« Quiconque tient l'histoire d'un peuple tient son âme, mais quiconque tient la spiritualité d'un peuple le contraint à vivre sous le joug d'une servitude éternelle. »

Cheikh Anta DIOP
Opinions

LE FONCIER RURAL, UN ENJEU DE LA CRISE IVOIRIENNE.

Nous avons été récemment informés de ce qui va se passer maintenant alors que nous arrivons bientôt au terme du délai de carence de 10 ans pour la mise en application de la nouvelle loi sur le régime foncier. Un décret qui vient d’être adopté va organiser selon ses termes “une procédure d’immatriculation simplifiée, mieux adaptée aux réalités du milieu rural et propice à une délivrance massive des titres de propriété”. Des titres de propriété vont donc être MASSIVEMENT délivrés en tenant compte des RÉALITÉS du monde rural. Mais comment en est-on arrivé là ?
En 1998, l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire a voté une loi pour régler la question du foncier rural. Dans les débats qui ont précédé l’adoption de cette loi, tout le monde a admis qu’il fallait éviter la précipitation, qu’il fallait prendre le temps de la concertation. Des délégations mixtes furent donc envoyées en mission dans le pays pour informer les Ivoiriens et recueillir leurs avis et propositions. Ces délégations étaient composées de députés du PDCI (parti au pouvoir) ,FPI et RDR ( partis d’opposition )
Après ces missions à l’intérieur du pays, un projet de loi fut mis au vote, et c’est ainsi que la loi relative au domaine foncier rural fut votée à l’unanimité. C’est la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 qui est donc considérée à juste titre comme l’une des lois les plus consensuelles de l’histoire de la Côte d’Ivoire.
Mais cette loi, curieusement, ne plaisait pas à tout le monde. Les autorités burkinabè, notamment, y voyaient une atteinte aux intérêts des burkinabè vivant en Côte d’Ivoire et qui sont pour la plupart d’entre eux des cultivateurs. On comprend dès lors pourquoi cette question fera partie à Linas-Marcoussis, des préoccupations des rebelles du 19 septembre 2002 et de leurs maîtres. On comprend également pourquoi dans les conclusions des accords de Marcoussis , un chapître lui sera consacré. Un petit rappel de ce chapître s’impose avant de continuer.
Accord de Marcoussis (extrait)
IV- RÉGIME FONCIER
1) La Table Ronde estime que la loi 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale constitue un texte de référence dans un domaine juridiquement délicat et économiquement crucial.
2) Cependant, le gouvernement de réconciliation nationale :
a. accompagnera la mise en oeuvre progressive de ce texte d’une campagne d’explication auprès des populations rurales de manière à aller effectivement dans le sens d’une véritable sécurisation foncière.
b. proposera un amendement dans le sens d’une meilleure protection des droits acquis les dispositions de l’article 26 de la loi relative aux héritiers des propriétaires de terre détenteurs de droits antérieurs à la promulgation de la loi mais ne remplissant pas les conditions d’accès à la propriété fixées par son article 1″
Dans ce chapitre IV, au point 2.b, il est proposé un amendement de l’article 1 de la loi 98-750 du 23 décembre 1998 du régime foncier qui dispose que “seuls l’État, les collectivités publiques et les PERSONNES PHYSIQUES IVOIRIENNES sont admis être propriétaires de terres”]
Voilà donc ce qui pose problème à ceux qui voulaient un amendement de cette loi car pour eux, il n’est pas normal que seuls l’État, les collectivités publiques et les personnes physiques ivoiriennes soient les seuls admis à être propriétaires des terres. Pour eux, cette loi ne prend pas en compte “les réalités du monde rural” . Il faut donc la changer pour que les personnes physiques non ivoiriennes, donc étrangères qui sont déjà sur des terres, soient aussi admises à être propriétaires de ces terres.
Cette question restera pendante jusqu’au renversement du président Gbagbo. Il faut noter que le RDR, le parti d’Alassane Ouattara, n’était pas au parlement. Mais avec l’avènement du régime Ouattara, elle va être modifiée en 2014 avec la participation du PDCI qui va donc aider à détricoter sa propre loi. Évidemment, tout le monde n’était pas d’accord mais ce qu’on retiendra, c’est que cette loi fut modifiée avec un délai de carence de dix ans qui arrive donc normalement à son terme en 2024.
Mais il y a d’autres enjeux car les terres ivoiriennes sont aussi convoitées par d’autres intérêts au-delà de la Côte d’ivoire et même de l’Afrique, et c’est le ministre Katinan qui en parle le mieux dans une publication qu’il avait faite pour alerter l’opinion. Je vous invite donc à cliquer sur ce lien pour lire sa contribution sur le sujet qui date de quelques années.
Alexis Gnagno
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La Dépêche d'Abidjan

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