« Quiconque tient l'histoire d'un peuple tient son âme, mais quiconque tient la spiritualité d'un peuple le contraint à vivre sous le joug d'une servitude éternelle. »

Cheikh Anta DIOP
Categories: Politique

Révélation sur le 19 septembre 2002: Le rôle de la Droite française

Pour la Droite française, la colonisation n’est pas finie. L’Afrique doit demeurer dans l’assujettissement, à l’éternité, pour servir le maître métropolitain, la tête courbée. Aussi, pour le Paris des pouvoirs incarnés par la Droite française, tous ceux qui osent parler de souveraineté des Etats africains et d’égalité des peuples doivent être châtiés de leur témérité. Et Laurent Gbagbo, fraîchement élu Président de la république en octobre 2000, va éprouver, dans toute sa laideur, cette vision colonialiste invariable. Le 19 septembre 2002, alors que le peuple ivoirien dort paisiblement, les déstabilisateurs préparent le drame dans lequel ils vont plonger la Côte d’Ivoire. Une horde de rebelles armés attaque simultanément les symboles de la république sur tout le territoire national. Abidjan, bouaké et Korhogo sont les véritables cibles des assaillants.

S’ils sont mis en déroute dans la capitale économique, ils réussissent à former un kyste dans les deux autres villes. Les morts se comptent par milliers. Au nombre desquels, à Abidjan, le ministre de l’Intérieur Emile boga Doudou, rentré la veille d’une mission en France. Marcellin Yacé, artiste musicien, est tué dans les feus croisés des rebelles, alors qu’il rentre de son studio d’enregistrement.

Dans la matinée, le général robert Guéi et le Colonel Yodé subissent le même sort. A bouaké, le Colonel Dagrou Loula n’échappe pas à la chevauchée meurtrière des assaillants. Le lendemain, plusieurs gendarmes et leurs familles sont massacrés. A Korhogo, c’est le Colonel Dali Oblé qui est froidement assassiné. Le président de la république d’alors, Laurent Gbagbo, en visite de travail en Italie, met fin à son séjour. Il doit rentrer précipitamment. Mais alors qu’il entreprend d’emprunter son vol à rome, les premiers visages de la Droite française se dessinent dans la guerre.

L’Elysée lui déconseille de retourner en Côte d’Ivoire en arguant que sa vie y sera en danger. Jacques Chirac, alors au pouvoir, lui propose un exil doré à Paris. Mais le président Laurent Gbagbo n’est ni un peureux, ni un fuyard, ni un lâche prompt à fuir qui abandonne les siens face au danger pour prendre la poudre d’escampette.

Il répond à l’Elysée que sa mission et son devoir sont de retourner dans son pays qui est attaqué, pour le défendre. Pour faire front aux assaillants. En fait, c’était un piège. si Gbagbo s’était rendu en France, on l’y aurait maintenu et obligé à déclarer qu’il acceptait de renoncer au pouvoir, au profit de la rébellion. Il décline donc l’offre de Chirac. Et la suite va lui donner raison.

Le jeu trouble de Chirac

Le président Gbagbo déjoue le traquenard et parvient à rentrer le lendemain, le 20 septembre 2002. Il déclare que son pays est attaqué de l’extérieur et demande à la France de faire jouer l’accord de défense qui lie l’Hexagone à la Côte d’Ivoire, en aidant les Fanci à bouter hors du pays les assaillants venus du Burkina Faso qui leur a servi de base arrière. A la grande surprise des Ivoiriens, Michelle Alliot-Marie, alors ministre française de la Défense, déclare que c’est « une guerre ivoiro ivoirienne » et que la France ne saurait s’en mêler.

Qu’à cela ne tienne, le Président Laurent Gbagbo et les forces Loyalistes sont déterminés à faire mordre la poussière aux rebelles. Ils entreprennent de libérer bouaké et les autres villes du Nord aux mains des assaillants. Entre temps, les rebelles se dévoilent. Ils se présentent comme un Mouvement populaire dit de libération de la Côte d’Ivoire, le Mpci. Le «petit» Guillaume soro, ex-secrétaire général de la Fédération estudiantine et scolaire de la Côte d’Ivoire (Fesci), à la surprise générale, et Louis-André Dacoury Tabley, ancien compagnon qu’on dit «frustré» de Laurent Gbagbo au Front populaire ivoirien (Fpi ), se présentent respectivement sur les médias français qui font la part belle aux rebelles, comme le secrétaire général et le secrétaire général adjoint du Mpci.

A l’Ouest du pays, c’est le sergent N’Dri N’Guessan saint Clair alias «Doh Félix» qui déclare être à la tête du mouvement supposé de libération du Grand Ouest, le Mpigo, une autre branche de la rébellion. Mais les forces loyalistes ne sont pas impressionnées outre mesure. Elles entreprennent de libérer le pays. Les rebelles, mal entraînés et mal organisés, perdent rapidement du terrain dans les combats et ne sont pas loin de capituler sous les assauts des Fanci qui se montrent en mesure de libérer bouaké et le Nord.

