« Quiconque tient l'histoire d'un peuple tient son âme, mais quiconque tient la spiritualité d'un peuple le contraint à vivre sous le joug d'une servitude éternelle. »

Cheikh Anta DIOP

En soixante ans, la ville d’Abidjan est devenue une véritable métropole

« Tchan M’bi Djan »,« je reviens de couper des feuilles ». Cette réponse d’un vieillard ébrié au militaire qui, le rencontrant au beau milieu de la forêt qui s’étendait alors près de la baie de Cocody, lui demandait le nom du lieu aurait décidé du nom de la capitale actuelle de la Côte-d’Ivoire, qui fut d’abord M’bidjan, puis Abidjan.

Le destin d’Abidjan fut fixé le jour où le gouvernement français décida d’en faire le point de départ d’une voie ferrée qui se dirigerait vers le nord, puis de créer un jour un port dans la lagune Ebrié.

En 1936, l’agglomération d’Abidjan, alors limitée au Plateau, à Treichville et à Adjamé, compte vingt et un mille habitants. Il n’y a ni eau courante, ni électricité, ni service d’enlèvement des ordures. Seule la Cité du chemin de fer, organisée comme une petite ville autonome, possède eau, électricité, glacières, coopérative, dispensaire particulier, etc.

En 1939, Abidjan est une bourgade sous-équipée. Quelques privilégiés bénéficient de l’eau courante et de l’électricité. Les rues du Plateau sont de terre damée recouverte de gravillons latéritiques. Treichville ne possède un semblant de voirie qu’autour du grand marché, près du camp des Fonctionnaires et de l’avenue 1. Partout ailleurs on ne trouve que des pistes de sable où s’enlisent les charrettes et les rares camions légers : cloaques en saison des pluies. Adjamé, à l’étroit sur son plateau, ne déborde pas encore vers la baie de Banco. Nulle part il n’y a d’égout.

Abidjan possède cependant des squares, des promenades et un stade-vélodrome municipal où s’entrainent les premiers sportifs transfuges de Grand-Bassam ou vrais Abidjanais. Cinémas, restaurants, cabarets, accueillent les voyageurs. L’hôtel Bardon prend la relève du vieil hôtel de France. Le Pinto-Bal de Treichville devient le Cabri-Bal.

L’activité de la ville est incessante dans le bâtiment, les transports, le commerce, la « traite », les ateliers et les petites industries. La ville ne compte ni oisifs ni chômeurs.

Treichville, à ce moment-là, est limitée par l’école régionale, l’hippodrome, qu’occupe maintenant le vaste lotissement de la S.I.H.C.I., et le vélodrome qui semble perdu tout seul sur la route défoncée de Port-Boùët. Adjamé est alors composé d’un noyau ébrié, d’un groupe d’habitations près de la gare et de quelques maisons égaillées le long de la route de Dabou. A Cocody on trouve l’usine Blohorn, quelques villas près de la route de Bingerville et de nombreuses plantations de manioc et de café. La forêt recouvre Cocody-Résidence.

La rareté du carburant affecte les transports routiers, mais donne une importance accrue au chemin de fer, épine dorsale de la « colonie ». L’abandon de la rade foraine de Grand-Lahou se fait au profit du wharf de Port-Bouët. Les difficultés de transport par camion incitent de nombreux forestiers à se fixer le long de la voie ferrée. Le stockage des bois se fait à Port-Bouët. Les travaux d’enrochement des futurs quais et la construction du port attirent une main-d’ euvre abondante.

Dès 1946, après la reprise des échanges commerciaux, l’ouverture de nouveaux chantiers de bâtiment, l’accélération des travaux du port suscitent un courant d’immigration que les autorités n’arrivent pas à endiguer, et Abidjan « éclate » littéralement. On bâtit alors sans aucun souci des règles d’urbanisme ou simplement d’hygiène. Un plan d’urbanisme est mis à l’étude en 1948, mais il ne sera achevé qu’en 1952. Il est aujourd’hui « dépassé ».

