Depuis longtemps, l’histoire de l’Afrique s’écrit sans les Africains. Tronqué, déformé, dominé par une vision coloniale, le récit qu’on leur a imposé ignore des siècles de civilisation africaine, riches en savoirs, en culture et en résistances, ainsi que la place centrale de l’Afrique dans l’évolution du monde. Berceau de l’humanité et des grandes civilisations, ce continent est mis à l’écart, comme si ses apports à la science, à la philosophie, à l’art, etc. ne comptaient pas. Cette falsification de l’histoire a affecté aussi bien les peuples du continent que ceux de la diaspora, ce qui a entraîné une perte de repères, un sentiment d’éloignement et un oubli collectif. Elle a également servi à justifier différentes formes de domination, notamment la traite négrière, l’esclavage et la colonisation.
La colonisation n’a pas seulement pillé les terres et exploité les corps. Elle a tracé des frontières, altéré les langues, les valeurs et la mémoire. Elle a semé le doute, installé le mépris de soi et attisé la méfiance entre Noirs. De cet fait, elle s’est aussi exercée sur les esprits. L’acculturation forcée qu’elle a engendrée a entraîné la dévalorisation de l’identité africaine et la naissance d’un complexe d’infériorité face aux oppresseurs. La spiritualité africaine a été dénigrée, remplacée par des croyances importées, présentées comme supérieures. Cette substitution idéologique a contribué à effacer le paradigme africain traditionnel, car l’hégémonie spirituelle se révèle être un puissant outil de contrôle, qui empêche les Africains de renouer avec leurs pratiques ancestrales.
Dès les premières années d’école, les jeunes Africains apprennent à admirer ce qui vient d’ailleurs et à douter de ce qu’ils sont. Les héros qu’on leur présente ne leur ressemblent pas. Leurs langues sont jugées inutiles, leurs traditions reléguées au rang de folklore. Peu à peu, l’aliénation s’installe, silencieuse et invisible. Avec elle, se propage un autre mal, l’oubli de soi.
Les enfants d’Afrique grandissent avec la conviction que leur continent est un fardeau, et non une richesse. Tout cela parce qu’on leur impose depuis des générations un récit où les Noirs sont toujours laissés à la marge, jamais placés au centre.
Face à cette réalité, il fallait réagir par une réponse claire et ferme. C’est ainsi qu’en 2009, à Paris, est née La Dépêche d’Abidjan. Dans une ville où les discours dominants reléguaient encore les Noirs dans l’ombre, nous avons choisi d’établir un espace de parole libre, authentique et militant.
Nous avons lancé un journal sans compromis, au service de la vérité historique, de la justice mémorielle et de l’émancipation intellectuelle du peuple noir. C’est un organe où la parole noire peut se dire ouvertement, sans censure, un média qui ne se cache pas derrière la prétendue « neutralité », car il n’y a pas de neutralité possible face à l’injustice et à l’effacement.
Nous ne cherchons pas à être neutres. On ne l’est pas quand on parle de l’esclavage, de la colonisation ou des luttes pour l’indépendance. Être neutre, ce serait accepter que ces sujets restent des détails de l’Histoire. Nous avons choisi notre camp : celui de l’Afrique qui pense, qui crée, qui résiste. Celui des voix noires, fières et libres. Dans un monde où l’injustice a longtemps été la norme, choisir le camp de la vérité n’est pas un parti pris, c’est une nécessité.
La Dépêche d’Abidjan est un journal de combat. Un combat pour la mémoire, pour la dignité, pour la justice.
Nous ne faisons pas que dénoncer, nous reconstruisons. Nous allons chercher les figures qu’on a voulu faire taire, les histoires qu’on a voulu effacer, les pensées qu’on a méprisées. Nous mettons en lumière les voix panafricaines, les luttes de libération, les résistances culturelles, les savoirs d’hier et d’aujourd’hui.
La Dépêche d’Abidjan porte la flamme de la renaissance culturelle africaine. C’est une plateforme où l’on redécouvre et célèbre les richesses de la culture africaine, des langues, des arts et des savoirs du continent et de sa diaspora. Cette renaissance est un acte de résistance, une déclaration d’indépendance culturelle face aux narrations biaisées qui ont trop longtemps nié l’héritage de l’Afrique.
Le journal s’engage sur des sujets souvent laissés de côté, comme l’histoire de la colonisation et de la décolonisation, l’esclavage, la traite négrière, les figures de lutte et la richesse des cultures africaines. Il s’adresse autant aux lecteurs du continent qu’à ceux de la diaspora, avec la certitude que l’émancipation du peuple noir passe par la connaissance.
Ce travail n’est pas simple. Il se heurte à des résistances, à des attitudes condescendantes, à des accusations de radicalité. Mais nous sommes convaincus que, aussi longtemps que les esprits resteront enchaînés, la liberté ne sera qu’un mot vide.
Libérer les esprits est au cœur de notre mission, tout comme celui des médias indépendants, conscients et engagés. Cela s’appuie sur les piliers que sont l’éducation, la culture et l’écriture..
Nous marchons dans les pas de Sankara, de Lumumba, de Cheikh Anta Diop, de Marcus Garvey, de toutes celles et ceux qui ont refusé le silence et la soumission. Comme eux, nous croyons que la souveraineté commence dans la tête.
La Dépêche d’Abidjan a vu le jour dans un contexte où les voix en faveur de l’Afrique et de sa diaspora restent minoritaires. Fondée pour contribuer à combler ce déficit, elle s’impose aujourd’hui comme une arme au service de la vérité. Et tant que l’Afrique sera humiliée, tant que ses enfants vivront dans le doute et la honte, nous continuerons d’écrire, de dénoncer, de construire.
Axel Illary