« Quiconque tient l'histoire d'un peuple tient son âme, mais quiconque tient la spiritualité d'un peuple le contraint à vivre sous le joug d'une servitude éternelle. »

Cheikh Anta DIOP
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…Et dont tremble un poignard quand leur main l’a touché

On commémorait le 11 avril dernier, le cinquantième anniversaire de l’ouverture du procès Eichmann à Jérusalem.

En cinquante ans, beaucoup de choses ont changé. Les grands criminels, détournant habilement à leur profit les intuitions de Anna Arendt sur la banalité du mal, ont appris à habiller leur forfaits de l’uniforme d’une banalité désormais inattaquable, celle de la "légalité" de décisions prises dans les coulisses de l’ONU, et imposée aux états membres comme parole d’évangile. Aux ressources de la législation nazie -alors insuffisantes pour mettre les sbires d’Hitler légalement hors d’atteinte-, s’est substituée celles du droit international, constamment réinterprété en fonction des "exigences" du moment.

Ce droit international, Ouattara et son parrain Sarkozy, ses copains Juppé, Fillon et consort, relayés en chœur par une majorité de députés, de journalistes et d’intellectuels, l’invoquent à longueur de discours, avec un cynisme éhonté : non seulement pour métamorphoser les crimes dont ils ont été soit les commanditaires –forces rebelles– soit les organisateurs –force Licorne– soit les complices –médias et parlement– en louables initiatives humanitaires, inspirées par un souci de justice; mais aussi pour en appeler au lynchage judiciaire de l’innocent de service, Laurent Gbagbo.

J’emploie ici le terme d’innocent, au sens où, au lendemain de la guerre, il ne serait venu à l’idée de personne de traduire en justice les résistants français pour les violences par eux commises dans leur combat pour la défaite des nazis. En d’autres termes, seul un nazi contemporain pourrait sereinement envisager d’éliminer Laurent Gbagbo.

Depuis plus de quarante ans, ce dernier se bat pour que triomphe la cause de l’indépendance effective de la Côte d’Ivoire, et que soit mis fin à la tutelle politique, militaire et économique imposée par la France et cautionnée par le régime du grand Félix Houphouët-Boigny. C’est son accession au pouvoir, le 26 octobre 2000 qui a déclenché cette guerre de l’ombre fomentée par les autorités français, et animée par sa créature locale, l’impeccable technocrate Alassane Ouattara, préalablement adoubé par les patrons de l’une des officines les plus puissantes dans le cercle très retreint des nouveaux maîtres du monde, le FMI.

En favorisant Ouattara, la France – chiraquienne alors, sarkozienne aujourd’hui – savait pertinemment qu’elle donnait la préférence à la corruption, au mensonge, à l’illégalité, à l’exploitation et à la violence : autant de vices indispensables il est vrai au bon fonctionnement des rouages de la Françafrique.

Préférer aujourd’hui Alassane Ouattara, c’est cautionner l’indicible d’un génocide en cours d’exécution –je parlais le 12 avril, lendemain de la séquestration arbitraire de l’otage Laurent Gbagbo; je parlais d’Abidjan, à cette heure même, livrée aux fauves de Ouattara sous l’oeil impavide de notre Licorne et de leur ONUCI–.

A ceux qui, pris d’un remord tardif devant ce qui filtre des horreurs perpétrées, –ces horreurs qu’ils cautionnent lâchement depuis des semaines–, sont à présent tentés de renvoyer dos à dos Ouattara et Gbagbo, je suggère de réécrire l’histoire, et de renvoyer dos à dos Hitler et Churchill (qui lui non plus n’était certes pas un saint…).

Aux ceux enfin qui, instrumentalisant la souffrance des ivoiriens, convoquent à l’appui de la rhétorique sarkozienne les visages et les danses de ceux d’entre ces petits que la chute de Laurent Gbagbo a réjouis, je conseille de continuer à se boucher les yeux et les oreilles, pour ignorer le contrechamp de leurs prises de vue.

Quel désarroi en effet, si d’aucuns, dans les couloir du PAF, venaient à réaliser, puis à avouer que ces explosions de soulagement, outre qu’elles viennent à point nommé les confirmer dans leur rôle de pantins du pouvoir, ne sont qu’un nouvel épisode de la macabre mise en scène de ténèbres et de sang écrite à Paris : on y voit une partie du peuple ivoirien, jouet des savantes illusions imaginées en France et montées sur place par les barbouzes de l’ambassade, se persuader que celui qui s’était juré de les délivrer du mal, est lui-même l’auteur de tous leurs maux.

Ces maux effroyables, sciemment provoqués et entretenus, à seule fin de le mettre, lui, le Président Laurent Gbagbo, hors d’état de nuire aux inavouables intérêts de notre moribonde Sarkozie métropolitaine.

à Jérusalem, ce jour,

Eliahou Abel, ancien pasteur de l’Église Réformée de France.

Wed, 04 May 2011 18:40:00 +0200

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La Dépêche d'Abidjan

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