploiter pleinement son potentiel en matière de créativité, d’innovation et de développement économique, en raison de la valorisation insuffisante de son riche patrimoine culturel et historique.

    C’est pour combler cette lacune que les chefs d’État africains ont adopté, le 26 janvier 2006 à Khartoum, au Soudan, la Charte de la Renaissance culturelle de l’Afrique. Ce texte ambitionne de restaurer la fierté du peuple noir, à travers une éducation axée sur les contributions de l’Afrique à la civilisation mondiale. Il souligne notamment l’importance d’enseigner l’Histoire générale de l’Afrique, une œuvre majeure qui réunit des chercheurs africains et internationaux afin de reconstruire et valoriser l’héritage historique du continent. Ce projet éducatif vise à éveiller les consciences, à renforcer l’identité culturelle et à lutter contre les stéréotypes qui continuent de nuire à l’image de l’Afrique.

    Pourtant, l’application de cette Charte reste timide, malgré son entrée en vigueur. Or, pour véritablement impulser cette renaissance, il est essentiel que les États africains élaborent des politiques ambitieuses qui visent à réintégrer leur histoire, leurs langues et leurs savoirs dans les systèmes éducatifs et culturels. La réintroduction de l’Histoire générale de l’Afrique dans les programmes scolaires et universitaires est une étape incontournable pour forger une nouvelle génération fière de son héritage et consciente de sa place dans le monde.

    La renaissance culturelle permettra ainsi aux Africains de renouer avec leur patrimoine, de bâtir des sociétés résilientes et d’inventer des modèles de développement en phase avec leurs réalités. 

    Si l’Histoire générale de l’Afrique n’est pas enseignée, les Africains risquent de se déconnecter totalement de leurs racines et de leurs valeurs traditionnelles. Car cet état de fait accentue l’acculturation, marquée par le remplacement des cultures locales par des standards occidentaux et arabes, renforçant par là même l’hégémonie culturelle et l’érosion des identités africaines

    La renaissance culturelle va contribuer à l’émancipation des peuples africains et encourager la solidarité en rappelant un passé commun, notamment les luttes pour l’abolition de la traite négrière, contre l’esclavage et le colonialisme, ainsi que les accomplissements des civilisations africaines, afin de faciliter les initiatives d’intégration panafricaine.

    Une éducation qui ignore l’histoire africaine limite la capacité des Africains à participer activement à la résolution des défis contemporains et à contribuer à un développement endogène fondé sur leurs ressources culturelles et historiques.

    Il va ce soi que l’Afrique ne pourra se libérer du mensonge des oppresseurs et de la domination étrangère que par la sagacité et la détermination de ses filles et fils.

    En somme, l’absence d’une véritable politique de renaissance culturelle africaine constitue un obstacle au développement du continent, car elle prive les Africains d’une connaissance approfondie de leur histoire, de leurs valeurs et de leur potentiel. Pour y remédier, il est essentiel que les États africains s’engagent davantage à intégrer l’enseignement de l’Histoire générale de l’Afrique dans leurs systèmes éducatifs et à promouvoir les valeurs culturelles africaines à travers des programmes de renaissance culturelle. Une telle approche a pour but de libérer l’Afrique de la domination étrangère, renforcer l’identité africaine, favoriser l’unité continentale et contribuer à un développement fondé sur les valeurs et les ressources propres au continent.

    Axel Illary

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