Lorsqu’on emprisonne les historiens et sages d’un peuple, c’est l’âme de ce peuple qu’on veut emprisonner, c’est son esprit qu’on veut corrompre; c’est son génie surtout qu’on veut stopper. (Jacques Owono) L’entreprise n’est malheureusement pas récente. Elle a plutôt la peau dure et la nuque raide. Solide comme une forteresse, elle traverse les siècles et les époques, et à chaque fois, transforme et pervertit les mentalités qu’elle influence. Comment croire qu’ils ne le savent pas, que nous avons une histoire, que de toutes les histoires, notre histoire est. Qu’elle est ce qui est. Comment leur faire accepter notre passé une fois pour toutes ? Leur faire respecter nos historiens et hommes sages? Si c’est de l’ignorance, il faudrait peut-être leur rappeler que chaque fois que notre humanité a Rendez-vous avec l’Histoire, elle passe par l’Afrique. C’est un passage obligé, un retour aux sources lointaines ou proches, connues ou inconnues, avouées ou inavouées de notre existence. Car l’Afrique se dresse au coeur de notre humanité depuis ses premiers balbutiements, elle s’invite à tous ses rendez-vous historiques, tantôt silencieuse, tantôt avant-gardiste, tantôt passive, tantôt actrice d’une histoire qui se joue grâce à elle, par elle, parfois contre elle, mais toujours avec elle, car sans elle, l’humanité ne serait pas humaine, sans elle, l’histoire ne serait pas histoire. Non pas une histoire dont l’objet, selon Georges Dumont, est le récit des batailles et l’analyse des traités de paix, mais l’homme. Car pour paraphraser Marc Bloch, le bon historien flaire là où il y a de la chair humaine, comme l’ogre de la légende. Et le frère Runoko Rashidi affirme avec certitude que grâce aux dernières recherches scientifiques sur l’Adn, tout être humain pourra, tôt ou tard, faire remonter jusqu’à l’Afrique ses racines ancestrales. M. le Président, votre séjour à la Haye apparaît clairement à nos yeux comme un fait historique d’une portée majeure, car sous nos yeux, la légende devient histoire, les personnages de fables deviennent réels; Les Soundjanta Keita, Chaka Zoulou, Kunta Kinté, Lumumba, Sankara, tous ces fiers résistants et guerriers Africains prennent de nouveau vie et forme devant nous. On nous a appris qu’un vrai héros était un héros mort. Mais depuis Madiba Mandela et aujourd’hui avec vous, nous faisons l’expérience d’une autre catégorie de héros vivants parmi nous.
Il suffit juste de lever la tête pour les reconnaître. M. le Président, votre séjour à la Haye est surtout la preuve probante que l’impérialisme n’a pas de mémoire. Obligé de remâcher ses vomis. Car alors il aurait déjà dû comprendre que c’est en prison que Malcom X, en véritable autodidacte, s’est véritablement libéré des chaînes de l’ignorance et de l’esclavage; Que Madiba Mandela, en 27 ans d’emprisonnement, comme dans la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave, a réussi à humaniser ses geôliers, devenant par sa grandeur d’esprit leur nouveau maître. Non, M. le Président, en vous mettant aujourd’hui en prison, l’impérialisme n’a toujours pas compris pourquoi l’oiseau «chante de liberté en cage». Il n’est donc pas vrai de croire, comme eux, qu’avec votre incarcération, le combat est terminé. Il ne fait que commencer pour nous, car tant que la nuit sera longue, nous aurons toujours besoin de la lumière. Et voici venir des messagers résignés qui annoncent des lendemains incertains pour l’Afrique. Comme le poète noir-américain Langston Hugues au siècle dernier, ils poussent un cri de désespoir et de peur: «Nous crions parmi les gratte-ciel Comme nos ancêtres criaient parmi les palmiers d’Afrique Car nous sommes seuls Et nous avons peur.» Non, M. le Président, nous ne retournerons pas boire une deuxième fois à la même source de la peur et de l’esclavage, cette histoire ne se répétera pas pour nous. Non, on ne trompera pas le peuple Africain tout le temps. Non, M. le Président, nous n’avons pas peur! Nous n’avons plus peur ! Nous ne tremblons plus au son de leur trompette, nous ne prenons plus la fuite devant les tirs de leurs kalachs ; devant la furie de leurs roquettes, bombes et missiles, nous avançons libres et soudés ; devant leurs armes chimiques et bactériologiques, nous bombons le torse. Mains nues, nous avançons : plus peur de leur canon, plus peur de leur prison, plus peur de leur mensonge, plus peur de la mort car seul l’esclave a peur. L’homme libre n’a pas peur. Et c’est pourquoi nous sommes obligés d’avancer. Parce que nous sommes libres. Nous savons qu’ils tremblent de panique derrière leur viseur, qu’ils transpirent de peur derrière leur canon, que dans leur quartier général ils manquent de maîtrise, qu’ils sont mal à l’aise. Parce qu’ils savent que l’arme la plus redoutable, c’est nous qui l’avons: le peuple debout et libre! Nous, la jeunesse africaine, sommes debout à vos côtés pour continuer avec vous le combat. Nous, la jeunesse africaine d’aujourd’hui, ne sommes plus prisonniers du «complexe d’Ulysse», en quête d’identité. Notre mission est à vos côtés, dans le combat pour la libération de l’Afrique. Non, M. le Président, vous n’êtes pas seul !
