Pour une diaspora africaine constructive : Trois constats et une réflexion sur le rôle primordial de la culture et de l’éducation

Le décès l’an dernier (1990 ndlr), d’un homme a priori engagé pour la démocratie dans son pays, Puis Nouméni Njawé, m’a d’abord incité à réfléchir sur les quelques lignes qui suivent. En plus de la mort de Njawé, les événements de ces derniers temps (en Côte d’Ivoire, les Révolutions de jasmin en Tunisie et en Égypte, de même que les soulèvements silencieux ou violemment réprimés au Maroc, en Syrie et au Yémen), m’ont encouragé à me lancer dans cette démarche un peu ‘mode d’emploi’.
En effet, il s’agit non seulement de partager un constat mais aussi d’ouvrir une conversation critique sur l’avenir de l’Afrique noire. Ainsi, même si je souhaiterai m’adresser à tous les Africains, je concentrerai néanmoins mes propos sur un cas en particulier, celui du Cameroun, en passant par une réflexion historique inspirée de la Côte d’Ivoire. Je vais donc être franc et violent par certains de mes propos, car ils me semblent si vrais qu’ils doivent aussi s’entendre crûment !
Entre les années soixante-dix et quatre-vingts, il se déroula un événement particulier au pays du Vieux Houphouët Boigny : « l’Ivoirisation des cadres ». Il s’agissait là d’un processus qui devait permettre aux citoyens ivoiriens de prendre le contrôle des institutions publiques et économiques, jusque-là dominées par des immigrants Français, des Burkinabés, des Togolais ou des Béninois en majorité. L’Ivoirisation des cadres avait pour objectif ultime de créer un esprit nationaliste, de forger en l’Ivoirien un patriote, un « citoyen » si je puis dire, un peu à l’image de la « Révolution tranquille » au Québec des années soixante (1). Or, entre les années soixante-dix et cette aube du 21ème siècle, ce fut un échec total de l’ivoirisation citoyenne des Ivoiriens. Ceux-ci, plus que jamais, sont restés ancrés dans leur ethnicité tribale : Agni, Ebrié, Dioula, additionnée à leur régionalisme identitaire : Sudistes, Nordistes, de l’Ouest, du Centre et de l’Est, etc. et non des citoyens ivoiriens. Comme au Cameroun, on pense surtout en terme de Douala, d’Ewondo, d’Haoussa, de Bami, d’Anglo, de Nordistes et de Sudistes…
pnjawÀ la mort de Puis Njawé en 2010, la question que je me suis posé était de savoir le pourquoi de cette mort subite. Je me dois de répéter cette question car pour les Camerounais, on meurt inévitablement, non de maladie ou d’accident fatal, mais « de quelque chose de forcément mystérieux », d’un acte de sorcellerie. Je me suis donc demandé si c’est véritablement pour la mystérieuse démocratie, celle pour laquelle Puis Njawé a dit se battre toute sa vie qu’est apparue cette mort, ou est-ce pour épauler quelques idéologues, des sorciers exilés chez l’Oncle Sam, eux-mêmes anxieux de prendre le pouvoir à Yaoundé pour en faire on ne sait quoi à leur tour ? Je suis en droit de me demander pourquoi l’Afrique noire aurait vu disparaître Njawé, loin de sa famille, dans une jungle des idées sorcières, à Washington, invité par un groupe d’inconnus, des autos proclamés « Représentants de LA diaspora camerounaise » ?

Constat numéro un : Vivre dans le mirage est dangereux !

