Le panafricanisme est une idéologie et un mouvement qui a pour but d’unir le peuple noir dans un objectif de décolonisation, d’émancipation et de valorisation culturelle. Si cette vision a été largement popularisée au 20e siècle par des figures comme W.E.B. Du Bois et Marcus Garvey, elle trouve ses racines bien avant.
Les premiers idéologues du panafricanisme
Dès le 19e siècle, plusieurs intellectuels et militants noirs commencent à défendre l’idée d’une solidarité au sein du peuple africain et de ses descendants dans la diaspora. Edward Blyden (1832-1912), intellectuel libérien d’origine caribéenne, est considéré comme l’un des premiers théoriciens du panafricanisme. Il prône la fierté noire et encourage le retour des Afro-descendants en Afrique pour reconstruire leur civilisation.

Henry Sylvester-Williams (1869-1911), avocat trinidadien, a joué un rôle crucial dans la formalisation du mouvement en organisant la Première Conférence panafricaine à Londres en 1900, rassemblant des intellectuels noirs pour discuter des injustices coloniales et raciales.

Bishop Henry McNeal Turner (1834-1915), pasteur afro-américain, est l’un des premiers à affirmer que « Dieu est noir ». Il a contribué à l’éveil de la conscience noire et à la critique de l’oppression spirituelle imposée aux Noirs..

L’avènement du panafricanisme moderne
C’est au début du 20e siècle que le panafricanisme prend une dimension politique et militante plus forte avec W.E.B. Du Bois et Marcus Garvey.
W.E.B. Du Bois (1868-1963), sociologue et militant des droits civiques, est l’un des principaux organisateurs des Congrès panafricains entre 1919 et 1945, qui ont eu lieu successivement à Paris en 1919, à Londres, Bruxelles et Paris en 1921, à Londres et Lisbonne en 1923, à New York en 1927, puis à Manchester en 1945. Ces rassemblements ont joué un rôle essentiel dans l’organisation et la structuration du mouvement et ont permis de poser les bases d’une coopération internationale entre les leaders noirs et de renforcer la lutte contre la colonisation et la ségrégation raciale. W.E.B. Du Bois défend l’idée que les Noirs du monde entier doivent coopérer pour mettre fin à la colonisation et aux discriminations raciales. Il encourage également la formation d’une élite intellectuelle noire capable de mener la lutte pour l’égalité.
Marcus Garvey (1887-1940), fondateur de l’Universal Negro Improvement Association (UNIA), défend un nationalisme noir basé sur l’autonomie économique et le retour en Afrique. Son projet, connu sous le nom de « Back to Africa Movement », vise à encourager les Afro-descendants à quitter la société occidentale pour bâtir une nation forte en Afrique. Il lance la Black Star Line, une compagnie maritime censée faciliter ce retour. Malgré leur objectif commun, Du Bois et Garvey s’opposent sur la stratégie.
Du Bois croit en l’intégration des Noirs dans les sociétés occidentales et en la lutte politique, tandis que Garvey préfère une séparation totale et un retour à l’Afrique. Leur rivalité affaiblit temporairement le mouvement panafricaniste, mais leurs idées influencent durablement les générations suivantes.

Le panafricanisme et la négritude
Dans les années 1930, le mouvement de la négritude émerge comme un courant littéraire et politique complémentaire du panafricanisme.Initié par des intellectuels afro-descendants et africains, notamment Aimé Césaire, Léon-Gontran Damas et Léopold Sédar Senghor, ce mouvement met en avant la fierté noire et la valorisation des cultures africaine et afro-descendante. La négritude dénonce l’aliénation culturelle imposée par la colonisation et appelle à un retour aux racines africaines.
Alors que le panafricanisme met surtout l’accent sur l’unité politique et économique du peuple noir, la négritude insiste sur la renaissance culturelle et identitaire. Aimé Césaire, dans son Cahier d’un retour au pays natal, dénonce le colonialisme et valorise la culture noire. Léopold Sédar Senghor, futur président du Sénégal, plaide en faveur d’un dialogue entre les cultures africaine et occidentale.
Le panafricanisme et la négritude se rejoignent donc dans leur lutte contre l’oppression et dans leur volonté de réhabiliter la dignité du peuple noir. Ensemble, ces mouvements ont nourri les combats anticoloniaux et ont influencé les leaders indépendantistes africains du 20e siècle.
Le panafricanisme et la décolonisation de l’Afrique
Au milieu du 20e siècle, le panafricanisme devient un moteur de la décolonisation africaine. Kwame Nkrumah (1909-1972), premier président du Ghana indépendant en 1957, en fait un projet politique concret. Il organise la Conférence d’Accra en 1958, qui réunit des leaders africains pour discuter de l’indépendance et de l’unité du continent. Julius Nyerere (1922-1999) en Tanzanie, Sékou Touré (1922-1984) en Guinée et Patrice Lumumba (1925-1961) au Congo sont d’autres figures du panafricanisme politique qui militent pour l’indépendance et l’unification de l’Afrique. L’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), fondée en 1963 et devenue l’Union Africaine en 2002, reprend les idéaux panafricains pour encourager la coopération entre les États africains.
Par ailleurs, les anciens combattants africains qui ont servi dans l’armée française durant les deux guerres mondiales ont joué un rôle clé dans l’éveil des consciences anticolonialistes. Après avoir combattu pour la puissance colonisatrice en Europe, ils ont été parmi les premiers à exiger des réformes et des droits égaux, ce qui a favorisé la montée des revendications indépendantistes.
Un mouvement toujours vivant
Aujourd’hui, le panafricanisme continue d’influencer les débats sur l’unification politique et économique de l’Afrique, la décolonisation culturelle et la réparation des injustices historiques. Des mouvements comme Black Lives Matter, les revendications pour la restitution des biens culturels africains et les initiatives économiques intra-africaines, comme la Zone de libre-échange continentale africaine, s’inspirent directement de cet héritage.
Ce courant est le fruit d’un long processus historique qui commence au 19e siècle avec des penseurs comme Edward Blyden et Sylvester-Williams, prend de l’ampleur au 20e siècle avec W.E.B. Du Bois et Marcus Garvey, et se concrétise dans les luttes pour l’indépendance africaine. S’il reste encore un idéal inachevé, il demeure une référence majeure pour ceux qui militent pour la cohésion et l’affirmation du peuple noir à l’échelle mondiale.
Axel Illary