L’Armée Française s’interpose, pour freiner les Fanci

Mais alors que les forces loyalistes sont bien engagées, Jacques Chirac, à la stupéfaction de tous, décrète l’implication des forces française sur le terrain de la guerre en Côte d’Ivoire. Une attitude curieuse de la part de la Droite française qui avait, quelques temps auparavant, refusé d’appliquer l’accord de défense entre la France et l’Etat ivoirien et déclaré que la guerre en Côte d’Ivoire ne la concernait pas. En fait, l’Elysée, ayant compris que la rébellion était sur le point d’être balayée par les forces armées de Côte d’Ivoire, se jette dans la danse en déployant sur le terrain une force dite d’interposition baptisée Licorne.

Officiellement, voici son agenda, selon l’armée française : «La force Licorne est déployée en Côte d’Ivoire depuis septembre 2002. Engagée pour assurer la sécurité des ressortissants français après une tentative de coup d’Etat, Licorne est rapidement chargée de contrôler le cessez le feu, puis de soutenir le déploiement d’une mission de la Cedeao fin 2002, à laquelle succède rapidement une mission de l’Onu début 2003».

En fait, en septembre 2002, L’Elysée envoie 200 soldats, en plus des 600 parachutistes déjà stationnés dans le pays, au 43e bima. Puis en décembre 2002, la France dépêche 500 légionnaires supplémentaires qui sont envoyés en Côte d’Ivoire, en plus des 1200 déjà sur place. Le site Wsws.org confirme, dans sa livraison du 17 décembre 2002, par Chris talbot, que : «S’agissant de légionnaires parachutistes et de militaires du bataillon d’infanterie de marine, les forces déployées représentent le plus gros contingent que la France ait envoyé en Afrique depuis les années 1980». Et ce n’est pas fortuit. La Force Licorne, que Chirac va ensuite camoufler derrière une mission onusienne (Onuci) pour masquer le complot, oublie très vite sa mission de sécurisation des ressortissant français pour s’inviter dans une interposition qui vise à surveiller le cessez-le-feu. C’est une phase importante de la conspiration.

Se débarrasser de Gbagbo, par tous les moyens

Car l’agenda secret de l’Elysée, sous Jacques Chirac, est de bloquer les forces ivoiriennes. Pour permettre aux rebelles de s’implanter. Mieux, Dominique de Villepin, alors ministre français des Affaires étrangères, se trahit en déclarant que «la Côte d’Ivoire a besoin d’un traitement de choc». Et l’on ne tardera pas à comprendre le sens de son discours. Le site Wsws.org, qui a suivi de très près l’implication de la Force Licorne dans la crise ivoirienne, ne croyait pas si bien dire dans son édition du 12 février 2003, en confirmant que : «Le président Jacques Chirac et le ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin sont tous deux impatients de restaurer l’influence française en Afrique. Non seulement la Côte d’Ivoire avait été une région clé pour les investissements français et un centre d’activité économique en Afrique de l’Ouest, mais les nouvelles découvertes de gisements de pétrole et la production accrue de pétrole en Afrique de l’Ouest confèrent à la région une importance stratégique».

En fait, il s’agit pour Chirac de se débarrasser de Laurent Gbagbo qui, en plus de prôner la souveraineté et l’égalité des peuples, ose s’opposer à ce que les ressources de la Côte d’Ivoire soient pillées par les puissances occidentales. Le président Gbagbo insiste sur un «partenariat gagnant-gagnant». Cette idée ne plait pas à la Droite politique française qui veille à ce que la rébellion prospère en Côte d’Ivoire.

Du rodéo des accords politiques aux massacres de l’Hôtel Ivoire et à la destruction des aéronefs de l’armée ivoirienne

Pendant que la presse française anoblit et entretient l’image d’une rébellion qui s’illustre par toutes sortes d’atrocités (massacres des gendarmes et de leurs familles à bouaké, tueries collectives des danseuses d’Adjanou de sakassou, charnier de Monoko Zohi, génocides de Guitrozon, Petit Duékoué et Duékoué…) entres autres crimes abominables, Jacques Chirac qui va mettre sur pied le rhdp (Pdci, rdr, Udpci, Mfa), tente de placer la Côte d’Ivoire sous tutelle onusienne, par des résolutions parfois absurdes pour dépouiller le Président Gbagbo de ses prérogatives, en donnant «les pleins pouvoirs» à des Premiers ministres. Un retour en février 2003, nous rappelle qu’alors que le Laurent Gbagbo est sur le point d’amener Guillaume soro à quitter les sentiers obscurs de la rébellion, l’Elysée met fin brutalement aux pourparlers initiés par Gnassingbé Eyadema à Lomé au Togo.

