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    La Liberté d'Informer

    Former les journalistes culturels pour réhabiliter l’image de l’Afrique

    ByLa Dépêche d'Abidjan

    Nov 22, 2024
    Buste supposé d'Hérodote. Copie romaine de l'époque impériale (IIe siècle apr. J.-C.) d'après un original grec en bronze de la première moitié du IVe siècle av. J.-C. Metropolitan Museum of Art. Source : Wikipedia

    L’Afrique, berceau incontesté de l’humanité, est également une source d’inspiration pour les grandes civilisations antiques, notamment la civilisation gréco-romaine, qui a posé les bases de la culture occidentale. Cependant, cette contribution majeure du continent africain à l’histoire universelle est ignorée. Aujourd’hui, les journalistes culturels africains ont un rôle central à jouer dans la réhabilitation et la valorisation de ce legs. Ils ont la responsabilité de promouvoir cet héritage afin de favoriser le développement culturel et identitaire du continent. Toutefois, pour mener à bien cette mission, ces acteurs doivent être mieux formés et accompagnés, car ils sont eux-mêmes marqués par les séquelles du colonialisme. Par conséquent, les États africains ainsi que les organisations nationales et internationales portent une responsabilité décisive dans le renforcement de leurs compétences.

    Les découvertes archéologiques et paléontologiques confirment que l’Afrique est le berceau de l’humanité et de la civilisation. Pourtant, ce continent, qui a été au cœur de l’épanouissement de la civilisation gréco-romaine, socle de la civilisation occidentale, demeure marginalisé dans les discours historiques dominants. Revenir sur cette vérité permet de réaffirmer la contribution inestimable de l’Afrique au patrimoine mondial et de restaurer sa place légitime dans l’histoire universelle. D’ailleurs, de récentes études génétiques soutiennent la théorie de l’« Out of Africa », selon laquelle les populations humaines modernes (Homo sapiens) ont migré d’Afrique il y a environ 60 000 à 100 000 ans, ont colonisé les autres continents et apporté avec elles des innovations culturelles et technologiques. Cette origine africaine de l’humanité rappelle que tous les peuples du monde partagent un lien fort avec ce continent.

    Bien avant l’apparition de la civilisation gréco-romaine, l’Afrique a vu naître des sociétés organisées et des empires prospères. L’Égypte ancienne est sans doute la civilisation la plus célèbre. Elle a rayonné pendant des millénaires et a impacté le monde méditerranéen, ainsi que l’humanité tout entière par ses avancées en architecture, médecine, mathématiques, astronomie, etc.
    Les royaumes de Nubie et de Koush, au sud de l’Égypte, ont également laissé une empreinte durable sur l’histoire. Ces civilisations, souvent ignorées, ont aussi contribué à la diffusion des idées africaines dans le monde antique.

    Il est reconnu que la civilisation gréco-romaine, centre de la civilisation occidentale, a beaucoup puisé dans les connaissances et les traditions africaines. Les Grecs eux-mêmes admettaient leur dette envers l’Égypte, qu’ils considéraient comme le berceau du savoir. Des figures emblématiques telles qu’Hérodote, le « père de l’histoire », ont décrit l’Égypte comme une source d’inspiration culturelle et intellectuelle.

    En effet, les Grecs ont emprunté de nombreux concepts à l’Égypte dans plusieurs domaines, à l’instar des mathématiques (les bases de la géométrie viennent des méthodes égyptiennes utilisées pour mesurer les terres après les crues du Nil), l’astronomie et la médecine.
    Des philosophes grecs tels que Pythagore, Platon et Thalès se seraient rendus en Égypte pour étudier auprès des prêtres égyptiens.
    Les colonnes grecques et les techniques de construction s’inspirent des monuments égyptiens, et les influences africaines se retrouvent dans la sculpture et l’art de la Grèce antique.                             

    De nombreuses divinités et mythes grecs trouvent des échos dans les traditions africaines. Par exemple, le dieu égyptien Osiris (Oussiré, Wossiré) a influencé la mythologie grecque sur la résurrection et la vie après la mort.

    Malgré ces contributions incontestables, l’histoire africaine a été occultée. Les récits européens ont passé sous silence les influences africaines sur la civilisation occidentale afin de soutenir une idéologie de supériorité culturelle. Le continent a été présenté en tant qu’espace « sans histoire » ou « primitif ». Les systèmes de connaissances africains ont été écartés au profit des paradigmes occidentaux et arabes.

