Les religions abrahamiques, notamment le christianisme et l’islam, sont souvent présentées comme les fondements exclusifs de la civilisation. Cependant, il est crucial de déconstruire cette lecture réductrice, afin de rétablir une vérité trop longtemps dissimulée. En remontant le fil de l’histoire, il apparaît clairement que l’Afrique, bien avant la traite négrière et la colonisation, avait déjà développé le monothéisme. Tous les groupes ethniques du continent africain croient en un Dieu unique, chacun ayant sa propre manière de le désigner. En réalité, ces religions, introduites sur le sol africain dans le cadre de projets impérialistes, servent d’instruments de domination et d’aliénation spirituelle.
L’Afrique, berceau du monothéisme
La tradition spirituelle du continent a reconnu, bien avant l’arrivée du christianisme et de l’islam, l’existence d’un Dieu suprême, créateur et régulateur de l’univers. Ce Dieu unique, au cœur de la conscience spirituelle du peuple africain, est perçu comme la source de toute vie, transcendant toute chose.
L’exemple de l’Égypte antique illustre particulièrement cette antériorité du monothéisme, avec la vénération d’un Dieu suprême, qui se manifestait sous différentes formes et dénominations, telles qu’Aton, Rê, Ra ou Atoum.
Cette tradition monothéiste africaine se fonde sur une philosophie du monde, une éthique de la vie et une vision de l’humanité liée au respect de l’ordre cosmique.
Les religions importées : une colonisation spirituelle
Le christianisme et l’islam, des systèmes de croyances étrangers, ont été des instruments de domination qui ont accompagné les violences de la traite négrière et de la colonisation. Ces religions ont effacé la spiritualité africaine, en imposant des visions du divin qui n’avaient rien en commun avec celles du peuple africain. Le Dieu unique des religions chrétienne et islamique est alors devenu le symbole d’une hégémonie extérieure, occidentale et arabe.
Cette suprématie religieuse ne doit rien au hasard. Elle s’inscrit dans un projet de domination globale, intensifié à partir du XVe siècle avec l’expansion européenne, la traite négrière transatlantique, puis la colonisation. Dans ces contextes, les religions abrahamiques ont été mobilisées comme instruments d’idéologie et de contrôle. Le christianisme, par exemple, s’est déployé en Afrique à travers les missions évangéliques, étroitement liées à l’entreprise coloniale. Il a servi de pilier moral aux colonisateurs européens, justifiant l’esclavage et la colonisation en prêchant la « civilisation » du peuple noir au nom d’un Dieu blanc. L’islam, quant à lui, s’est également implanté dans plusieurs régions africaines dans des contextes d’expansion impériale et de conquête, en marginalisant les cultes ancestraux. Il a été instrumentalisé, en particulier à travers la traite transsaharienne, pour assujettir la population africaine au pouvoir arabo-musulman, réduisant sa spiritualité à un statut inférieur. Ces religions ont donc transformé le divin en un instrument de domination. Elles ont effacé toute la richesse spirituelle africaine et ont imposé une vision unique du monde.
Ce processus a entraîné l’invisibilisation de la tradition spirituelle africaine. Sa richesse symbolique, son système de valeurs et sa cosmogonie ont été ridiculisés, voire diabolisés.
La perception coloniale, puis postcoloniale, a ainsi imposé l’idée que l’Afrique n’avait pas de croyance, et qu’elle devait son « salut spirituel » à l’apport extérieur des religions dites révélées.
L’asservissement spirituel : les conséquences de la dépossession
La dépossession spirituelle infligée aux Africains a altéré leur relation au divin. La substitution du Dieu africain par un Dieu étranger a eu des conséquences durables sur les mentalités. Les croyances africaines ont été dévalorisées et qualifiées d’idolâtrie, tandis que le Dieu unique des colonisateurs est devenu la norme.
Cette dynamique a conduit à l’effacement des pratiques spirituelles ancestrales et à la création d’une vision du monde où le peuple noir était perçu comme incapable de concevoir une divinité autre que celle imposée par ses colonisateurs. Cela a engendré un anéantissement spirituel, visant à éradiquer toute dignité liée à l’identité africaine. Le peuple noir a été coupé de ses racines, dépossédé de son histoire et de son rapport au sacré.
La reconquête de la spiritualité ancestrale : un impératif de décolonisation intérieure
Aujourd’hui, il est crucial de réexaminer cette histoire. En effet, face à l’oubli organisé, à la marginalisation systématique et aux stéréotypes toujours présents, réhabiliter la tradition spirituelle africaine représente une réparation décisive et un acte hautement politique, car la reconquête de la spiritualité ancestrale constitue une action importante de décolonisation intérieure. Il s’agit de remettre en lumière une dévotion qui n’a jamais cessé d’habiter le cœur des Africains, mais qui a été volontairement étouffée par des religions imposées.
La décolonisation de l’esprit
La réaffirmation des croyances ancestrales permettra aux Africains de renouer avec leur identité et de reconstruire une vision du divin qui leur est propre. La réappropriation des traditions spirituelles devient un moyen d’affirmer la souveraineté culturelle du peuple noir. Cette reconquête spirituelle lui rend sa juste place dans le monde.
La décolonisation de l’esprit reste une tâche complexe, certes, mais absolument nécessaire. L’Afrique ne se situe ni en marge de l’histoire ni en dehors de la spiritualité ; elle en est la source, délibérément effacée ou ignorée.
Il est essentiel de repenser les fondements de la civilisation afin de rétablir à l’Afrique la place qui lui revient. Terre de sagesse ancestrale, elle a vu naître un monothéisme qui n’est pas une imitation, mais une création authentique. Ce continent n’a jamais eu besoin d’adopter un Dieu unique, car il l’a toujours porté en lui. Ce Dieu n’est pas une invention étrangère, il fait pleinement partie de son héritage.
Axel Illary