Avant d’entraîner les protagonistes de la crise ivoirienne que la Droite française venait ainsi de créer, à Linas Marcoussis en France. Le but de la manoeuvre est d’imposer un accord taillé sur mesure pour affaiblir le Président Laurent Gbagbo, avec des closes inacceptables pour un président de la république qui a été élu démocratiquement et dont le pays est attaqué par une rébellion fomentée depuis l’extérieur. C’était le début du «traitement de choc» destiné à faire chuter le président Gbagbo. Projet dont parlait De Villepin. Laurent Gbagbo est contraint, pour ramener la paix, de se promener de capitale en capitale et de signer des accords de toutes sortes (Linas-Marcoussis, Accra I et II, Pretoria I et II, avant l’Accord politique de Ouaga qui allait perturber les plans initiaux de la Droite française sans pour autant l’amener à abandonner son projet de se débarrasser de Gbagbo, par tous les moyens).

Mais c’est en novembre 2004 que le visage de Chirac devient plus visible derrière la crise ivoirienne. Alors que l’opération «Dignité» sur bouaké était bien lancée, le 4 novembre 2004, sur les positions des ex-rebelles qui refusaient de respecter leurs engagements, pour débarrasser le pays du kyste, il ordonne à l’armée française de détruire les aéronefs de l’armée ivoirienne engagés dans des frappes aériennes. Dans les heures qui suivent, la force Licorne, sous la conduite du général Henri Poncet (limogé plus tard à la suite d’une confusion entre les comploteurs) dispose des dizaines de chars autour de la résidence du président de la république, pour enlever le président Gbagbo. Aussi des milliers d’Ivoiriens descendent-il dans la rue, pour protester contre le coup de force en vue.

Les militaires français postés autour de la résidence du président Gbagbo, confieront plus tard qu’ils s’étaient «égarés» dans les rues de Cocody. La tension reste vive. Et le 6 novembre, sur l’esplanade de l’hôtel Ivoire à Abidjan où les patriotes et les démocrates s’étaient rassemblés pour dénoncer la position partiale de la Droite française dans la crise ivoirienne, l’armée française se découvre davantage en massacrant des dizaines de jeunes gens. Des innocents fusillés par la Licorne pour avoir scandé leur soutien à Gbagbo. Des crimes dont les auteurs devront répondre des leurs actes.

11 avril 2011, l’achèvement de 10 ans de complot

En 2008, Nicolas sarkozy remplace son parrain Jacques Chirac à l’Elysée. L’homme fait croire, dans un premier temps, qu’il envisage des rapports nouveaux avec les pays africains. Le pouvoir de Nicolas sarkozy va jusqu’à créer l’événement en annonçant vouloir «en finir avec 50 ans de Françafrique» pour faire de l’année 2010 «la véritable année de la décolonisation».

Pure diversion. Car sarko, qui préparait en réalité ses guerres contre Laurent Gbagbo et contre Mouammar Kadhafi, les deux trouble-fête, va se révéler être le tuteur le plus acharné de la Françafrique. Mais Gbagbo n’est pas du genre à se laisser intimider par un homologue, fut-il français. sans rompre les relations avec Paris ou encore retirer les contrats juteux octroyés aux entreprises françaises qui prospèrent en Côte d’I voire, il réaffirme toutefois son attachement à la souveraineté de son pays et garde son indépendance vis-à-vis de Paris. Comme sous Chirac, Gbagbo ne prendra jamais l’ordre du jour du conseil de ministre de Côte d’Ivoire à l’Elysée.

L’orgueil de Sarkozy, qui manipule à sa guise les chefs d’Etat africains assujettis à la Droite française, en prend un coup. Il fait une crise de colère quand Gbagbo refuse de se rendre au sommet de la Françafrique à Nice en France, en mai 2010. Il ne se remet pas non plus du refus de Laurent Gbagbo d’aller défiler sur les champs Elysées avec les autres présidents noirs les 14 juillet. En novembre 2010, Sarko va s’insinuer insidieusement dans la crise postélectorale créée de toutes pièces par l’Elysée, pour se venger de celui qui a osé défier la Droite française.

Le régime de Sarkozy, hérité de Chirac, réussit à manipuler la communauté internationale et l’Union européenne, avec la complicité de l’Onu, pour faire annoncer, au mépris des lois ivoiriennes, les résultats du second tour de la présidentielle ivoirienne au Qg du candidat du rhdp, Ouattara, à l’hôtel du Golf, en se servant des médias français. Avant d’imposer des sanctions et embargos contre la Côte d’Ivoire. Puis de faire décréter une «option militaire» avec le soutien de la Cedeao et de l’Union africaine, dans le but de se débarrasser du Président Laurent Gbagbo. Mieux, Sarkozy menace ouvertement d’«envoyer (ses) gars pour faire le nettoyage» à Abidjan.

En avril 2011, après 5 mois d’imbroglio orchestré par l’Elysée, Nicolas sarkozy, l’homme qui avait pourtant annoncé «la fin de la françafrique », fait aboutir le projet de la Droite française entamé en septembre 2002 par Jacques Chirac : faire chuter Gbagbo, coûte que coûte. L’Histoire est un témoignage dont les traces restent indélébiles

K. Kouassi Maurice in Le Temps

Thu, 20 Sep 2012 23:34:00 +0200

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La Dépêche d'Abidjan

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