Ivoiriennes, Ivoiriens et chers Amis !
Notre pays a aujourd’hui au moins 7 ou 8 Universités Publiques en pleine activité, près de trois fois plus d’Universités Privées, et des instituts, nationaux comme internationaux, travaillent inlassablement à la grande tâche de restitution de l’histoire des peuples qui constituent la Côte d’Ivoire.
Il s’agit là d’une démarche scientifique rigoureuse, qui privilégiera toujours les faits et les recherches archéologiques sur des vestiges et ruines ; la relation par l’écriture n’ayant pas été toujours présente sous nos cieux, à l’instar de nombreuses autres régions d’Afrique Noire, nos chercheurs en histoire doivent être avides de collecter le maximum de récits et relations de faits de la période, charnière, qui fut celle de la transmission quasi exclusive par l’oralité, à celle de l’explosion des témoignages par l’écrit que livrerent, dans leur diversité, tous ceux qui, venus de loin, ouvrirent les voies à la colonisation.
Tous les originaires des pays de la vaste Afrique Noire, qui naquirent avant les années 1950 à 1960, et qui sont, de nos jours, encore vivants, ont chacun en réserve le vécu d’au moins un événement, enfoui dans la profondeur de leur inconscient, et lié au grand choc des premières rencontres de nos ancêtres avec le monde des << Blancs >>.
Chacun a eu un doyen qui lui a relaté l’arrivée des premiers Blancs, Bloffoue ou Toubabous, dans son village, et l’accueil qui leur a été fait sous l’autorité des chefs ; la fascination que créaient le casque colonial, les bottes, les chechias et les larges ceintures de cuir de leurs soldats africains, sans compter les grands crucifix arborés par les Religieuses et les “Pères ” des missions, etc, etc.
Il y a là dedans, après force tris et compilations rigoureux, assez d’éléments pour cerner de petits pans de l’histoire des rencontres et premiers échanges avec << ceux là >>, venus de certainement très loin, et à la pigmentation de peau d’office stigmatisée blanche.
L’on avait le temps de trouver un nouveau terme pour qualifier la couleur du coton de nos champs et celle de la laine des agneaux de nos brebis !
Et l’on relèvera que, dans presque toutes les régions, une espèce de règle avait imposé qu’à partir du moment où, les Rois ou Chefs traditionnels acceptaient et ordonnaient de donner accueil et hospitalité à ces étrangers si différents, un rapport de force et d’autorité en faveur de ces derniers s’installait d’office.
Il y a urgence à rassembler le plus d’anecdotes et récits possibles, sur ces premiers temps de la rencontre de notre monde négro africain avec ces éclaireurs ou pionniers de l’expansion coloniale européenne moderne.
Confronter et compiler leurs récits et rapports avec l’héritage oral traditionnel de nos royaumes et chefferies est une tâche à privilégier en ce début de XXI ieme siècle, puisque des éléments de correction et d’ajustement peuvent encore ressurgir, ça et là.
Ce qui, de toute évidence, ne sera hélas plus le cas dans 15 ou 20 ans !
C’est d’ailleurs une petite expérience vécue par nous même, il y a quelques années, qui nous a conduit à faire partage à vous tous de ce qui peut interpeller, nous tous vigilants à la recherche et sauvegarde de ses racines.
Nous recevions, pour des vacances et la découverte de l’Afrique de l’Ouest des amis originaires d’un pays d’Europe du Nord.
Nous avons tenu à respecter l’étape d’Abengourou, avec la visite guidée du Palais de la Royauté de l’Indenié.
Le service fut impeccable, au delà même de nos attentes, et nos hôtes n’arrêterent pas de s’informer des moindres aspects de la vie de ce royaume africain dont ils n’avaient encore jamais entendu parler.
A la fin, il nous parut judicieux d’évoquer l’Exode Baoulé et la figure emblématique de Abla Pokou, puisque nous nous trouvions dans le voisinage du lieu de la légendaire traversée du fleuve Comoe grâce aux hippotames.
Le guide en chef nous apprit que la Cour Royale Ashanti, à Koumassi, avait envoyé des émissaires demander à son parent et allié, le Roi N’Denien Indenie, et à sa notabilité, de prêter toute assistance à une colonne qui avait quitté Koumassi et se dirigeait vers eux, suite à une situation de conflit qui avait dégénéré en crise armée.
