• jeu. Mai 22nd, 2025

    La Liberté d'Informer

    Déportation, esclavage et colonisation : l’UA réclame justice, mais oublie une partie de l’Histoire.

    ByLa Dépêche d'Abidjan

    Fév 20, 2025

    Les 15 et 16 février 2025, Addis-Abeba a accueilli la 38e session ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine (UA). Lors de ce sommet, l’organisation continentale a entériné une résolution proclamant l’année 2025 comme celle de la « Justice pour les Africains et les personnes d’ascendance africaine grâce aux réparations ». Le texte dénonce les injustices passées infligées au continent africain et à ses descendants à travers le monde et exige réparation.

    Des dédommagements

    L’Union Africaine a adopté un acte majeur qui réclame des réparations pour les crimes commis dans le cadre de la traite négrière atlantique, de l’esclavage, de la colonisation, de l’apartheid et des génocides. Cette décision engage les nations africaines à faire pression sur les anciennes puissances coloniales et esclavagistes pour qu’elles assument leur responsabilité historique et mettent en place des mesures compensatoires. Parmi les propositions figurent des indemnisations, des programmes de développement et la reconnaissance officielle de ces crimes.

    Une omission notable

    Toutefois, cette résolution ne mentionne pas la traite arabo-musulmane, qui a duré près de 13 siècles et précédé la traite transatlantique. En effet, l’esclavage des Noirs dans le monde musulman, qui a concerné des millions de victimes, n’a pas été pris en compte dans les discussions officielles.

    Pourtant, les travaux de chercheurs comme John Alembillah Azumah et Tidiane N’Diaye ont exposé l’ampleur de cette traite, qualifiée de véritable génocide. Selon Tidiane N’Diaye, la traite arabo-musulmane a entraîné la déportation de près de 17 millions d’Africains, dont une grande partie a disparu en raison des traitements inhumains et de la castration massive des captifs. Contrairement à la traite transatlantique, qui a donné naissance à des communautés afro-descendantes en Amérique, la traite arabo-musulmane a entraîné la disparition quasi totale des populations déportées.

    Un traitement partiel 

    Si cette résolution constitue une avancée dans la mise en lumière des torts liés à la traite transatlantique, à l’esclavage et à la colonisation, l’omission de la traite arabo-musulmane soulève des interrogations quant aux critères de sélection des exactions dénoncées et sur la volonté de reconnaître l’ensemble des systèmes esclavagistes ayant marqué le continent africain. De fait, la question des réparations ne peut se limiter à un seul volet de l’histoire esclavagiste. Pour qu’une justice véritable soit rendue aux Africains et aux personnes d’ascendance africaine, une approche plus inclusive et exhaustive s’impose.

    La Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’UA a ainsi ouvert un chantier aussi délicat que crucial. Reste à voir si les discussions à venir permettront d’aborder l’ensemble des drames afin d’offrir une compréhension plus complète de l’oppression subie par les Africains.

    Des voix s’élèvent pour un éveil de conscience

    Horus Donkovi, intervenant sur la chaîne de télévision New World TV, a exprimé son étonnement face au retard de l’Afrique dans la condamnation de ces tragédies : « Pour moi, c’est un retard considérable, mais c’est tout de même à saluer. Cette reconnaissance intervient après l’initiative de Christiane Taubira. La France l’a fait bien avant l’Afrique, ce qui est surprenant, sachant que nous sommes les victimes. C’est encore plus étonnant que cela n’arrive que maintenant, alors que nous enseignons à nos enfants “Afrique mon Afrique” de Birago Diop et “Coups de pilon” de David Diop. »

    Lors de la manifestation en hommage aux victimes de l’esclavage qui a eu lieu le 23 mai 2018 à Paris, le journaliste Claudy Siar a également dénoncé l’inaction des instances africaines : « Je voudrais terminer en parlant de l’Afrique. Le continent d’où ont été déportés des millions d’Africains. L’Afrique n’est pas seulement le berceau de l’humanité, c’est le berceau de la civilisation. L’esclavage est un passé très présent. Depuis 15 ans, je me bats pour que les instances africaines, les différents pays instaurent une journée à la mémoire des millions d’Africains déportés, quand on sait que sur le continent le culte des ancêtres est quelque chose d’essentiel, alors que pour ces millions d’Africains, il n’y a rien. L’Union Africaine ne fait rien. Peut-on imaginer ici, qu’Israël, que nos frères juifs ne commémorent pas, n’aient pas plusieurs journées à la mémoire des leurs qui ont été exterminés dans les camps de concentration et que seule l’Allemagne commémore ? Jamais une telle chose ne peut être envisagée ni même expliquée et pourtant c’est ce que l’Afrique fait. »

    Ces témoignages soulignent l’urgence pour le continent africain de se réapproprier pleinement son histoire et de ne plus occulter ses pages les plus douloureuses. Une prise de conscience collective est indispensable afin de restaurer la dignité des victimes et d’ancrer ce passé tragique dans les politiques officielles de l’UA et des États africains.

    Axel Illary

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