« Quiconque tient l'histoire d'un peuple tient son âme, mais quiconque tient la spiritualité d'un peuple le contraint à vivre sous le joug d'une servitude éternelle. »

Cheikh Anta DIOP
Categories: Contributions

POUR COMPRENDRE LA CRISE IVOIRIENNE : PARTIE II

II. De l’indépendance octroyée à la mort de Houphouet-Boigny L’accession à l’indépendance de la Cote d’Ivoire, comme la plupart des colonies d’Afrique noire va-t-elle apporter des modifications profondes dans ses rapports avec la France ? Au lendemain de la proclamation de l’indépendance, des négociations s’engagent entre la France et les nouveaux Etats conduisant un peu partout à des accords de coopération, nouveau concept pour designer les relations “nouvelles” entre « l’ex-métropole »et ses « ex-colonies ». La coopération est multiforme et embrasse tous les domaines : militaire, politique, diplomatique, économique, financière, culturelle. Ainsi par exemple, la Côte d’Ivoire continuera d’évoluer dans la zone franc et avec pour monnaie le franc CFA (le sigle est conservé de la colonisation à l’indépendance, mais change de signification), garanti par le trésor français. De même le français déclaré comme langue officielle est devenu la langue nationale. C’est la seule langue par laquelle les ivoiriens peuvent communiquer d’une région à une autre au détriment des langues maternelles. Sur le plan économique,les marchés porteurs (énergie,eau, télécommunication ,route et autres grands travaux de construction …)sont systématiquement enlevés par les entreprises françaises, en dehors de toutes règle de libre concurrence. Ainsi l’entreprise italienne VIANINI de construction et de bitumage de route, sera évincée du marché ivoirien au profit de ses concurrents français (COLAS, JEAN LEFEVRE, etc.).Le grand commerce (import-export) n’échappe pas à cette règle, notamment au niveau du binôme café cacao dominé jusqu’à une époque récente par les entreprise comme JEAN ABIL GAL, SCOA, CFAO, etc. En somme, l’indépendance n’a en rien entamé le monopole colonial français sur les richesses de la Côte d’Ivoire. Ce monopole s’est même renforcé, faisant de ce pays ce qu’on a appelé “la vitrine française” de l’Afrique noire. Cette coopération renforcée, qualifiée d’”étroite” va déteindre sur les choix du Président Houphouet Boigny en matière de politique intérieure et extérieure. Sur le plan intérieur, la politique de mise en valeur du territoire initiée pendant la période coloniale a engendré un afflux considérable de main d’œuvre venant des territoires voisins du nord, notamment de Haute Volta (actuel Burkina Faso), en liaison avec le développement de l’économie de plantation. Ce phénomène va s’accentuer avec l’ouverture de nouveaux chantiers dans tous les domaines à l’ère de l’indépendance, provoquant un gonflement de l’immigration. Dans cette situation, aucune distinction n’est établit entre le Nationaux et les étrangers, bénéficiant tous des mêmes droits et soumis aux mêmes devoirs .Ainsi au niveau du foncier rural, on retiendra la célèbre formule de Houphouet Boigny selon laquelle « la terre appartient à celui qui la met en valeur », faisant de la Côte d’Ivoire un “eldorado” pour les populations des pays du sahel en quête de terres fertiles. Autres exemples, ce sont les nominations dans la haute administration, les ambassades, les missions diplomatiques, dans l’armée, qui obéissent à la même pratique. Au total, aucune politique de contrôle de l’immigration n’est définie, encore moins appliquée en Côte d’Ivoire même après l’indépendance. Le pays enregistre ainsi l’un des plus fort taux au monde de population immigrée : 26% officiellement. Au niveau international, la politique ivoirienne, dans le jeu de ses relations avec l’ex-métropole semble faire du Président Houphouet Boigny, le Proconsul de la France en Afrique subsaharienne. Deux faits, parmi tant d’autres, illustrent bien cette situation. En effet, l’un des éléments marquant de cette politique concerne les premières visitent à l’étranger de chefs d’Etat africains venant d’accéder au pouvoir – ou même d’individus entretenant des activités de déstabilisation dans leurs pays respectifs. Concernant les” premières” visites, elles ont pour destination la Côte d’Ivoire. Les nouveaux promus viennent ici « bénéficier des conseils du sage » de l’Afrique. Cette allégeance à Houphouet Boigny est en fait une allégeance à la France : du Président Omar Bongo, successeur de Léon M’ba à Mobutu Sesse Seko,en passant par les différents chefs d’Etat du conseil de l’entente(ou bien de d’autres structures sous-régionales),on a assisté à ce scénario. Un autre épisode significatif de cette allégeance de la Côte d’Ivoire à la France,c’est l’alignement systématique de l’attitude de la Côte d’Ivoire sur la politique de la France à propos de la guerre du Nigeria de 1967 à 1970.La Côte d’Ivoire comme la France soutiendra le régime sécessionniste du BIAFRA dont les richesses en pétrole étaient convoitées par la France .Le chef sécessionniste Odjuku trouvera refuge à Abidjan à la suite de la victoire des fédéraux soutenus par les anglo-saxons .Les exemples les plus récents de l’Angola et du Liberia sont là pour nous montrer la constance de cette politique. En somme, tout au long de cette évolution allant de l’Empire à la Françafrique, la France s’est efforcée d’assurer sa mainmise sur l’Afrique noire – et particulièrement sur la Côte d’Ivoire devenue le joyau de ce qui reste de l’Empire d’hier – condition de son rang actuel dans le monde. Un ancien ambassadeur américain en Angola n’observait –il pas récemment que l’Afrique porte sur ses épaules la France en tant que grande puissance ? Or la politique de refondation du Président Gbagbo s’annonce, aux yeux de beaucoup comme une rupture avec cet ordre ancien qui fait la part belle aux intérêts français en Côte d’Ivoire. M. SARKOZY (CHIRAC avant), Président de la République française, garant de l’héritage gaulois, c’est-à-dire l’Empire – aujourd’hui sous ses nouveaux habits de la Françafrique – peut-il se permettre de laisser s’écrouler l’édifice sans être accusé de mener une politique d’abandon comme ce fut le cas de De Gaulle en Algérie ? Dans cette interrogation se trouve la cause fondamentale de la guerre que la Côte d’Ivoire subit actuellement face à la France. Extrait de : Les Cahiers du Nouvel Esprit, Pour comprendre la crise ivoirienne, Décembre 2004 DJANWE Honorat Email : Djanwehonorat@yahoo.fr Blog : djanwehonorat.ivoire-blog.com

