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    La Liberté d'Informer

    Les cheveux noirs ne se lissent pas, ils résistent

    Les cheveux des femmes noires portent un héritage parfois douloureux, fait de contrainte et de honte imposée, mais aussi une histoire de fierté et de résilience. Aujourd’hui, arborer ses cheveux naturels peut sembler anodin, néanmoins ce geste reste symbolique. Il traduit un refus d’un standard esthétique occidental, longtemps érigé en modèle unique. Derrière chaque afro, chaque tresse, chaque cheveu laissé libre s’exprime une revendication silencieuse et puissante, qui affirme le droit d’être soi.

    Une histoire liée à l’esclavage 

    Pendant l’esclavage, les femmes noires ont été fréquemment l’objet de fantasmes de leurs maîtres. Le stéréotype de la femme noire perçue comme naturellement sensuelle ou « exotique » prend racine à cette époque, où leurs corps, leur peau et leurs coiffures étaient fétichisés. Cependant, cette fascination s’accompagnait d’un intense mépris. Les cheveux crépus étaient jugés « sauvages », « indisciplinés » ou « non civilisés ». Ce dénigrement servait à légitimer une hiérarchisation raciale en opposant la beauté noire à des normes européennes considérées comme supérieures.

    Par ailleurs, certaines femmes blanches éprouvaient de la jalousie envers les femmes esclaves, notamment lorsque leurs maris leur portaient une attention excessive. Une rivalité s’est alors instaurée, qui alimentait une pression pour que les femmes noires dissimulent leur beauté naturelle, en particulier leurs cheveux, jugés séduisants par les hommes blancs.

    À ce propos, la Tignon Law, promulguée en Louisiane à la fin du XVIIIe siècle, constitue un exemple emblématique. Cette loi obligeait les femmes noires à couvrir leurs cheveux avec un foulard (tignon), car leurs coiffures étaient dépeintes comme « trop attractives ». De nombreux témoignages historiques relatent que les coiffures élaborées des femmes noires, par exemple les tresses complexes, les chignons ou les parures capillaires, attiraient les regards.

    Le fait d’être à la fois admirée et réprimée est un paradoxe typique du pouvoir colonial sur le corps noir. Quand une femme noire assume sa beauté, surtout dans un cadre où elle est censée être inférieure, cela dérange. On lui impose donc la honte non parce qu’elle est objectivement laide, mais parce qu’elle est trop visible, trop séduisante, trop affirmée.

    L’héritage colonial et la quête de conformité

    Dans les décennies suivant l’abolition de l’esclavage, les normes de beauté eurocentrées se sont imposées dans toutes les sphères sociales. Beaucoup de femmes noires ont alors commencé à lisser leurs cheveux, non pas par choix esthétique, mais par obligation sociale, pour se conformer, être acceptées et accéder à des opportunités professionnelles, tout en évitant la marginalisation.

    Madame C.J. Walker est la première femme noire à être devenue millionnaire aux États-Unis grâce à une entreprise de produits capillaires destinés aux femmes afro-américaines. Elle vendait des produits pour lisser les cheveux, car c’était la norme sociale de l’époque. Les cheveux lisses facilitaient l’accès à des opportunités dans la société ségrégationniste.

    Nos cheveux, nos luttes : un acte de résistance

    Cependant, dans les années 1960, le mouvement Black is Beautiful a révolutionné ces codes imposés. Des figures comme Angela Davis ont popularisé la coiffure afro comme symbole de résistance et de fierté noire. Porter ses cheveux naturels est devenu un acte politique et identitaire, un moyen de rejeter l’idéologie coloniale et de revendiquer la dignité et la liberté. Le message était clair : « Nos cheveux ne sont pas à corriger. »

    Aujourd’hui, des femmes noires célèbres, telles que Lupita Nyong’o, Solange Knowles ou Chimamanda Ngozi Adichie, assument pleinement leurs cheveux naturels et inspirent des millions de femmes à travers le monde. Cette tendance à embrasser la beauté naturelle est un symbole d’émancipation et de réappropriation de soi.

