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Cheikh Anta DIOP
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Procureur Ocampo : la sortie d’un imposteur (Par Charles ONANA)

Voici neuf ans jour pour jour que le procureur argentin Luis Moreno Ocampo conduit des investigations à charge au sein de la Cour Pénale internationale (CPI). Son terrain de prédilection est vite devenu l’Afrique, zone d’instabilité politique et de conflits armés. Parce qu’il agite la menace de mandats d’arrêt contre quelques dirigeants africains, certaines organisations des droits humains ont fait de Luis Moreno Ocampo l’homme providentiel qui incarne désormais la lutte contre l’impunité, nouvel étendard de la CPI. Cette appréciation maintes fois rebattue mérite au moment de son départ de la CPI un examen serré.
Le passé de monsieur Ocampo et son travail devant la cour nous y obligent. Pour avoir longuement enquêté sur celui qui fut autrefois l’avocat du célèbre footballeur argentin Diégo Maradona et sur ses méthodes d’investigation en tant que procureur de la CPI, nous allons livrer ici quelques séquences de son oeuvre.

1-Ocampo, le défenseur des droits de l’Homme
Né en 1952 Luis Moreno-Ocampo commence sa carrière en Argentine comme assistant du procureur lors du procès de la junte militaire qui dirigea le pays de 1976 à 1983. Peu après, il devient avocat et s’affiche comme défenseur des droits de l’Homme. En 1991, il crée à Buenos Aires la fondation Poder Ciudadano, une ONG qui prétend promouvoir l’Etat de droit. Ocampo décide alors d’élargir la défense de l’Etat de droit à l’ensemble des Etats de l’Amérique latine. Ce qui est très ambitieux! Sa fondation participe ainsi à la création du réseau interaméricain pour la démocratie et la commission de suivi de la convention interaméricaine contre la corruption.
Seulement, ces actions sont avant tout des initiatives politiques qui répondent d’abord à la politique d’influence des Etats-Unis dans la région et elles sont financées directement par les fonds publics américains à travers l’USAID (l’Agence américaine de développement international). Les revenus et les frais de mission de monsieur Ocampo sont donc assurés pendant cette période, à la tête de sa fondation, par le gouvernement américain.
En 1995, avec le soutien de quelques personnalités politiques influentes à Washington, il devient le représentant pour l’Amérique Latine de Transparency international, une institution qui travaille aussi pour le compte de l’organisation américaine National Endowment for Democraty (NED). Cette dernière est surtout une officine qui organise des coups d’Etat contre des chefs d’Etat en Amérique Latine. Pour mémoire, en avril 2002, la NED a financé le coup d’Etat contre le président Chavez à hauteur de 20 millions de dollars. Les beaux discours de Poder Ciudadano sur la démocratie semblent plutôt servir des actions occultes de la diplomatie américaine en Amérique latine. La suite de sa carrière nous fournit quelques éléments d’appréciation.

2-Ocampo et l’affaire Jean-Pierre Bemba
Après avoir perdu les élections présidentielles en 2006 en République Démocratique du Congo, Jean-Pierre Bemba est arrêté par la police belge et déféré devant la cour Pénale Internationale en juillet 2008. Que lui reproche-t-on? Le procureur Ocampo lui reproche d’avoir introduit ses milices armées en République centrafricaine pour prêter main forte au président Ange-Félix Patassé alors au pouvoir dans ce pays. Ce dernier, en difficulté à la tête de l’Etat, avait sollicité monsieur Bemba pour l’aider à gérer une situation politico-militaire chaotique. Finalement, suite à des morts, des blessés et des déplacés, la CPI, sous la houlette du procureur Ocampo, a décidé de poursuivre exclusivement et en priorité Jean-Pierre Bemba. Difficile de comprendre cette préférence car si monsieur Bemba est accusé de crime en Centrafrique, monsieur Patassé, ancien président de la République de Centrafrique qui l’a invité, doit au moins être accusé lui aussi de complicité. Or ce dernier n’a été ni poursuivi ni auditionné par Ocampo. Ce qui fait dire à divers avocats et représentants des organisations des droits de l’Homme que les investigations du procureur sont partielles et partiales. Pis, de tous les groupes armés qui ont opéré en RCA à l’époque des faits, seul le groupe de Jean-Pierre Bemba intéresse le procureur Ocampo.

Pourquoi ce choix? Cette façon de «rendre justice et de lutter contre l’impunité» ne convainc ni les juristes chevronnés ni les puristes du droit pénal international. Il est également apparu dans ce dossier que le procureur utilisait de faux témoins pour justifier ses accusations. Le procès de Jean-Pierre Bemba connaît encore des rebondissements et rencontre des difficultés multiples pour être équitable et crédible. Les mêmes difficultés se posent aussi à propos des investigations lancées au Soudan sur «le génocide du Darfour».

3- Ocampo et le «génocide au Darfour»
Le monde entier a vécu la campagne de propagande sur le «génocide du Darfour» dirigée par le gouvernement George W. Bush et son secrétaire d’Etat Colin Powel. Tout le monde s’y est mis : Save Darfur aux Etats-Unis avec Georges Clooney et Urgence Darfour en France avec Bernard Kouchner, Bernard-Henri Lévy, etc. Le procureur Ocampo s’est emparé de l’affaire jusqu’à lancer un mandat d’arrêt international contre le président du Soudan Omar Al-Bashir. Seul problème, en 2005, une commission d’enquête de l’ONU présidée par le juge italien Antonio Cassese rend un rapport précisant que les événements du Darfour ne sont pas constitutifs d’un génocide. Cette position est partagée par de nombreux observateurs indépendants tels les membres de Médecins Sans Frontières et notamment de son ancien président Rony Brauman et certains humanitaires travaillant sur place au Darfour. Pour Ocampo, tout cela n’a aucune importance, ce qui compte c’est l’arrestation du président soudanais.

