Nombreux sont ses camarades de lutte qui l’ont quitté ou rompu leur alliance avec lui à cause de cette divergence de vue qui n’était pas seulement conjoncturelle chez lui mais ontique, c’est-à-dire lié au fait même de faire la politique. Et personne ne peut nier en Côte d’Ivoire ces paroles fortes dites à l’ occasion de la dédicace du livre de son ami Guy Labertit, Côte d’Ivoire, sur le sentier de la paix : « Pendant ces trente années de combat dans l’opposition, jamais je n’ai pris aucune arme contre aucune institution de la Côte d’Ivoire. Jamais, pendant ces trente années, alors que je subissais les affres de la prison – mon père a été en prison, moi-même j’ai été en prison, mon oncle a été en prison, mon épouse a été en prison, mon fils a été en prison, ma sœur a été en prison – mais jamais, jamais, nous n’avons songé à prendre les armes contre la Côte d’Ivoire. Parce que nous croyons en nous. Parce que nous avons confiance en nous. Et nous avons confiance en notre relation avec le peuple. Nous savions que, tôt ou tard, ce peuple-là, que nous défendions, allait nous reconnaître et nous donner le pouvoir. Quand on a confiance en soi, on ne prend pas les armes pour faire la guerre civile. Quand on a confiance en soi, on ne cherche pas les fusils comme moyen d’accession au pouvoir. » En clair, pour Laurent Gbagbo la violence politique relève simplement de la faiblesse politique. Il est insensé de s’engager dans l’art de gouverner les hommes en brandissant les armes. C’est totalement ubuesque aujourd’hui que Laurent Gbagbo soit poursuivi devant un tribunal international pour ce qu’il a toujours reprouvé dans sa vie et par ceux qui ne peuvent montrer patte blanche sur la question.
Deuxièmement une chose est d’être un politicien qui n’a jamais pris les armes et une autre est de ne pas en être un piètre. En Afrique en général et en Côte d’Ivoire en particulier, personne n’exagère quand elle classe Laurent Gbagbo parmi les hommes politiques les plus modernes. Au sens ou la modernité est non seulement le signe de la rupture d’avec l’obscurantisme françafricain mais aussi celui du progrès dans la façon de faire la politique. Il est le seul homme politique en Côte d’Ivoire dont le projet de société et le programme de gouvernement a fait l’objet d’une bibliographie bien fournie 10 ans avant qu’il ne prétende à la magistrature suprême. Houphouët Boigny a hérité de la Côte d’ivoire indépendante sans jamais avoir écrit une seule ligne pour communiquer sur ce qu’il comptait faire avec le peuple ivoirien. Lui-même se prenait pour Jésus Christ et Mahomet qui n’ont jamais écrit. Henri Konan Bédié a, à travers une interview-livre, retracé les chemins de sa vie. Robert Guei a, à peine, eu le temps de dire au peuple qu’il est leur candidat. Quant à Soro Guillaume, il a donné dans un livre les raisons pour lesquelles il a imposé au peuple ivoirien une crise inutile et improductive politiquement. D’Alassane Ouattara, à part les slogans de campagne électorale promettant des pluies de milliards, on ne connait aucun écrit sérieux pouvant nous renseigner sur sa vision politique.
Côte d’Ivoire, Pour Une Alternative Démocratique (1988); Gouverner autrement la Côte d’Ivoire, Fonder une nation africaine démocratique et socialiste en Côte d’Ivoire ; Côte d’Ivoire, bâtir la paix sur la démocratie et la prospérité ; Côte d’Ivoire, Histoire d’un retour, voila une palette des œuvres politiques du président Laurent Gbagbo. Si quelqu’un comme OCampo veut savoir quelle a été la politique de Laurent Gbagbo durant ses 46 ans de vie politique, il n’a qu’à ouvrir l’un de ces livres au lieu de tirer d’une imagination torturée par les effets de la compromission des politiques fantaisistes d’extermination de son peuple. Pour avoir une idée de la dimension intellectuelle de Laurent Gbagbo, citons pour finir ce passage qu’a retenu pour la publicité par l’éditeur de la réédition de 2004 de Côte d’Ivoire, Pour Une Alternative Démocratique sorti en 1988 « La Côte-d’Ivoire est un pays sous-développé. Il nous faut donc nous battre contre cette situation que nous ne considérons ni comme une malédiction, ni comme une fatalité. Or l’histoire nous enseigne qu’aucun peuple asservi ne peut faire efficacement face aux défis de l’humanité sans avoir au préalable brisé ses chaînes. Le sous-développement dans la servitude accentue le sous-développement. Nous savons bien que la démocratie n’est pas un remède miracle qui va résoudre par enchantement tous nos problèmes. Mais elle constitue un préalable indispensable. Nous avons une agriculture à repenser pour sortir des pièges que nous a légués l’ère coloniale ; nous avons une politique énergétique à mettre en place et à mener avec constance afin de créer les conditions d’une industrialisation véritable ; nous avons à redéfinir le rôle de l’école et l’orientation de la médecine ; en somme nous avons à combattre la faim, la maladie, l’ignorance, la rigueur du marché international et l’appétit vorace des impérialismes ; bref, nous avons un pays à bâtir. Cette tâche n’est pas au-dessus de nos forces. L’exécution d’une œuvre aussi gigantesque que la construction nationale exige que chacun se sente concerné ; il faut pour cela que les Ivoiriens soient impliqués dans un débat politique national, qu’ils aient une prise sur les choix fondamentaux de leur pays ; qu’ils sachent qu’ils ne sont pas des robots à qui l’on demande seulement de produire, sans savoir à quoi (ou à qui) cela sert de produire. Il faut responsabiliser nos citoyens depuis les paysans jusqu’aux plus hauts responsables de l’administration en passant par les ouvriers et les cadres du secteur privé. Une telle mobilisation implique que les Ivoiriens fassent consciemment et librement le choix d’une politique. A ce niveau, la liberté n’est plus simplement un concept moral ni une donnée politique ; la liberté est le levier le plus puissant du développement économique. »
Joseph Marat
Mon, 04 Jun 2012 21:05:00 +0200
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