    Dès lors, le journaliste culturel africain a la charge de la réhabilitation de l’image de l’Afrique. Sa mission principale est de corriger les récits historiques biaisés en mettant en lumière la contribution fondamentale de l’Afrique à l’histoire de l’humanité. À travers des articles, des reportages ou des documentaires, il doit rappeler que l’Afrique est le berceau de l’humanité, comme l’attestent les découvertes scientifiques et archéologiques, et mettre en avant son apport à l’émergence des savoirs fondamentaux. L’exploration des liens entre l’Égypte ancienne, les civilisations nubiennes et le monde gréco-romain lui permettra de rétablir la vérité sur l’influence africaine dans les domaines des arts, de la philosophie et des sciences.

    Le journaliste culturel africain doit s’efforcer de replacer l’Afrique au cœur des grandes avancées humaines, afin de combattre les stéréotypes dévalorisants et de réaffirmer la richesse des civilisations africaines. Son engagement est essentiel dans la construction d’une identité culturelle. En rappelant l’impact majeur de l’Afrique sur les grandes civilisations mondiales, il aidera les Africains à mieux comprendre l’importance de leur patrimoine. Cette prise de conscience renforcera la dignité et le sentiment d’être relié à patrimoine commun.

    Grâce à des histoires valorisant le passé et les traditions africaines, le journaliste contribuera à déconstruire l’idée d’un continent en retard. Il devra également œuvrer à préserver et transmettre le patrimoine africain, menacé par l’oubli, l’acculturation voire la destruction des traditions. Il abordera aussi des questions telles que la restitution des œuvres d’art pillées ou la préservation des sites historiques, afin de sensibiliser à l’importance de protéger les richesses culturelles de l’Afrique.

    Dans un continent marqué par une grande diversité, le journaliste culturel doit défendre une vision panafricaine en mettant en lumière les liaisons entre les cultures africaines. L’examen des relations ancestrales mettra en évidence l’unité culturelle de l’Afrique, une région unie par un destin collectif.  

    Cependant, pour jouer pleinement ce rôle, les journalistes culturels doivent surmonter les tares héritées de la colonisation, qui modifient radicalement leur perception de leur propre culture et leur manière de l’aborder.

    L’héritage colonial a laissé des séquelles profondes sur les systèmes éducatifs africains. Les versions de l’histoire enseignées dans divers pays africains minimisent encore les contributions du continent à la civilisation universelle, ce qui altère la vision des journalistes eux-mêmes. Les écoles de journalisme offrent peu d’enseignements sur l’histoire et les spécificités culturelles africaines. Ces lacunes poussent un grand nombre de journalistes à reproduire des schémas de pensée issus du colonialisme, contribuant ainsi involontairement à la marginalisation continue de la culture africaine.

    Pour libérer les journalistes culturels des vestiges du passé et leur permettre de jouer un rôle constructif, il est impératif de développer leur apprentissage. Les programmes doivent intégrer des cours approfondis sur l’histoire, les arts, les traditions et les langues africaines. Une approche qui mette en lumière les connexions anciennes entre les différentes régions du continent pourrait encourager la solidarité culturelle

    Les États africains, ainsi que les organisations nationales et internationales, doivent s’impliquer activement dans l’amélioration des capacités des journalistes culturels. À cet égard, les gouvernements sont appelés à créer ou à consolider des institutions spécialisées dans l’enseignement du journalisme culturel. De plus, ils doivent accorder un soutien financier aux journalistes, par le biais de bourses et de subventions, afin de leur permettre d’acquérir des connaissances et des ressources de qualité.

    Des organisations telles que l’UNESCO ou l’Union africaine peuvent aussi accompagner la formation, en développant des programmes axés sur la culture africaine. Il est également nécessaire d’initier la coopération entre journalistes africains pour partager des ressources, des idées et des initiatives qui visent à valoriser le patrimoine culturel.

    Avec un apprentissage adapté et un soutien institutionnel, les journalistes culturels africains seront en mesure de raconter une histoire africaine réhabilitée, de promouvoir une identité culturelle forte, de dynamiser les industries culturelles et de stimuler la cohésion sociale. C’est pourquoi leur formation doit devenir une priorité pour les États africains et les organisations internationales. En investissant dans ce domaine, l’Afrique pourra non seulement réaffirmer son rôle dans l’histoire universelle, mais aussi construire un avenir où sa culture deviendra un moteur de développement, d’identité et de rayonnement mondial.

    Axel Illary

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