La traite négrière a arraché, pendant des siècles, des millions d’Africains à leur terre pour les réduire en esclavage. Pourtant, un discours revient souvent : « Les Noirs ont vendu les Noirs. » Pourquoi insiste-t-on autant sur la participation africaine à ce système, alors que d’autres peuples ayant vécu des drames comparables ne subissent pas le même traitement ? En réalité, cette phrase sert à minimiser la responsabilité des puissances européennes et arabes dans ce crime massif contre l’humanité.
Les razzias négrières
La traite n’a pas commencé autour d’une table de négociation. Elle a débuté dans le sang. Les premiers esclaves étaient arrachés à leur terre à la suite de razzias menées par des groupes armés. Ces incursions étaient brutales, souvent meurtrières et visaient à alimenter un marché naissant.
Le professeur Bwenba Bong explique que les premières captures d’esclaves ont eu lieu lors des razzias subsahariennes, également appelées razzias arabes ou djihads. Elles ont été suivies par les razzias transatlantiques. Selon lui, ce qui distingue cette nouvelle forme d’invasion, c’est que l’ensemble du continent européen s’est tourné vers l’Afrique pour y capturer des esclaves. Ces expéditions utilisaient une méthode appelée fillamento, qui consistait à poursuivre les populations avec des armes afin de les capturer. Cette pratique a été initiée par les Portugais et les Espagnols.
Le professeur souligne également que si les Noirs s’étaient vendus entre eux, on aurait vu une organisation militaire interne dans les pays africains. Or, pour qu’une structure militaire existe, il faut être armé, ce qui n’était pas le cas à cette époque, à moins de leur prêter des « cerveaux de vers de terre ».
De plus, ce commerce inhumain nécessitait un minimum de communication. Au début, les Arabes, les Européens et les populations africaines ne parlaient pas la même langue et ne se comprenaient pas. Les envahisseurs ont donc eu recours à la brutalité pour s’approvisionner en captifs. C’est au fil du temps que certains Africains ont été impliqués dans ce trafic.
Les traîtres existent dans toutes les sociétés. Pourquoi insister sur les Africains ?
Lorsqu’on parle de la Shoah, personne ne dit que « les Juifs se sont exterminés eux-mêmes », alors que certains ont été contraints de participer au système nazi. De même, quand on évoque la collaboration française avec les nazis, on ne tient pas tout le peuple français pour responsable.
Alors pourquoi ce deux poids, deux mesures avec les Noirs ? Pourquoi blâme-t-on l’ensemble des Africains pour la traite négrière, alors que seuls certains groupes ou individus y ont participé ?
Ce double standard révèle un racisme structurel. Lorsqu’il s’agit des Noirs, on applique un raisonnement qu’on n’oserait jamais tenir pour d’autres peuples ; on les culpabilise en leur attribuant une responsabilité collective, là où l’histoire devrait distinguer entre victimes, bourreaux et complices minoritaires ; on cherche à leur faire porter le fardeau d’un crime conçu, organisé et exécuté par les oppresseurs arabes et occidentaux.
La participation africaine
La traite négrière a été élaborée et planifiée par les Arabes et les Européens. Sans leur intervention, elle n’aurait jamais eu lieu. Ce sont eux qui ont construit les bateaux, établi les routes commerciales et suscité une forte demande d’esclaves. Dans les Amériques, les Noirs formaient la principale main-d’œuvre des plantations esclavagistes, tandis que dans le monde arabe, ils étaient aussi réduits à l’état de serviteurs, de soldats ou d’eunuques.
La participation de certains Africains s’est faite dans un contexte de domination. Ils subissaient des pressions, du chantage et cherchaient parfois à obtenir des avantages immédiats, comme des armes, des marchandises ou du pouvoir local. Souvent, ils ignoraient le sort réel réservé aux captifs. Ce n’était pas une interaction entre égaux, mais une relation déséquilibrée, dans laquelle les Africains n’avaient aucun contrôle.
Qui étaient les collaborateurs africains ?
Plusieurs royaumes et chefs africains ont vendu des captifs à des marchands arabes et européens, avec l’appui d’intermédiaires locaux. Par ailleurs, de grandes figures africaines, souvent célébrées comme des héros anticoloniaux, présentent une histoire ambivalente. C’est notamment le cas de Samory Touré, fondateur de l’Empire du Wassoulou (Guinée – Mali – Côte d’Ivoire), qui a farouchement résisté à la colonisation française, mais a mené des campagnes de djihad pour installer l’islam en Afrique de l’Ouest, combinant ainsi expansion religieuse et ambitions politiques, tout en commerçant avec des marchands arabes à qui il vendait des esclaves. El Hadj Omar Tall, chef religieux et militaire de l’Empire toucouleur (Sénégal – Mali – Guinée), a également mené un djihad dans le but d’islamiser les royaumes de d’Afrique de l’Ouest, réduisant en esclavage les populations non musulmanes conquises. Il demeure une figure religieuse et politique à double visage.
Cependant, face à ce commerce inhumain, des dirigeants africains ont tenté de résister. À titre d’exemple, le roi Béhanzin du Dahomey a, à plusieurs reprises, cherché à freiner la traite pour préserver son peuple, malgré les fortes pressions européennes. De même, le royaume Ashanti a parfois limité la traite pour protéger sa population. Ces actions montrent que, même dans un contexte de rapports de force déséquilibrés, des résistances africaines ont existé contre la traite négrière.
La résistance, on en parle ?
Contrairement aux clichés, de nombreux Africains ont résisté à la traite négrière. Parmi eux, on peut citer le roi Nzinga Mbemba du Kongo, qui a dénoncé la traite auprès des Portugais, ainsi que la reine Nzinga d’Angola, qui a mené la guerre pour défendre son peuple. Des villages ont choisi de fuir, de cacher leurs habitants ou de fortifier leurs frontières pour échapper à l’enlèvement. Les captifs eux-mêmes ont résisté, par des mutineries, des suicides collectifs ou en refusant de se laisser réduire en esclavage. Cette lutte s’est poursuivie jusqu’en Amérique, avec des événements historiques tels que la révolution haïtienne et l’abolition de l’esclavage.
En définitive, pour dépasser les idées reçues, il faut regarder l’histoire en face et reconnaître que certains Africains ont participé à la traite négrière, mais ils n’en étaient pas les initiateurs et ne représentaient pas le peuple africain. Il y a eu des complices qui ont collaboré, des lâches qui se sont tus, des résistants qui ont combattu, et des héros dont le courage a marqué les mémoires, comme il en existe dans toutes les communautés.
Ce qu’il faut retenir, ce n’est pas que « les Noirs se sont vendus entre eux », mais que cette tragédie a été rendue possible par les Arabes et les Occidentaux.
Axel Illary