Comme tout Camerounais, j’ai cru pendant longtemps que ce pays était non seulement riche mais aussi le meilleur pays au monde. Ce patriotisme primaire fut un leurre, un mirage enivrant qui ne m’a pas ouvert les yeux vers la citoyenneté. J’ai cru qu’ils – les Camerounais – étaient invincibles, hyper intelligents et capables de miracles. D’ailleurs, je sais qu’aujourd’hui encore, plusieurs de mes compatriotes croient mordicus en des capacités mystérieuses de leur pays. N’est-ce pas, soutiennent-ils souvent avec une fierté dont ils ne semblent pas mesurer le paradoxe, « qu’impossible n’est pas camerounais » ? Une fierté plus que paradoxale car au fond de leur cœur, tous les Camerounais savent qu’ils ne sont pas riches, bien au contraire, ils sont pauvres, très pauvres même pour la grande majorité qui est aussi surendettés et vivant du jour au jour. Et même s’ils soutiennent souvent qu’ils sont les plus intelligents, ils savent en réalité que cela n’est pas vrai, que c’est là faire la pirouette de l’autruche, que c’est vivre dans un mirage. C’est ainsi que Puis Njawé est mort l’an dernier, j’en ai bien peur, en croyant faire l’impossible, un miracle à la camerounaise à Washington, dans un concert de sorciers qui annonçaient détenir la potion magique capable de « chasser du pouvoir Paul Biya », car ainsi avait-il intitulé leur rencontre, au nom d’une certaine diaspora camerounaise. Mais que signifie la notion de diaspora ?
Le concept de Diaspora est un mot composé qui vient du Grec, dia (à travers) et sporà (encensement). Une diaspora est donc un groupe d’individus formant un ensemble plus ou moins homogène, souvent ethnoculturel – comme les Grecs en Australie, ou les Juifs aux États Unis d’Amérique. On peut aussi parler de diaspora chinoise, cubaine, sénégalaise… Généralement, une diaspora, même quand elle est en opposition avec les gouvernants du pays d’origine, travaille pour la construction de ce pays d’origine. Il est connu que c’est la diaspora cubaine qui, malgré son opposition contre le régime de Castro, continue de fournir Cuba en devise étrangère. La diaspora chinoise, longtemps contre le régime communiste de Mao, a néanmoins accompagné la Chine à devenir aujourd’hui la seconde puissance économique du monde (au moment où j’écris cette note), peut-être la première dans quelques années. Une diaspora camerounaise qui se limiterait à des gros titres comme : « Forum pour chasser Paul Biya d’Étoudi », ressemblerait à un groupe de sorciers distants qui manipuleraient des potions magiques sans pouvoir de changement réel, des potions qui n’arriveraient même pas à traverser la rivière d’à côté.
C’est ici la première boucle de ma première leçon : pour sortir du mirage de cette sorcellerie des gens qui nous disent que tout est possible, il faudrait comprendre qu’une véritable révolution nationale ne peut se faire qu’avec la volonté et la détermination des « voix citoyennes ». C’est ce que les expériences Tunisiennes et Égyptiennes nous ont appris. Le changement n’intervient pas avec les voix d’une diaspora faite d’apprentis-sorciers, mais avec des formations qui encouragent le développement d’une mentalité citoyenne. Ces Camerounais, auto-nommés représentants de la diaspora qui se croient intelligents, sont en réalité des apprentis-sorciers. À l’évidence, leur énoncé principal, « chasser Paul Biya d’Étoudi », signale le brevet d’une ignorance élémentaire qui, de surcroît, renforce l’idée que l’habitant actuel d’Étoudi est plus intelligent que ceux qui n’en veulent qu’à sa peau et ne souhaitent pas véritablement apporter du nouveau dans la construction d’une conscience citoyenne des Camerounais.

Constat numéro deux : une diaspora produit la richesse pour ses compatriotes

Une diaspora constructive construirait des écoles comme dans les villages du Mali, du Sénégal, d’Afrique du Sud et d’ailleurs. Elle n’attend pas du politique pour creuser des puits d’eau potable, mais s’engage dans de micro-projets pour les réaliser. Une véritable diaspora connaît le terrain de sa terre natale. Elle sait avec qui traiter. Elle apporte une évolution à la base, car c’est là que le changement émerge le plus souvent. C’est le peuple qui change ses élus et non le contraire. On l’a vu en Tunisie et en Egypte, avec une personne au départ, puis un quartier, une ville… de loin, de la France ou des États-Unis, cela n’a jamais fonctionné. Bref, une analyse simple du rôle diasporique démontrerait que, le plus souvent, les diasporas ont toujours eu une grande part dans la modernisation de la nation d’origine, dans l’évolution des mentalités humaines et pour le développement d’une mentalité citoyenne.
Depuis quelques semaines maintenant, d’autres sorciers éclairés, d’autres représentants d’une certaine diaspora camerounaise se sont réveillés sous le prétexte et l’énoncé principal de vouloir changer le pouvoir à Yaoundé. Comme si, de manière inéluctable, le changement de pouvoir à Yaoundé était la seule condition garantissant la production des institutions démocratiques. Ainsi, encore une fois, nous retrouvons le prétexte principal de ces apprentis-sorciers, représentants auto-nommés de LA Diaspora camerounaise : « Chasser Paul Biya du pouvoir » pour avoir des institutions démocratiques. Les Africains devraient faire attention à ce type de proposition provenant d’individus avides et affamés, comme ceux qui ont servi sur un plateau la mort à Puis Njawé. Sous le prétexte de vouloir faire une révolution au nom du peuple, ces sorciers éclairés se cachant en terre étrangère pensent être au cœur d’un mouvement de libération. Toutefois, leur marginalité est symptomatique de leur idéologie utopique, car tous les Africains capables de réfléchir savent que les institutions démocratiques ne sont pas les seules conditions garantes d’une vie sociale, démocratique et juste, encore moins d’un fonctionnement politique démocratique. Les institutions démocratiques dépendent des gens qui y travaillent et qui les servent. Ainsi, ce sont les personnes impliquées, les hommes et les femmes dans ces institutions qui produisent un environnement social démocratique et juste, ou dégradé, corrompu et dégénéré.
Ainsi, pour libérer l’Afrique d’un autre mirage d’ignorance qui nous étreint, il faudrait d’abord, véritablement, moderniser les mentalités des petites gens avec de petits projets concrets. Il faudrait, si vous détenez des connaissances quelconques, aller les partager avec vos concitoyens. Il faudrait éduquer et former, car une véritable participation citoyenne commence par le partage des connaissances. Il faudrait sortir du tribalisme du régionalisme et autres croyances honteuses et irrationnelles des religions qui polluent le quotidien de nos pères, mères, frères et sœurs. Nous avons vu ce que cette ethnicité régionalisée et ces croyances à « certains esprits charismatiques » ont fait en Côte d’Ivoire récemment, plus tôt c’était au Liberia et en Sierra Léone. Nous savons ce qu’ils ont fait et continuent de faire au Soudan, au Congo, au Burundi, au Rwanda et bien ailleurs en Afrique.

