« Quiconque tient l'histoire d'un peuple tient son âme, mais quiconque tient la spiritualité d'un peuple le contraint à vivre sous le joug d'une servitude éternelle. »

Cheikh Anta DIOP
Arts et Culture

Les Salopards : “Il n’y a pas de conflit de leadership dans le groupe”

Nous vous proposons une interview du groupe Les Salopards, réalisée en 2009, à l’occasion de la première reconstitution du groupe, et publiée dans Soleil Magazine, le premier mensuel gratuit dédié à la diversité en France.

Bonjour les gars. Quelle bonne nouvelle ! Vous reconstituez donc les Salopards ?

Bloco : Oui, comme tu le constates. On n`a pas besoin d`insister. Tout le monde est là. Seul Debeing ne peut participer à cette interview parce qu`il réside à Toulouse (L`interview a été réalisée à Paris NDLR). Donc c`est reparti !

On ne va pas revenir sur les raisons de votre séparation, qui ont été largement médiatisées à l’époque, mais avec du recul, n`avez-vous pas de regrets aujourd’hui ?

Bloco : Je dirais oui, parce qu’il y a beaucoup de choses qui se sont passées entre-temps. On ne devrait pas être en train de parler de reprise, mais plutôt à un niveau où certains se trouvent actuellement. Pour ma part,  il y a  effectivement de quoi regretter, mais en même temps, cette situation nous a permis de comprendre beaucoup de choses. On a mûri.

Soum Bill : J’abonde dans le même sens que Bloco. C`est clair qu`on a manqué à notre public et quelque part, il y a un pincement au coeur parce qu`on aurait pu réaliser pas mal d`albums entre-temps. Mais pour moi, la vie est une continuité. On a encore du chemin et quand on a du talent, on peut le mettre en valeur à tout moment. Cette situation nous a permis de vivre d`autres expériences, de sortir aussi des albums chacun de son côté, de voyager et de rencontrer d`autres personnes.

Colin : On a effectivement des regrets parce que comme l`ont dit Soum-Bill et Bloco, la symphonie a été inachevée. Je mets tout ceci sur le compte d`un certain nombre de quiproquos. Là, on a décidé de se mettre au-dessus de tout cela et de faire quelque chose pour ce groupe, cette famille à laquelle nous sommes tant attachés. On sait qu`il y a des personnes qui ont travaillé pour que ce groupe-là soit. Il fallait donc faire quelque chose pour ne pas qu`à leur tour elles regrettent de nous avoir soutenus.

Vous étiez quand même bien partis pour être au nombre des précurseurs du mouvement zouglou au niveau international, européen notamment ! Étiez-vous conscients de cela ?

Bloco : On en était conscient. Il est clair qu`on n’a pas su gérer la gloire à cause de notre jeunesse. Mais tout ce que Dieu fait est bon. Ce sont des choses qui arrivent.

Soum Bill : Il faut reconnaître qu’aujourd`hui, les réalités ne sont pas les mêmes que lorsqu’on montait Les Salopards il y a quinze ans ! Les choses ont évolué avec les NTIC. Beaucoup de barrières ont été brisées. Nous avons été l`un des premiers groupes Zouglou à arriver en France ! Nous avons fait pas mal de spectacles, on a essayé d`ouvrir pas mal de portes mais ce n`était pas aussi évident. Nous avons ouvert la voie à des artistes ivoiriens, à certains artistes qui sont dans le zouglou ! Nous avons joué notre partition. Mais comme je l`ai dit, la vie est une continuité. Aujourd`hui, d’autres opportunités s’offrent à nous. Ça ne sert à rien de s’enfermer dans la nostalgie et le regret, car beaucoup reste à faire.

Chacun de vous a donc fait son chemin, avec des fortunes diverses. Debeing et Colin se sont insérés dans la vie active en France, loin de la musique. Vous, Bloco et Soum Bill, vous avez marqué à votre manière l`univers musical. On se souvient notamment du tube de l’été 2005 en France « Amyo» (avec Bloco et Denise) ainsi que de l’album “Terre des hommes” de Soum Bill, qui a été l’une des meilleures ventes de CD dans le milieu de la musique afro-antillaise. Cependant, ne craignez-vous pas un conflit de leadership entre vous ?

Soum Bill : Les Salopards ont toujours vécu en symbiose. Un conflit de leadership au sein du groupe n`est donc pas à craindre. Chacun de nous a sa petite expérience. Nous avons décidé de nous remettre ensemble pour mettre en avant cette somme d`expériences car nous voulons porter la flamme plus haut que là où on l`a laissée. C`est cela le sens de notre retour sur la scène musicale.

Bloco : Il n`y a jamais eu ce genre de conflit au sein du groupe. Nous sommes une famille et c`est dans cet esprit que nous avons toujours travaillé. Nous avons appris à nous écouter et à faire les choses ensemble. Pour nous, le plus important, c`est le travail.
Colin (rires) : Le seul leader dans ce groupe c’est “Les Salopards” et personne d`autre. Il faut que cela se sache.

Comment comptez-vous vous organiser ? Chacun aura-t-il la liberté d`évoluer en solo, à l`image de certains groupes comme Kassav ?

Colin : C`était cela l`idée de départ, quand on créait Les Salopards. C`est-à-dire que si un membre du groupe avait l`intention de faire un album, il devait bénéficier du soutien de tous les autres. Bon, les choses ne se sont passées comme nous l`avions envisagé. Mais avec ce retour, je pense que cela n`est pas à exclure.

