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    Les Noirs ne seront jamais unis tant qu’ils prieront les dieux des autres

    ByLa Dépêche d'Abidjan

    Mar 14, 2025

    L’unité du peuple noir, prônée et défendue par le panafricanisme, restera une illusion tant que les Noirs continueront de croire aux divinités imposées par les colonisations européenne et arabe à travers le christianisme et l’islam. Aussi longtemps que les Noirs resteront spirituellement divisés, leur unité politique ne sera qu’un mirage. En effet, comment bâtir une civilisation unie si certains prient le dieu des conquérants européens, tandis que d’autres vénèrent celui des envahisseurs arabes ? 

    Les origines du panafricanisme et la quête de renaissance culturelle

    Le panafricanisme trouve ses racines dans la diaspora africaine et est né en réaction à l’esclavage, à la colonisation et à la ségrégation, des oppressions subies par le peuple noir au fil de l’histoire. Des figures emblématiques comme Marcus Garvey et William Edward Burghardt Du Bois dit W.E.B. Du Bois ont été des pionniers de ce mouvement, appelant à l’émancipation des Noirs et à la construction d’une identité unifiée et forte. En Afrique, Kwame Nkrumah, premier président du Ghana indépendant, a milité pour l’unité du continent.

    L’Union africaine, consciente de l’importance de cette idéologie, a intégré certaines de ses valeurs dans ses principes fondateurs. Elle a notamment adopté la Charte de la Renaissance Culturelle de l’Afrique, un document qui vise à encourager l’Afrique et sa diaspora à se réapproprier leur patrimoine culturel, longtemps bafoué par des siècles d’asservissement. Sur ce point, le Dr Ama Mazama souligne que la notion de Renaissance africaine n’est pas nouvelle. Cheikh Anta Diop en parlait dès 1948, mettant en avant la nécessité d’une nouvelle conscience historique. Kwame Nkrumah évoquait aussi la renaissance culturelle africaine comme un élément clé de la résurgence politique du continent. De même, Thabo Mbeki insistait sur l’importance de redécouvrir l’âme africaine à travers ses grandes œuvres.

    Cependant, la popularisation de ce concept ne doit pas occulter la nécessité de mener une réflexion sérieuse sur les véritables modalités de la libération. Comme l’affirme Ama Mazama : « Ce que le terme traduit, c’est un mouvement d’optimisme, alimenté par notre conviction inébranlable que l’Afrique a un présent et un avenir que nous sommes prêts à façonner. »

    L’aliénation spirituelle : Un obstacle à l’émancipation et à l’unité

    Certains Africains qui se revendiquent du panafricanisme restent attachés aux structures spirituelles imposées par les colonisateurs. Pourtant, les religions abrahamiques, souvent introduites en Afrique par la force, jouent un rôle central dans le processus d’aliénation culturelle. Non seulement elles ont justifié l’infériorisation des Noirs en légitimant la traite négrière, l’esclavage et la colonisation, mais elles participent également à l’effacement des croyances et traditions africaines.

    Aujourd’hui encore, ces religions influencent profondément la vision du monde de nombreux Africains. Plutôt que de questionner cet héritage et de chercher à retrouver une spiritualité ancrée dans leurs traditions, beaucoup de personnes se contentent d’adopter un panafricanisme superficiel, qui se limite à des discours sans réelle remise en question des schémas de domination. Ama Mazama insiste : « Notre prémisse est simple : sans une reprise en compte de notre religion et spiritualité, nous ne pourrons jamais renaître à nous-mêmes, et assumer notre place dans le monde, en tant qu’Africains. »

    Si le christianisme a été diffusé par les puissances européennes colonisatrices, l’islam, quant à lui, s’est imposé bien avant, principalement via des conquêtes menées par des Arabes, et parfois au moyen d’échanges commerciaux.. Ainsi, l’Afrique se retrouve morcelée politiquement, culturellement et spirituellement. Cette aliénation religieuse constitue un obstacle majeur à l’unité politique du peuple noir. En effet, tant que certains Africains se définiront comme chrétiens et d’autres comme musulmans, selon qu’ils ont été dominés par les Occidentaux ou par les Arabes, l’unité africaine restera un leurre. Ama Mazama explique d’ailleurs qu’un peuple qui n’a pas de socle culturel commun ne peut prétendre à une unité politique solide. À titre d’exemple, l’unité de l’Europe s’est construite après avoir surmonté ses divisions religieuses et affirmé une identité culturelle commune. Comment alors espérer une Afrique unie si ses fils continuent de s’opposer au nom de croyances qui ne sont pas les leurs à l’origine ?

    Le défi d’un Nouvel Africain et la nécessité d’une unité culturelle

    Si les Africains veulent réellement se libérer de la domination étrangère, ils doivent aller au-delà des revendications politiques et économiques et mener une réflexion profonde sur la dimension spirituelle de l’aliénation. L’enjeu est de faire émerger un Nouvel Africain, éveillé à son héritage et prêt à assumer son rôle de bâtisseur d’une civilisation renouvelée. À cet égard, Cheikh Anta Diop, écrivait : « L’Africain qui nous a compris est celui-là qui, après la lecture de nos ouvrages, aura senti monter en lui un autre homme, animé d’une conscience historique, un vrai créateur, un Prométhée porteur d’une nouvelle civilisation et parfaitement conscient de ce que la terre entière doit à son génie ancestral dans tous les domaines de la science, de la culture et de la religion. »

    Selon Ama Mazama, malgré l’énorme travail accompli par le savant et d’autres après lui pour exposer la grandeur historique et culturelle des Noirs, la question de la faible valorisation de ce peuple reste cruciale. Elle reprend le concept d’estime culturelle proposé par Molefi Kete Asante, qui décrit la relation souvent problématique que les Africains entretiennent avec leur propre culture. Dans cet élan, l’enseignante dénonce « la colonisation de l’image de Dieu », car cette colonisation spirituelle empêche les Africains de concevoir leur propre sacralité, ce qui entrave également leur unité. Ama Mazama explique que lorsque ces derniers s’agenouillent devant la statue d’un Jésus blanc ou qu’ils prient un Dieu dont l’image a été façonnée par d’autres peuples, ils valident inconsciemment une hiérarchie mondiale où l’homme noir est relégué à une position subalterne.

    Par conséquent, l’unité africaine ne pourra se concrétiser que si l’on remet en question les croyances héritées des systèmes de domination, car il ne suffit pas de revendiquer une unité politique ou économique sans asseoir cette unité sur des fondements culturels solides. Pour sortir du cycle d’aliénation et construire un avenir véritablement indépendant, il est indispensable de réhabiliter les traditions africaines et de s’en inspirer afin de bâtir une nouvelle conscience collective. L’Afrique ne pourra s’affirmer pleinement dans le concert des nations qu’en se reconnectant à son essence et en assumant sa propre vision du monde.

    En définitive, le panafricanisme ne doit pas être un simple slogan ou une mode passagère. Il doit être un engagement profond en faveur de l’unité, de la connaissance et de la véritable libération du peuple noir. Seule une redéfinition du rapport de cette communauté à son histoire et à sa spiritualité lui permettra de retrouver sa pleine souveraineté.

    Axel Illary

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