La royauté N’Denien avait envoyé une colonne de guerriers et d’éclaireurs à leur rencontre, pour contribuer à leur protection, mais surtout les guider vers le seul endroit où, en raison des fortes crues et inondations, le fleuve Comoe pouvait être traversé à gué, sur des bancs de rochers et d’alluvions.
Après cette délicate et longue opération, qui fut une prouesse, et désormais à l’abri, de l’autre côté du fleuve, en terre N’Denien, Abla Pokou remit à plus tard l’invitation de venir séjourner auprès du Roi à Adaou, et insista pour continuer son périple plus loin, vers une région où des partisans et sujets l’attendaient déjà.
Le Roi N’Denien ne pouvait s’y opposer, et lui assura des vivres et une petite escorte ; ceci d’autant plus, qu’entre temps, la Cour Royale Ashanti avait, via des messagers, informé que le conflit avait trouvé solution, et que Abla Pokou pouvait retourner à Koumassi, avec les siens, en toute sécurité et quiétude.
Nous sommes restés “sciés” à l’écoute de ce récit, et n’avons pas pu nous retenir de demander à l’orateur s’il ne nous servait pas une version de l’histoire de Abla Pokou et de l’exode Baoulé qui avait été imposée ou édictée par une quelconque autorité ; tant nous étions loin du récit traditionnel qui faisait partout autorité et nous avait été enseigné à l’école !
Notre interlocuteur, qui appréciait l’intérêt et l’attention que nous portions à notre histoire, prit sur lui de nous obtenir audience sur le champ auprès du Porte-Parole du Royaume ; ce notable et gardien de l’histoire et des traditions nous consacra presque deux heures de son temps pour nous donner une lecture de toute l’histoire des peuples et royautés Ashantis, Abron, Agnis, Baoulé, toujours bien placés dans leur contexte de l’époque. Il confirma les dires du jeune guide, mais alla plus loin et en dit beaucoup plus.
Et, il y a quelques semaines, et comme pour mettre un terme à tous questionnements, nous eumes à visionner un spot sur YouTube, couvrant le Ghana.
Il y était mis à disposition de tous des visites guidées du nouveau Palais de l’Ashantene à Koumassi. L’un guides/orateurs y a, au passage, confirmé que le conflit qui avait divisé la grande noblesse régnante du grand groupe Baoulé à l’époque de la grande princesse Abla Pokou avait trouvé solution, par consensus interne, avec la bénédiction de l’Ashantene.
L’histoire a souvent ses raisons et mini secrets qui ne “fuitent” jamais, et c’est ainsi que trois siècles après, l’affaire Abla Pokou reste une grande énigme du passé pour les Baoulé et partant tous les Ivoiriens qui en ont fait << leur histoire >>.
Laissons à nos spécialistes et chercheurs pousser plus en avant les recherches dans les méandres de cet événement certainement très particulier, et en rupture avec le cours des règles et esprits dans la régence Akan du 18 siècle.
Il y a certainement encore beaucoup à apprendre sur la personnalité et le feu intérieur qui a dû habiter Abla Pokou ; elle continura d’incarner le rôle et le poids des éléments féminins dans la régence des sociétés, en Afrique comme ailleurs.
Et il ne manquera pas de se trouver des dramaturges ou cinéastes de grande inspiration pour puiser de Abla Pokou autant d’œuvres que les grandes héroïnes des panthéons de Grèce, de Rome, de l’Égypte, de l’Inde ; l’on réalise toujours que, lorsque la Femme franchit le pas et s’empare directement du pouvoir pour guider la nation, c’est pour faire face à une situation de crise exceptionnelle, face à laquelle un héros Mâle, celui pour lequel elle s’est engagée, a perdu la maîtrise et a laissé sa vie.
Que les voies soient trouvées et offertes publiquement aux nombreux << aînés >>, << doyens >> ou << vieux père >> ayant quelque chose à dire ou à raconter, non plus à leurs petits enfants qui, aujourd’hui, ne lèvent pas les yeux de leurs tablettes ou téléphones connectés, même pour dire bonjour, mais à l’ensemble du grand corps de la Côte d’Ivoire du futur ; l’on y trouvera certainement beaucoup à apporter à la reconstitution du grand patrimoine culturel et historique de la Côte d’Ivoire. Nous savons que toute l’humanité est en attente impatiente de cela !
Ivoiriennes et Ivoiriens, vous êtes un grand et beau pays qui compte !
Abidjan, le 27 novembre 2024
Le Ministre Kobena I ANAKY
Président du MFA
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