En 1956 le recensement officiel de la population s’arrêtait au chiffre de 127 000 habitants. On estime aujourd’hui qu’Abidjan dépasse 150 000 âmes, et certains avancent le chiffre de 180 000. L’agglomération d’Abidjan a près de 10 kilomètres dans le sens nord-sud et environ 6 kilomètres d’est en ouest, des installations de la T.S-F. de Marcory aux quais du port. La voirie municipale est chargée de l’entretien de 134 kilomètres de rues, pendant que l’Etat finance l’entretien de 76 autres kilomètres.

Abidjan consomme 3 500 000 mètres cubes d’eau par an, soit 70 litres par tête et par jour. La consommation d’électricité est passée de 10 millions de kilowattheures en 1954 à 31 millions en 1958. En 1953, 161 autorisations de construire avaient été délivrées ; en 1958 on arrive au chiffre de 347 pour près de 50 000 mètres carrés couverts. Le budget municipal, qui était de 393 millions pour 1956, atteint en 1959 647 millions.

En 1958 Abidjan a consommé en viande abattue sur place : 26 839 bovins, 13 000 ovins et caprins, 4 800 porcins. A ce chiffre on peut ajouter les tonnes de poulets, veau, bœuf et porc importées de France et les quelque 20 000 tonnes de poisson livré sur les quais d’Abidjan.

Il y a plus d’Européens à Abidjan que de véritables Ebriés autochtones. Plus de la moitié de la population est d’origine voltaïque, soudanaise ou européenne. Abidjan compte six hommes pour quatre femmes. 16 125 élèves de l’enseignement primaire fréquentent 237 classes réparties dans 49 écoles publiques ou privées. Plus de la moitié de la population a entre quinze et trente-quatre ans. La partie active atteint les trois quarts du total.

Le chiffre d’affaires des industries d’Abidjan — huilerie, savonnerie, brasseries, chantiers navals et métallurgiques, panification, scieries, conserveries, industries mécaniques et chimiques — approche des 7 milliards. Le port pétrolier possède une capacité théorique de stockage de 115 000 mètres cubes de produits blancs ou noirs et de 1 000 mètres cubes pour le butane et le propane.

La capitale reflète l’expansion de l’intérieur. L’intérieur s’apprête à produire plus de café, de cacao, de bananes, de bois, d’ananas, etc. L’intérieur commencera bientôt à exporter du manganèse, du caoutchouc. C’est pourquoi Abidjan s’équipe et s’étend.

Les installations du port doivent être complétées par trois nouveaux postes à quai, d’autres magasins-cales, d’autres entrepôts. Un port minéralier et un port de pêche sont en construction.

La piste de l’aéroport de Port-Bouët aura, en 1960, 2 700 mètres de long pour accueillir les avions à réaction de la classe des Boeing-707.

Le plan du bitumage des rues de Treichville se poursuit systématiquement, avec installation d’égouts et de bordures de trottoir. La route de dégagement nord, qui permettra aux transporteurs d’éviter la traversée d’Adjamé, est pratiquement achevée.

Bien qu’il existe encore bon nombre de terrains nus au Plateau, à Adjamé et à Treichville, les pouvoirs publics ne se soucient pas de voir la ville continuer à se bâtir à plat, mais souhaitent une extension verticale. En effet, si Abidjan continuait à s’étendre vers Bingerville, vers Adzopé, vers Grand-Bassam, en une succession de villas et de pavillons, les Abidjanais succomberaient vite sous le poids des taxes municipales d’entretien de voirie.

Pour être fixés sur la situation actuelle de la ville et ses possibilités, les pouvoirs publics ont confié à la Société d’études et d’aménagements planifiés le soin de mener une enquête permettant de faire le point, le bilan de ce qui existe, et de procéder à des sondages pour connaître les besoins, les tendances des populations et des services, et les possibilités d’extension harmonieuse de la ville.

Si l’on ignore quelles seront les grandes lignes de ce plan directeur, on peut assurer que l’Abidjan de demain comportera de plus en plus d’immeubles à étages, car la villa d’autrefois devient de plus en plus un anachronisme ou un luxe.

monde-diplomatique.fr

Mon, 03 Oct 2011 22:07:00 +0200

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La Dépêche d'Abidjan

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