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    RD Congo : Le pape François dénonce le racisme anti-Noir sans aborder la responsabilité de l’Église catholique

    ByLa Dépêche d'Abidjan

    Fév 12, 2023

    Lors de sa  visite en RD Congo, du 31 janvier au 3 février 2023, le pape François a abordé la domination occidentale sur l’Afrique, en soulignant que les Africains n’ont pas la volonté de s’émanciper totalement.

    « Il y a une réalité historique et géographique. En italien, on dit « Africa va fruttata », c’est-à-dire que l’Afrique est destinée à être exploitée. C’est une forme de mentalité colonialiste qui persiste. Dire que les Africains sont une tribu, qu’ils sont Noirs, qu’ils sont ceci ou cela.  Autant de qualificatifs réducteurs. Le problème vient de notre attitude et de leur manque de courage à pleinement assumer leur indépendance », a déclaré le chef de l’Église catholique, évoquant ici la question cruciale de la condition des Noirs dans le monde. 

    Mais à ce sujet, la religion elle-même est-elle exempte de reproches ?

    Concernant son livre  Et si Dieu n’aimait pas les Noirs , publié en 2009, Serge Bilé explique que « l’objectif est de montrer comment l’Église a créé le racisme à partir de la malédiction de Cham, qui est à la base de l’esclavage et du préjugé d’infériorité des Noirs ». Pour l’auteur, le racisme anti-noir a une origine religieuse. Car c’est au nom de la malédiction de Cham que les Africains ont été réduits en esclavage et c’est cette même malédiction qui justifie leur condition de peuple dominé.

    Le rôle de l’Église dans la conception, la propagation et l’exacerbation du racisme anti-noir est souvent débattu. Le professeur Jean Kambayi Bwatshia et le pasteur Roger Buangi Puati, par exemple, soutiennent que l’Église a contribué à la négation de l’histoire de l’humanité noire en instaurant une séparation radicale entre les Blancs et les Noirs à travers la fameuse légende de la malédiction de Cham.

    Selon Jean Kambayi Bwatshia, la mauvaise interprétation de ce mythe a influencé de manière décisive les mentalités et les représentations européennes : « aujourd’hui encore, c’est observable que ce sont les préjugés défavorables à l’Afrique et aux Africains qui dominent la pensée et l’imagerie européenne. »

    Roger Buangi Puati, auteur  du livre  Christianisme et traite des Noirs, rappelle que les églises ont apporté une caution morale à la traite négrière et à l’esclavage : « Aux 16e, 17e et 18e siècles, elles sont très écoutées, y compris par les souverains. Si elles avaient eu une parole plus humaine, plus prophétique, je pense que les choses n’auraient pas pris une telle ampleur. Quatre siècles d’esclavage, c’est long ! »

    La sortie du patron de l’Église catholique apparaît donc comme une fuite en avant, étant donné  la longue histoire de l’Église en matière de traite négrière, d’esclavage et de colonisation. De fait, l’implication de l’Église catholique dans la déshumanisation des Noirs au cours des siècles passés ne fait plus l’ombre d’un doute. Même si ce pan de l’histoire de l’Église est souvent ignoré ou minimisé, de nombreux historiens et analystes affirment que cette institution a joué un rôle clé dans la chosification des Noirs. « La colonisation – ses causes, ses effets et ses suites – suscite aujourd’hui de grandes controverses. Curieusement, la place des religions dans ce phénomène d’expansion de l’Occident est souvent occultée ou fort peu connue alors même que celles-ci y jouent un rôle essentiel. Le christianisme, religion des colons européens, s’est-il contenté d’accompagner le sabre des conquêtes et les vaisseaux des marchands ? Comment le protestantisme et le catholicisme ont-ils réagi aux violences portées contre les peuples autochtones, à l’expression des différences culturelles et, pour la France, au projet « civilisateur » de la République laïque et anticléricale ? » , peut-on lire dans la présentation du livre Religions et colonisation, écrit sous la direction de Dominique Borne et Benoît Falaise.

    En occultant cette vérité historique, le pape François suit l’exemple de Jean-Paul II qui s’était contenté de « demander pardon » pour l’esclavage, en 1992 au Sénégal, sans reconnaître la participation de l’Église à ce crime contre l’humanité. 

    Dans un éditorial publié dans le journal américain National Catholic Reporter, le 15 juin 2020, l’historienne Shannen Dee Williams souligne que  «l’histoire des catholiques noirs  révèle que l’Église n’a jamais été une spectatrice innocente face au développement de la domination blanche». C’est pourquoi elle exige une « réparation » de la part de cette institution. « Le but des Noirs n’a jamais été d’obtenir la charité; ils veulent la justice complète, les droits humains, la liberté et le démantèlement total de la domination blanche, premièrement dans l’Eglise », précise l’historienne, qui a  élaboré un programme de «réparation catholique» pour l’esclavage et la ségrégation dans ce but.

