Naissance d’une tyrannie – Le cas Yopougon doit interpeller tout le monde

SAMEDI 21 JANVIER 2012 était également la date choisie par le Front populaire ivoirien (Fpi), parti créé par l’ex-président Laurent Gbagbo, pour «faire sa rentrée politique» à la place Ficgayo de Yopougon. Dans une es- calade verbale par médias interposés, les organisateurs promettaient d’aller «jusqu’au bout», d’en faire «une dé- monstration de force» et une manifes- tation de soutien «au vrai président de la Côte d’Ivoire déporté à La Haye». Et alors qu’à travers l’Afrique, tous les amoureux du ballon rond tournaient leurs regards pleins de bonne humeur vers Bata, une tornade de feu, de pierres et de gaz lacrymogène s’abat- tait sur les nombreux militants du Fpi ayant répondu à l’appel de leur par- ti, semant mort, blessures et désola- tion sur son passage. Ce qui s’est pas- sé à Yopougon ne saurait malheureu- sement être une surprise pour qui- conque : deux camps figés dans la vio- lence verbale et physique, qui dans des poussées de nombrilisme meurtrier, prennent la majorité des populations ivoiriennes, qui ne se reconnait ni dans l’un, ni dans l’autre, en otage. Les jeunes assaillants du Rdr qui ont agressé les participants au meeting du Fpi samedi n’ont pas été subitement atteints de démence collective. Ils sont simplement dans la suite logique des méthodes barbares habituelles em- ployées par leurs mentors Ouattara et Soro et leurs exécutants pour conqué- rir le pouvoir et s’y maintenir. Les jets de pierres, les coups de machettes ou les balles tirées sur d’autres êtres hu- mains sont la matérialisation du glis- sement progressif vers un processus organisé, rationnalisé et peaufiné en vue de l’anéantissement définitif des libertés individuelles d’un peuple tout entier. Mus par l’esprit de revanche qui les anime et qui fait que chaque goutte de sang qui gicle du corps d’un militant Fpi est pour eux l’assouvisse- ment d’une vengeance au nom de leurs frères, amis et parents brûlés vifs par les partisans de Gbagbo quelques mois plus tôt, ils sont devenus les rouages d’une machine implacable mise en place, par étapes successives, par Ouattara et ses parrains français pour broyer toute velléité d’évasion du Pacte colonial. La victime d’hier est de- venue le bourreau d’aujourd’hui et vice-versa, et le colon, qui les main- tient tous, victimes et bourreaux, sous sa coupe dominatrice, se frotte les mains de satisfaction. Que dire de l’irresponsabilité des dirigeants du Fpi qui appellent leurs militants à par- ticiper à un meeting sans avoir pris un minimum de disposition pour les sé- curiser, alors que ce n’est pas la pre- mière fois que leurs rassemblements dégénèrent depuis l’avènement de l’Etat de non droit ouattarien ? Tout se passe comme si les chefs du Fpi souhaitent à tout prix faire de la sur- enchère de perte de vies humaines pour pouvoir mettre Ouattara en dif- ficulté, comme la mort de sept femmes à Abobo avait signé l’enter- rement politique de Laurent Gbagbo auprès de la «communauté interna- tionale» en 2011. Faut-il qu’ils soient naïfs pour envisager que cela puisse réussir. Cette ligne de conduite est na- turellement d’emblée vouée à l’échec, comme le prouve le comportement criminellement passif de la solda- tesque onusienne présente sur les lieux samedi qui, malgré un mandat clair de protection des civils et bien qu’armée jusqu’aux dents, au contraire des policiers et gendarmes locaux très vite dépassés, a assisté sans bouger le pe- tit doigt au musèlement de la démo- cratie et à l’embrasement de la place Ficgayo. L’incapacité des respon- sables frontistes à analyser froidement la situation pitoyable qu’ils ont eux- mêmes contribuée à créer, leur refus d’en tirer les conséquences qui s’im- posent en termes de redéfinition de la stratégie de lutte et de l’attitude à adopter et leur entêtement à user d’in- sultes, d’invectives et de mots d’ordre guerriers comme unique moyen d’ex- pression sont autant de preuves d’un fourvoiement profond, durable et dangereux. En effet, il ne fallait pas être diplômé en physique quantique pour anticiper que la France, sous pré- texte d’installer la démocratie en Côte d’Ivoire, se contenterait, une fois sa «mission» accomplie, de faire ap- pliquer par son homme-lige, dans sa forme la plus brutale, le Pacte colonial : les marchés publics doivent être des- tinés en priorité aux entreprises fran- çaises, les matières premières aussi. C’est donc de façon très décom- plexée et assumée que lors de sa pré- sentation de vœux au corps diploma- tique étranger accrédité à Paris, le ven- dredi 20 janvier, l’encore président de la République française Nicolas Sarko- zy s’est déclaré «fier de recevoir» Alassane Dramane Ouattara pour une visite d’Etat sur les bords de Sei- ne du 25 au 28 janvier, en dépit des exactions monstrueuses et répétées commises au regard du droit international par les soldats et milices de ce dernier à l’endroit des populations ci- viles ivoiriennes. (…) Dorénavant, à cause d’eux, les monstres sont parmi nous. Partout. Aussi bien dans le camp de la République de la Haine et de la Démocratie Piétinée (Rhdp), que dans celui de la Faction des Pleurnichards et des Illuminés (Fpi). La grande majorité du peuple, elle, a peur. Ainsi s’installe le règne de la ty- rannie en Eburnie. Tous ceux qui ont regardé la fête du football en Guinée Equatoriale ce samedi ont pu consta- ter que la Zambie et l’Afrique du Sud partagent le même hymne national : Nkosi Sikelel’iAfrica, l’hymne de l’ANC, qui vient d’ailleurs de fêter son cen- tenaire. Voilà deux pays différents, ca-pables de partager un aussi puissant symbole de souveraineté qu’un hymne national. Pendant ce temps, du côté d’Abidjan, une minorité d’Ivoiriens, divisés en deux camps saoulés de violence, continuent d’endeuiller un pays tout entier, qui n’a pourtant que trop souffert de la sauvagerie, de l’agressivité, de l’égo hypertrophié et du manque de discernement de ses dirigeants. Mais si les bourreaux ne meurent jamais, l’espérance humaine non plus. La fin de l’histoire sera écri- te par tous les Ivoiriens qui, épris de liberté et de démocratie et unis dans la responsabilité, refusant de se lais- ser instrumentaliser par des politiciens de bas niveau, refusant de servir de chair à canon, refusant de tomber dans le piège de la division, du triba- lisme et du sectarisme qui ne sert qu’à les maintenir sous l’emprise de quelques individus assoiffés de pou- voir, surmonteront la peur, l’inertie, le ressentiment et le désenchantement pour construire un avenir paisible, prospère et radieux pour leur Nation.

Mahalia NTEBY
(mahalia.nteby@yahoo.fr)

Tue, 24 Jan 2012 10:50:00 +0100

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