« Quiconque tient l'histoire d'un peuple tient son âme, mais quiconque tient la spiritualité d'un peuple le contraint à vivre sous le joug d'une servitude éternelle. »

Cheikh Anta DIOP

Martin Untersinger Ed, Néerlandais de 43 ans et père de « peut-être plus de 120 enfants »

Adolescent, Ed, petit dernier d’une fratrie de six, pense à se faire moine. «Je voulais consacrer ma vie à quelque chose de positif et de pérenne», affirme-t-il. Plus tard, il se découvre une autre vocation… Cela a commencé comme une sorte d’«obligation morale», le jeune Ed ayant côtoyé plusieurs couples stériles. À la clinique de Maastricht, il «réussit des examens, raconte-t-il fièrement, auxquels plus de 85 % des hommes échouent!»: son sperme est jugé d’excellente qualité. «Quand on m’a dit que j’avais donné mon quota, c’est-à-dire suffisamment pour engendrer 25 enfants, j’ai été très déçu, se souvient-il. C’est là que j’ai décidé de devenir donneur privé.» En 2004, les Pays-Bas abandonnent le principe de l’anonymat du don de gamète. Résultat: une chute drastique des dons… et des listes d’attente qui peuvent aller jusqu’à quatre ans.
De longs échanges avant d’accepter

«Trop injuste!, s’insurge Ed. Tout particulièrement pour ces femmes de quarante ans, ces lesbiennes et ces couples qui ont dépensé leur fortune dans des traitements de fertilité…» Philanthrope, certes, mais pas question non plus d’être un simple «livreur» ! «Il faut d’abord que les futurs parents me convainquent que je me sentirais bien si j’étais leur enfant», indique-t-il sur le site qu’il a créé, qui affiche photos d’enfance et tests médicaux à jour. «Tous ceux que j’ai aidés sont des gens bien, assure-t-il. J’ai de longs échanges par courriel et par téléphone avant d’accepter: je ne veux pas que ma progéniture soit élevée par des gens psychologiquement instables»…

«Une fois, j’ai refusé une femme, se souvient-il. Sur la photo, elle n’était pas mal, mais derrière elle, dans la pièce, c’était le bordel!» Pas de parents trop incultes, non plus, souligne cet historien, guide touristique polyglotte, car «il faut qu’ils soient capables d’accompagner leurs enfants dans de hautes études»… Mais «parce qu’une vie, ça n’a pas de prix», il n’a jamais voulu demander d’argent. «J’ai vu des reportages où des enfants disaient se sentir “achetés”: c’est traumatisant!», clame-t-il.

Tout récemment, devant l’affluence des demandes venant «du monde entier», Ed s’est fait encore plus pointilleux: «Pas de femmes droguées ni alcooliques bien sûr, ni même fumeuses, ni trop grosses», confie-t-il. Pour garder lui-même «la forme», ce colosse d’1,90 m, un peu enveloppé, s’astreint à pédaler de temps en temps sur le vélo d’appartement qui trône dans son salon, se nourrit de viande rouge et ne s’autorise qu’un verre de vin par mois.

Au début, l’insémination se faisait avec «avec un bol et une seringue». Mais voilà qu’un jour, un couple d’Argentins proteste: «Nous voulons que l’un des actes les plus importants de notre vie se passe normalement, a insisté le mari. Qu’au moins au moment de la conception de notre enfant, il y ait un peu de romantisme!» Les nuits suivantes ayant été fructueuses, Ed retient la méthode. Depuis, le généreux Néerlandais n’hésite pas à donner de sa personne. «Comment ne pas préférer cela à une insémination à l’hôpital avec une paillette congelée anonyme ?, interroge-t-il benoîtement. Et moi, il faut bien que j’ai un peu de plaisir dans l’histoire…» Le mari? «Eh bien, on le laisse dans le salon et je lui explique comment fonctionne la télécommande…, confie Ed. Pendant des années, je me suis torturé l’esprit pour que tout soit éthiquement correct, en ne faisant que le strict nécessaire. Mais finalement, je me dis: créer une nouvelle vie, c’est aussi une fête!»

La vie de ce célibataire est donc rythmée par les ovulations de ces dames. «Je ne peux pas partir longtemps en vacances, indique-t-il. Quelquefois, j’ai des semaines très intenses. Il arrive que j’aie deux ovulations par soir!» On se bouscule parfois dans le petit trois-pièces, mais «dans la convivialité» : «La dernière fois, une Italienne a fait des pâtes à la carbonara, tandis que des Géorgiens nous ont parlé de leur pays.» Une fois même, une demoiselle est venue avec sa mère, inquiète «qu’il n’arrive quelque chose» à sa fille…

Jusqu’à présent, je ne me suis pas autorisé de grands sentiments envers eux… Pour la protection de leur famille et la mienne, il vaut peut-être mieux !
Ed Houben

Le risque de consanguinité? Ed a tout prévu. «Tout est consigné dans mon ordinateur sur un tableau Excel, indique-t-il. Noms des parents, nationalité, sexe de l’enfant, date de naissance, méthode employée, etc. Comme cela, si des jeunes se rencontrent par exemple en faisant leurs études à la Sorbonne, et qu’ils ont des doutes sur la façon dont ils ont été conçus, ils pourront me contacter pour savoir si je suis leur père.»

Car si Ed est «convaincu que les enfants doivent savoir d’où ils viennent», il ne veut pas non plus s’imposer. Ce contrat tacite n’a aucune valeur juridique, mais le donneur renonce à tout droit sur l’enfant à venir, et la maman à toute pension alimentaire. «Les parents savent qu’avec moi, ils n’auront pas à envoyer des comptes rendus réguliers, précise-t-il. En revanche, à tout âge, l’enfant saura qu’il pourra venir me voir et me poser des questions.»

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Tue, 06 Aug 2013 13:54:00 +0200

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La Dépêche d'Abidjan

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