Toutefois, dans sa propre requête, le procureur reconnaît que le «chef de l’Etat soudanais n’a pas commis physiquement ou directement» les crimes dont on l’accuse mais il souligne qu’il les aurait commis par l’intermédiaire de l’appareil d’Etat. Plus important, le Soudan n’a jamais ratifié le protocole de Rome instituant la CPI. Cette dernière ne peut donc pas logiquement poursuivre un chef d’Etat qui ne reconnaît pas sa compétence. Rien n’y fait, monsieur Ocampo affirme dans les médias qu’il faut arrêter le président du Soudan s’il ose voyager à l’étranger. La démarche politique du procureur commence alors à agacer les juristes. Son propre ami, Jens Meierhenrich, professeur de droit à l’université d’Harvard, déclare : «Les déclarations publiques de Luis Moreno-Ocampo ne fournissent que très peu de preuves sur le génocide au Darfour».
Excédé par la campagne médiatique du procureur de la CPI, le juge italien lance dans un témoignage au quotidien italien La Republica: «On n’administre pas la justice avec des fanfares». Le coup est rude. Ocampo encaisse mais ne renonce pas. Il saisit la chambre préliminaire de la CPI pour qu’elle inscrive l’accusation de «génocide » dans le mandat d’arrêt contre Al-Bashir. Mais par sa décision du 4 mars 2009, la chambre rejette l’argument de «génocide» et considère qu’aucun élément dans le dossier n’autorise à formuler cette accusation. Vexé par cette décision, il saisit la chambre d’appel qui rejette à nouveau l’accusation de «génocide» contre Al-Bashir. Son dossier est faible mais il s’en moque. Pour obtenir le maintien de l’accusation de «génocide au Darfour», Ocampo n’hésite pas à recourir à de faux témoins ou à de faux témoignages. Selon un ancien stagiaire de son bureau et un de ses collaborateurs que nous avons interrogés, la présomption d’innocence et l’impartialité ne sont pas des notions à chérir lorsqu’on travaille aux côtés du procureur Ocampo.

4- Ocampo et la crise ivoirienne
Dans la crise ivoirienne, on peut constater que la méthode de travail du procureur de la CPI n’a pas vraiment évolué dans le bon sens, c’est-à-dire en mettant la présomption d’innocence et l’impartialité au centre des enquêtes. Il est parti d’un préjugé : «la communauté internationale souhaite la chute et l’arrestation du président ivoirien Laurent Gbagbo». En pleine crise, Ocampo menace donc d’arrêter ceux qui violent les droits de l’homme en Côte d’Ivoire. Sans doute cherche-t-il à se montrer coopératif au cas où «la communauté internationale» a besoin de ses services. C’est ce qui va se produire puisque deux avocats parisiens de monsieur Alassane Ouattara préparent, dans le plus grand secret, une requête contre le Président Laurent Gbagbo au mois de mars 2011et l’adressent au procureur Ocampo. Une fois le président Gbagbo renversé et arrêté, Ocampo rencontre discrètement à Paris Alassane Ouattara pour mettre au point une stratégie de transfert du président Gbagbo devant la CPI. Ils sont déjà d’accord sur le fait que ce dernier est responsable des crimes commis au cours de la période post-électorale en Côte d’Ivoire.

Avant même de lancer des investigations approfondies dans tout le pays, Ocampo considère que seul le Président Gbagbo doit être traduit devant la CPI. Si l’on admet que la crise post-électorale a opposé deux camps, que le conflit armé a également opposé deux camps, on peut supposer qu’il y a des suspects et des suspicions de crimes dans les deux camps. Apparemment, Luis Moreno-Ocampo n’a pas la même lecture des événements. Sa vision est univoque et restrictive sur les crimes commis en Côte d’Ivoire. Malgré les crimes commis par les rebelles ivoiriens pro-Ouattara et sur lesquels l’ONUCI dispose d’une documentation abondante, malgré les actes de violence posés par les forces d’Alassane Ouattara devant les caméras de télévision du monde entier, le procureur de la CPI a jugé que seul Laurent Gbagbo était digne d’aller à La Haye. Le procès nous dira si celui que les médias ont souvent présenté comme un impitoyable chasseur de criminels n’est pas en réalité un serviteur occulte des décisions politiques de la «communauté internationale». Autrement dit, celui qui a été choisi pour préparer et exécuter des «coups d’Etat judiciaires» pour le compte de la CPI, en lieu et place des plus traditionnels «coups d’Etat militaires» est-il un défenseur du droit ou un imposteur? En attendant que de nouvelles proies viennent remplir les geôles du nouveau procureur, il n’était pas inutile de siffler à notre façon la sortie peu honorable du pseudo militant de la lutte contre l’impunité. Nous lui disons Adios Moreno.

Charles ONANA

Sun, 17 Jun 2012 09:36:00 +0200

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La Dépêche d'Abidjan

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