Nous l’avons compris, que nos héros sont leurs dictateurs, nos patriotes leurs criminels. Nous l’avons compris, que nos bourreaux sont leurs héros. Les traîtres de notre peuple sont distingués et couronnés par eux: Senghor, etc. Nous l’avons compris, qu’ils distinguent à présent du prix Nobel ceux des nôtres qui vont servir leur cause: Barak Obama, Ellen Johnson Sirleaf. Nous l’avons compris, qu’ils mettent aux avant-postes les nôtres pour mieux nous atteindre et nous confondre: Fatou Bensouda. Jamais nous ne dormirons plus. Jamais nous n’accepterons plus de prendre la place d’esclave qui prie et remet tout entre les mains de Dieu. Non,Dieu ne combat pour personne, pas même pour le peuple juif qui a fini par le comprendre et s’est doté de la bombe nucléaire. Dieu nous a donné l’intelligence et la liberté de discerner entre la paix et la guerre et de choisir évidemment la paix. Alors, si le voisin cherche palabre contre nous, quitte à nous de trouver les moyens de notre défense. Dieu, jamais ne lèvera son petit doigt pour nous sortir de nos prisons, parce que ce n’est pas lui qui nous a mis là. Le soleil de nos libertés ne finira par briller sur nous que si nous-mêmes acceptons déjà de quitter les creux impossibles de nos prisons où ses reflets ne peuvent nous atteindre. Si nous continuons religieusement à subir, sans réagir, il faudra bien ne pas se plaindre par la suite, car les «cris qu’on pousse ne réveilleront jamais plus personne. ». Personne ne nous interdira donc de lutter, de revendiquer notre passé. Nous n’avons pas besoin de l’inventer, car un passé plus grand et glorieux n’existe nulle part. Nous avons simplement besoin de le reprendre à ceux qui nous l’ont volé et falsifié sans honte, comme de petits enfants voleurs de bonbons à l’étal. M. le Président, comme j’aurais aimé marcher sur les chemins de notre liberté aux côtés de mon père, ce guerrier africain qui m’a appris dès le bas âge le sens de la bravoure, du courage et du devoir. Hélas, il nous a quittés il y a quelques années. Paix à son âme ! Mais le combat de votre fils, Michel, à vos côtés; celui de Mouatassim, mort aux côtés de son père, le vaillant guerrier et martyr Mouammar Kadhafi, afin que nous soyons libres en Afrique m’a redonné espoir et dignité; ainsi qu’à toute la jeunesse africaine.
Voilà pourquoi rien ne nous fera plus reculer. Car arrive toujours un moment où le cri humain se fait entendre, car c’est au cri qu’on reconnaît l’homme. Et un homme qui crie n’est pas comparable à un chien qui aboie. Un homme qui crie n’est pas un ours qui danse. Et aujourd’hui, la jeunesse africaine crie: Assez! Y en a marre! Marre de voir nos ressources exploitées au détriment de nos populations; marre de voir nos soeurs violées, nos mères déshonorées, nos pères humiliés dans leur dignité d’hommes; Marre de voir notre jeunesse sacrifiée et son avenir hypothéqué. Qui donnera une sépulture digne à tous nos morts en Afrique? Qui commémorera nos martyrs? Lorsqu’on tue les sages, emprisonne les historiens, traîne au sol nos dirigeants, qu’en sera-til du commun des mortels? Mais loin d’être tristes ou désignés, notre espérance est grande, car une nouvelle étoile est née, celle qui guidera désormais nos pas vers la liberté totale. Aujourd’hui, Madiba Mandela peut transmettre le témoin de la lutte et chanter tranquillement le Nunc dimittis comme le fit le vieux Siméon qui, tenant le petit Jésus entre ses mains, remercia le ciel d’avoir vu de ses yeux l’étoile vivante qui sauverait son peuple. M. Le président, lorsque de votre cellule vous pourrez voir un oiseau voler libre dans le ciel triste, pensez-y, c’est la jeunesse africaine libre qui vole à vos côtés. Lorsque le soir, dans la douceur et le calme de la nuit, vous pourrez écouter de votre cellule le vent murmurer au dehors, pensez-y, M. Le Président, c’est le chant de tous les combattants de la liberté qui vous disent à l’unisson que: Misiki itam! Vous n’êtes pas seul ! You will never walk alone ! Sie sind nicht allein! Inschallah ! Amen.
Vive l’Afrique libérée !
Vive notre humanité libre !
Jacques Owono
Ps: j’ai encore tellement à vous dire, mais je crains qu’une si longue lettre ne puisse être publiée. Je vous écrirai de nouveau le mois prochain, inschallah! Portez-vous donc bien, M. le Président.
Bon courage !
Source : LG Infos
Wed, 16 Jan 2013 02:07:00 +0100
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