    Pour sa part, le Dr Ama Mazama estime qu’il est impérieux de déconstruire cette idéologie de la domination qui est véhiculée à travers la religion. « Les Européens ont développé une rhétorique de la domination qui leur a permis  d’instaurer une dichotomie simpliste entre eux, qui sont bons, beaux, sacrés et divins, et nous, les Africains, qui sommes mauvais, laids, parce que diaboliques. Vous avez une équation entre le blanc qui est divin – on sait très bien que le bon Dieu  chrétien est un grand blanc à barbe blanche, etc. , son fils Jésus, on voit à quoi il ressemble – et puis il y a nous de l’autre côté, dans notre noirceur, diaboliques, etc. », argumente-t-elle. Par conséquent, comme le suggère  l’activiste  Shaun King, il convient de supprimer les fresques et autres œuvres d’art  qui représentent un « Jésus blanc ». En effet,  si l’on en croit une tribune de David Brites, « la persistance, sur le sol africain, d’une religion où domine l’Homme blanc, et où la Vierge et le Christ sont le plus souvent représentés sur la base de standards de beauté européens (blonds aux yeux bleus), (…) diffuse de manière plus ou moins implicite le même message de hiérarchie raciale (jusque depuis le point de vue de Dieu) qu’à l’époque de la colonisation. » Ainsi, pour le professeur Moléfi Kété Asanté, l’un des théoriciens  de la renaissance culturelle de l’Afrique et auteur du livre L’Afrocentricité, « l’Afrique n’a pas pour vocation de devenir l’Europe. L’Afrique doit redevenir l’Afrique. » Des voix s’élèvent de plus en plus dans ce sens pour inviter les Noirs à renouer avec leurs traditions ancestrales. C’est dans cette optique que La Reine de Midi, militante de la renaissance culturelle de l’Afrique, s’est adressée sans langue de bois au pape François dans une vidéo durant un peu plus d’une heure. Elle a interpellé le chef des catholiques, lors de sa visite en République démocratique du Congo, à propos de l’hégémonie spirituelle qu’exercent les Occidentaux sur l’Afrique à travers le christianisme. « Vous venez chez moi, sur ma terre, pendant que je suis réveillée et que je ne dors plus. Hier, vous avez donné de la drogue (le christianisme – ndlr) à mes ancêtres, à mes pères et à moi aussi. Mais aujourd’hui, je veux vous dire que je suis très lucide.Vous-vous êtes donnés les moyens pour coloniser le monde entier spirituellement, afin que tout le monde soit à vos pieds. L’Afrique est le berceau de l’humanité et de la civilisation. Vous avez favorisé l’identité à la place de l’humanité, Vous n’avez pas réussi à moraliser la société occidentale, vous n’arrivez pas à éradiquer la pédophilie. Vous n’avez donc pas de leçons à nous donner. Si vous êtes charitables, commencez chez vous. Demain, vous verrez des gens sortir dans la rue pour dire Non. C’est fini, la colonisation spirituelle. Non à la fausse divinité. Vous n’êtes pas le bienvenu dans mon pays »,  a-t-elle martelé en substance.

    Mais peu de personnes veulent endosser leur héritage spirituel. Et le pape François a raison de dénoncer « le manque de courage des Africains à assumer pleinement leur indépendance ». Le cas de la religion en est un bon exemple. Malgré l’existence de nombreuses preuves montrant que la civilisation gréco-romaine s’est nourrie à la source du Nil, dans le pays des Égyptiens noirs, le déni persiste et pour beaucoup, l’histoire de l’humanité telle que racontée dans les « livres saints » ne peut être remise en question. Pourtant, l’Histoire Générale de l’Afrique, dans son volume 2, nous apprend que « la religion peut être considérée comme une des contributions philosophiques de l’Égypte ». Selon cet ouvrage, qui a mobilisé plusieurs centaines de spécialistes, « l’influence religieuse égyptienne sur certains aspects de la religion gréco-romaine est particulièrement évidente pour l’historien, comme en témoigne la popularité de la déesse Isis et de son culte dans l’Antiquité classique. »

    Dès lors, il est primordial d’admettre enfin l’influence que l’Afrique a eue sur le reste du monde et de reconnaître son héritage spirituel en conséquence. La question de l’esclavage et de la participation de l’Église catholique à ce crime contre l’humanité doit être abordée franchement pour permettre un véritable processus de guérison et de réconciliation.

     Axel Illary

    Source : tribuneouest.com

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