    Cheveux naturels et normes sociales 

    Pourtant, malgré les avancées, le combat n’est pas encore terminé. Dans le monde professionnel, de nombreuses femmes noires affirment qu’elles se sentent contraintes de lisser leurs cheveux ou de porter des perruques pour être prises au sérieux, notamment dans des secteurs comme la finance, le droit ou la communication. Les cheveux crépus ou naturels y sont encore perçus comme « pas professionnels », « trop militants » ou « négligés ». Cette pression silencieuse pousse certaines à se conformer à des normes de beauté  influencées par des standards occidentaux, ancrés dans les imaginaires collectifs à travers l’histoire coloniale, les médias ou la mondialisation.

    Le port de perruques lisses est devenu une solution courante pour répondre aux attentes esthétiques dominantes dans ces milieux professionnels. Cela reflète la persistance du modèle eurocentrique qui demeure un obstacle à l’acceptation de la diversité capillaire des femmes noires dans de nombreux secteurs.

    Le complexe lié à la beauté occidentale : un héritage colonial toujours vivant

    L’usage des perruques, des cheveux lissés ou des coiffures « conformes » ne date pas d’hier. Il s’inscrit dans un contexte historique marqué par la colonisation, qui a imposé des critères de beauté eurocentriques comme modèle unique. Ces standards ont généré un complexe chez de nombreuses femmes noires, qui ont été poussées à rejeter leur beauté naturelle pour s’aligner sur les critères esthétiques dominants.

    L’héritage colonial, à travers la domination culturelle, sociale et politique, a créé une hiérarchisation des corps et des apparences, où la peau claire, les cheveux lisses et les traits européens étaient perçus comme les symboles de la beauté et du statut social supérieur. Cela a conduit certaines femmes noires à adopter des pratiques comme le lissage des cheveux pour éviter d’être marginalisées dans une société valorisant les caractéristiques physiques « européennes ».

    Dans la société post-coloniale, cette idéologie s’est intensifiée, créant des stéréotypes et des préjugés liés aux cheveux naturels, considérés comme indisciplinés, trop exotiques, voire « sauvages » ou « non civilisés ». Le recours aux perruques lisses, même en dehors des milieux professionnels, est devenu pour beaucoup une manière de s’adapter à des normes esthétiques valorisées par la société.

    En Afrique, comme dans la diaspora, l’utilisation des perruques lisses et des cheveux défrisés s’est développé. La colonisation a ainsi modifié  les rapports sociaux et économiques des peuples africains, ainsi que leurs représentations de soi, en particulier en ce qui concerne l’apparence physique.

    Le retour au naturel 

    Des discriminations persistent de nos jours, bien que des progrès aient été réalisés. Dans de nombreux pays, des enfants noirs sont encore moqués ou sanctionnés à l’école à cause de leurs cheveux naturels ou de coiffures traditionnelles (afro, tresses, locks, bantu knots, etc.), jugées non conformes, négligées, voire provocantes selon des canons esthétiques blancs.

    Face à cette réalité, des pays comme les États-Unis ont commencé à légiférer. La CROWN Act (Creating a Respectful and Open World for Natural Hair), adoptée dans plusieurs États comme la Californie et New York, interdit explicitement toute forme de discrimination liée aux cheveux naturels, ou à des coiffures comme les tresses, les locks ou l’afro.

    En France, bien que la législation sur ce sujet soit encore en gestation, les discriminations capillaires peuvent être dénoncées dans le cadre des lois antiracistes et anti-discriminatoires. Les discussions publiques sur ce thème se multiplient, et des mobilisations sur les réseaux sociaux contribuent à une prise de conscience croissante.

    Nos cheveux sont politiques

    Les choses évoluent, lentement mais sûrement. De plus en plus de femmes noires choisissent de porter leurs cheveux tels qu’ils sont, sans chercher à les lisser ni à les dissimuler. Pour elles, ce retour au naturel est un acte à la fois intime et politique. Il marque un retour à soi, à ses racines, à sa liberté. Chaque boucle assumée témoigne d’un long chemin parcouru.

    Aujourd’hui, cette réappropriation capillaire est largement célébrée sur les réseaux sociaux, portée par des mouvements comme #TeamNatural, #NappyHair, #BlackGirlMagic ou #LoveYourRoots, qui valorisent la fierté, l’acceptation de soi et la solidarité entre femmes noires. Ces communautés numériques jouent un rôle crucial dans la redéfinition de la beauté noire et l’émancipation des femmes noires à travers le monde.

    Axel Illary

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