Le zouglou a été propulsé par Didier Bilé et ses amis du groupe “Les Parents du campus”. En 2005, était organisée à Abidjan, la première édition d`un festival de ce style musical très populaire en Côte d`Ivoire. Plus d`une décennie après son éclosion, seul le groupe Magic System passe pour être le porte-flambeau de cette musique au niveau international. Comment expliquez-vous cela et comment interprétez-vous le succès de ce groupe ?

Soum Bill : Comme je te le disais, certains ont tracé les sillons de cette musique au niveau international. Didier Bilé est arrivé en France avant nous. Il a fait ce qu`il a pu. Il a sorti des albums de belle facture. On ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir du talent. Les choses étant ce qu`elles sont, il continue son bonhomme de chemin. Magic System est un groupe à qui je tire mon chapeau. Les “Magiciens” ont joué la carte qu`il fallait au moment propice. Aujourd`hui, ils sont là où ils sont. C`est une expérience à méditer. Mais le zouglou étant une famille, il est important de s`entraider. Je déplore le manque de solidarité au niveau de la musique ivoirienne en général. C`est dommage. Cependant, chacun a son étoile, son style et c`est tant mieux pour la musique ivoirienne.

Bloco : Je pense que Magic System est arrivé à un moment où les mélomanes avaient envie d’écouter autre chose. Donc il y a eu le facteur chance qui n`est pas à négliger. Ils ont su capitaliser cela, ils ont su se faire entourer des personnes qu`il fallait, contrairement à d’autres artistes Zouglou qui manquent souvent d’ambition. Beaucoup d’entre nous qui vivent en Europe se contentent parfois de peu.

Sur votre album «Bouche B», vous dénoncez l’insalubrité en Côte d`Ivoire et particulièrement à Abidjan. Aujourd`hui, 15 ans après la sortie de cet album, la capitale ivoirienne croule sous le poids des ordures ménagères. Avez-vous le sentiment de ne pas être écoutés ?

Bloco : Nous n’avons pas le sentiment de ne pas être écoutés. Nous pensons que les hommes politiques, les décideurs et autres refusent d`admettre la réalité. Ils refusent de tenir compte de ce que nous dénonçons. C`est pourquoi nous pensons qu`il est aujourd`hui nécessaire de nommer tous ceux que nous interpellerons. Pour qu`ils sachent que nous nous adressons effectivement à eux.

Colin : Effectivement, on peut avoir le sentiment d’avoir prêché dans le désert. Au moment où nous sortions « M. Le maire », pour dénoncer l`insalubrité à Abidjan et en Côte d`Ivoire, le PDCI était au pouvoir. 15 ans plus tard, la réalité politique a changé mais rien n`a changé dans les rues abidjanaises qui croulent toujours sous le poids des ordures. Ce qui est étonnant, c’est que les personnes qui étaient autrefois dans l’opposition, et qui nous soutenaient dans notre combat, sont aujourd’hui aux commandes. Comment peut-on comprendre ce retournement de situation ?
Soum-Bill : C`est vrai, il y a 15 ans nous évoquions l`insalubrité en Côte d`Ivoire. Aujourd`hui on se rend compte que rien n`est fait. La situation empire même. Mais c`est un problème propre à l`Afrique. On aime bien ce que chantent les artistes etc., mais le problème se pose au niveau du sens de la responsabilité de nos leaders, au niveau du sens de la responsabilité de ceux qui nous dirigent. Nous avons dénoncé et continuons de dénoncer les travers de notre société. Mais rien n`avance. Il y a donc un problème ! On a l`impression que le refus du progrès est inscrit dans les gènes des Africains ! Aujourd`hui, malgré l`alternance dans certains pays, les problèmes restent les mêmes. C`est triste. En tant qu`artistes, nous faisons ce que nous pouvons, car comme le dirait l`autre, le vrai patriote, c`est celui qui protège son peuple contre les abus du gouvernement. Mais le peuple doit savoir qu`il reste le maître de son destin. Parce que les paroles de nos chansons, toutes seules, ne peuvent changer le monde.

Vous inaugurez votre retour avec une série de concerts et un maxi single. Peut-on avoir un avant goût de ce que vous proposerez dans cette oeuvre ?

Bloco : Nous travaillons en ce moment sur les concerts du retour des Salopards. Après, nous entrerons en studio pour proposer quelque chose à nos fans. Nous restons fidèles à notre démarche. Il y aura dans cette oeuvre inédite des chansons engagées comme “Sans détour”, par exemple, dont le titre parle de lui-même.

Soum-Bill : Nous restons dans le même état d`esprit. Nous allons une fois de plus éveiller les consciences -si elles ne le sont déjà- et comme je le disais, défendre le peuple contre les abus des dirigeants.

Un mot à l`endroit de vos fans qui ont été brutalement sevrés de votre musique ?

Colin : Nous sommes désolés. Qu`ils nous fassent confiance et qu`ils sachent qu`on les aime.

Soum-Bill : On a toujours défendu leur idéal. Aujourd`hui Les Salopards sont de retour. On leur dit merci d`avoir cru en nous. Nous ferons tout pour mériter l`espoir qu`ils ont placé en nous.
Bloco : Que nos fans sachent que nous revenons pour dire haut et fort ce qu`ils pensent tout bas. Bisous à tous.

Interview réalisée par Axel Illary / www.soleilmagazine.net

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La Dépêche d'Abidjan

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