Wed, 22 Jun 2011 15:43:00 +0200

0
La Dépêche d'Abidjan

Recent Posts

Côte d’Ivoire – Le peuple ivoirien unanime après 15 ans : « Du travail, du travail, s’il vous plaît ! »

Ivoiriennes, Ivoiriens, chers Amis ! Nous allons ce jour, encore une fois, nous pencher, avec…

5 jours ago

Côte d’Ivoire : Quelles sont les nouvelles perspectives pétrolières après la découverte du champ “calao ” en Mars 2024 ?

Le 28 Août 2023, la Côte d’Ivoire lançait la production du gisement "baleine", un important  champ…

1 semaine ago

Sénégal – Plus de 70 entraves au travail des reporters en trois ans : le journalisme à la croisée des chemins au Sénégal

Reporters sans frontières (RSF) révèle dans son nouveau rapport, “Le journalisme sénégalais à la croisée…

1 semaine ago

Les Africains ne doivent pas avoir peur de la Russie

Quand des personnes comme moi affirment que, pour conquérir notre vraie indépendance, l'Afrique francophone devrait, dans…

2 semaines ago

Côte d’Ivoire – Raid RHDP sur Pepressou : quelle couronne aux enchères ?

Ivoiriennes, Ivoiriens, chers Amis ! Samedi 1er juin 2024 était le dernier jour des obsèques…

2 semaines ago

Cameroun : À propos du conflit qui oppose Samuel Eto’o au ministère des Sports

Ce que je pense du conflit qui oppose Samuel Eto’o au ministère des Sports  On…

2 semaines ago

This website uses cookies.