RD Congo : Le pape François dénonce le racisme anti-noir sans aborder la responsabilité de l’Église catholique

Lors de sa  visite en RD Congo, du 31 janvier au 3 février 2023, le pape François a abordé la domination occidentale sur l’Afrique, en soulignant que les Africains n’ont pas la volonté de s’émanciper totalement.

« Il y a une réalité historique et géographique. En italien, on dit « Africa va fruttata », c’est-à-dire que l’Afrique est destinée à être exploitée. C’est une forme de mentalité colonialiste qui persiste. Dire que les Africains sont une tribu, qu’ils sont noirs, qu’ils sont ceci ou cela.  Autant de qualificatifs réducteurs. Le problème vient de notre attitude et de leur manque de courage à pleinement assumer leur indépendance », a déclaré le chef de l’Église catholique, évoquant ici la question cruciale de la condition des Noirs dans le monde. 

Mais à ce sujet, la religion elle-même est-elle exempte de reproches ?

Concernant son livre, « Et si Dieu n’aimait pas les Noirs », publié en 2009, Serge Bilé explique que « l’objectif est de montrer comment l’Église a créé le racisme à partir de la malédiction de Cham, qui est à la base de l’esclavage et du préjugé d’infériorité des Noirs ». Pour l’auteur, le racisme anti-noir a une origine religieuse. Car c’est au nom de la malédiction de Cham que les Africains ont été réduits en esclavage et c’est cette même malédiction qui justifie leur condition de peuple dominé.

Le rôle de l’Église dans la conception, la propagation et l’exacerbation du racisme anti-noir est souvent débattu. Le professeur Jean Kambayi Bwatshia et le pasteur Roger Buangi Puati, par exemple, soutiennent que l’Église a contribué à la négation de l’histoire de l’humanité noire en instaurant une séparation radicale entre les Blancs et les Noirs à travers la fameuse légende de la malédiction de Cham.

Selon Jean Kambayi Bwatshia, la mauvaise interprétation de ce mythe a influencé de manière décisive les mentalités et les représentations européennes : « aujourd’hui encore, c’est observable que ce sont les préjugés défavorables à l’Afrique et aux Africains qui dominent la pensée et l’imagerie européenne. »

Roger Buangi Puati, auteur  du livre « Christianisme et traite des Noirs », rappelle que les églises ont apporté une caution morale à la traite négrière et à l’esclavage : « Aux 16e, 17e et 18e siècles, elles sont très écoutées, y compris par les souverains. Si elles avaient eu une parole plus humaine, plus prophétique, je pense que les choses n’auraient pas pris une telle ampleur. Quatre siècles d’esclavage, c’est long ! »

La sortie du patron de l’Église catholique apparaît donc comme une fuite en avant, étant donné  la longue histoire de l’Église en matière de traite négrière, d’esclavage et de colonisation. De fait, l’implication de l’Église catholique dans la déshumanisation des Noirs au cours des siècles passés ne fait plus l’ombre d’un doute. Même si ce pan de l’histoire de l’Église est souvent ignoré ou minimisé, de nombreux historiens et analystes affirment que cette institution a joué un rôle clé dans la chosification des Noirs. « La colonisation – ses causes, ses effets et ses suites – suscite aujourd’hui de grandes controverses. Curieusement, la place des religions dans ce phénomène d’expansion de l’Occident est souvent occultée ou fort peu connue alors même que celles-ci y jouent un rôle essentiel. Le christianisme, religion des colons européens, s’est-il contenté d’accompagner le sabre des conquêtes et les vaisseaux des marchands ? Comment le protestantisme et le catholicisme ont-ils réagi aux violences portées contre les peuples autochtones, à l’expression des différences culturelles et, pour la France, au projet « civilisateur » de la République laïque et anticléricale ? » , peut-on lire dans la présentation du livre Religions et colonisation, écrit sous la direction de Dominique Borne et Benoît Falaise.

En occultant cette vérité historique, le pape François suit l’exemple de Jean-Paul II qui s’était contenté de « demander pardon » pour l’esclavage, en 1992 au Sénégal, sans reconnaître la participation de l’Église à ce crime contre l’humanité. 

Dans un éditorial publié dans le journal américain National Catholic Reporter, le 15 juin 2020, l’historienne Shannen Dee Williams souligne que  «l’histoire des catholiques noirs  révèle que l’Église n’a jamais été une spectatrice innocente face au développement de la domination blanche». C’est pourquoi elle exige une « réparation » de la part de cette institution. « Le but des Noirs n’a jamais été d’obtenir la charité; ils veulent la justice complète, les droits humains, la liberté et le démantèlement total de la domination blanche, premièrement dans l’Eglise », précise l’historienne, qui a  élaboré un programme de «réparation catholique» pour l’esclavage et la ségrégation dans ce but.

Lire la suite sur tribuneouest.com

1

Laisser un commentaire

Nous utilisons des cookies afin de vous offrir la meilleure expérience possible sur notre site Web. En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez notre utilisation des cookies.
Accepter
Refuser
Privacy Policy