Constat numéro trois : Le tribalisme tue les Africains

Le tribalisme nous divise, il n’aide pas à la construction d’une nation commune. Il aide à renforcer des dictats et à déstabiliser les institutions nationales. Le problème, au Cameroun comme ailleurs en Afrique noire, en réalité, n’est qu’en petite partie dans les palais présidentiels. Notre problème, à nous Africains noirs, est fondamentalement l’ignorance tribale qui nous enferme dans une profonde mentalité coloniale. Un Douala ne marie pas ouvertement, sans problème, une Bamiléké ; une Bassa n’ira pas sans problème chez un Haoussa, et ainsi de suite. Les Camerounais, à cause de leur mentalité tribale qui définie leur identité primaire, sont restés des étrangers dans leur propre pays, même s’ils voyagent et s’installent librement ailleurs, hors de leur région natale. Cette identité tribale aurait forgé une mentalité raciste faite de stéréotypes dévastateurs tels: les Douala sont… les Bamiléké sont… les Sudistes, les Nordistes sont etc. des généralités stéréotypées naturalisées dans le langage quotidien que nous entendons sans réagir dans les conversations anodines tous les jours.

À ce tribaliste identitaire, plus qu’un coq dans la savane, l’homme africain est aussi, en général, un sexiste fondamentaliste. Son épouse, encore aujourd’hui, est son objet, son bien, sa propriété au nom de certaines valeurs tribales et sauvages. Cette ignorance le rend aussi violent, fondamentalement. Nous avons revu le film de cette violence lors des récents événements en Côte d’Ivoire, nous entendons parler de ce qu’il fait aujourd’hui au Congo, au Soudan et ailleurs. Motivé par l’appât du gain, avide de démontrer qu’il est le plus fort, armé de son tribalisme sauvage qui oppose le nord au sud, le chrétien au musulman, le Bété au Dioula, l’Ivoirien à l’étranger, cet ignorant a tué, une fois de plus, des milliers d’innocents. Ce sauvage ignorant a violé des femmes et des enfants, une fois de plus. On parle même de « seigneurs de guerre » en Côte d’Ivoire et au Congo, comme hier en Sierra Léone et au Libéria, ces beaux pays modernes à une certaine époque aujourd’hui ensevelis sous les cendres et le sang des innocents.
Le tribalisme tue les Africains et la diaspora africaine pourrait jouer un rôle important pour lutter contre ce cancer. Ainsi, une diaspora constructive devrait aider les citoyens des pays d’origine à entamer leur marche vers la modernisation des mentalités. Ici, au moins deux éléments sont fondamentaux : la Culture et l’Éducation. La Culture et l’Éducation semblent être les clés de tout processus de modernisation mentale, intellectuelle et pragmatique.

Écrit par Boulou Ebanda nya Bonabedi, Ph.D.

Wed, 01 May 2013 22:44:00 +0200

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