Abidjan : Lycées et collèges /Qui livre la drogue aux élèves?

C’est l’omerta, la loi du silence qui prévaut dans la mafia. Aborder le sujet revient à chercher une aiguille dans une botte de foin. Mathieu, 18 ans et Ismaël, 17 ans, viennent de fumer une mèche de cannabis au Lycée classique de Cocody. Les habitués appellent la drogue, «gban », «pegasus» ou encore «décalement». Les deux adolescents ressortent de la broussaille. Ils portent, chacun, un sac au dos. Puis, ils rejoignent leurs camarades attroupés devant le portail de l’école. Il est presque 18 heures ce vendredi. Après trois tentatives, Ismaël et Mathieu acceptent de nous accorder quelques minutes. Ismaël, le plus « bavard » confie qu’entre lui et l’herbe (le cannabis), c’est le parfait amour. Mais il précise qu’il y est victime de sa fréquentation. « Je suis en classe de seconde. J’ai été orienté ici après ma réussite à l’examen du Bepc. Il me fallait trouver des amis. C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de Mathieu et Cédric. On a commencé à se fréquenter y compris en dehors même de l’école. D’abord, c’était la cigarette. Mais nous étions à la recherche de sensation forte. C’est ainsi que par le biais de Mathieu, nous avons rencontré un certain Bébé. C’est lui qui nous livrait la drogue. Je ne sais pas où il habite. Au début, il se méfiait de nous de peur qu’on le dénonce à la police. La confiance a été établie et depuis lors, il nous fournit la marchandise. Ok, on doit dégager. Excusez-nous», lance l’adolescent. Il est même pressé par Mathieu. Ce dernier est resté presque muet lors du bref échange. Aussitôt, ils se fendent dans le crépuscule. Direction, gare de wôro-wôro, non loin de l’église Saint Jean. Nous insistons, mais rien à faire.

Les gamins filent à l’anglaise.
Autre lieu, même tactique, même attitude. Nous sommes dans le périmètre de l’hôtel Palm Club. Le lycée technique se trouve à quelques mètres de là. Un contact nous a permis d’infiltrer la bande à Sévérin. Ils sont quatre jeunes gens aux allures élancées. Notre interlocuteur a gardé l’anonymat pour des raisons de sécurité. Ils sont en classe de 1ère. Comme au lycée classique, la méfiance règne. C’est ainsi que notre contact nous suggère de nous éloigner. Ce qui est fait. En réalité, nous feignons de quitter les lieux. Mais, nous nous planquons pour observer les mouvements des uns et des autres. Les échanges nous ont été rapportés par notre contact. Selon les témoignages, au coucher du soleil, une intense activité se déroule dans le périmètre de l’établissement. Casmir arrive sur un scooter au niveau de la ruelle passant devant l’Ipnet, une école professionnelle. Mais il ne coupe pas le moteur de la moto. Il porte un casque et des gangs aux mains. Sévérin et son groupe lui avaient soumis leur envie de fumer un peu de drogue. Message reçu cinq sur cinq. Casimir s’en va voir un certain Diomandé. Il confectionne les meubles en raphia et résiderait à «Washington», un quartier précaire de Cocody. Mais Diomandé vend aussi le ‘’décalement’’. « Les grains font pousser aussi les cheveux. C’est ce que les rastas mettent dans leurs cheveux…», révèle-t-elle. L’artisan devenu dealer remet la drogue emballée dans un sachet noir à Casmir. Celui-ci revient vers ses clients. Le produit caché sous le manteau, il le retire puis le remet à Sévérin. La substance coûte 5000 Fcfa. Tout se passe en un clin d’œil. Sévérin et ses amis se retirent dans un taxi en direction de la Corniche. Casimir se glisse dans la pénombre. «Quand nous fumons le «gban», nous travaillons bien. Nous assimilons les leçons. Le cannabis, c’est une source d’inspiration pour nous.», lancent Sévérin et ses comparses en quittant les lieux. « C’est un secret de polichinelle. Le phénomène de la drogue à l’école s’est accentué. Tout le monde sait que l’on vend la drogue aux élèves aux abords des établissements scolaires. Il faut faire quelque chose. Au risque de se retrouver avec des cadres toxicomanes », s’inquiète notre interlocuteur. Pour lui, il n’y a pas de doute. Ceux qui livrent la drogue aux élèves, ce sont les propriétaires de fumoirs et dealers qui écument la cité. Ils ne font qu’étendre leur clientèle, commente-t-il.

La guerre flics-dealers
Pour comprendre ce que fait la police face à la montée en puissance de ce fléau, nous avons rencontré le sous-directeur chargé de la recherche à la direction de la police des stupéfiants et de la drogue (Dpsd), logée à la préfecture de police d’Abidjan-Plateau. «Nous ne possédons pas de statistiques pour l’heure. De plus en plus, les responsables des établissements nous sollicitent pour effectuer des patrouilles aux alentours des écoles. Le phénomène de la drogue à l’école est plus criant dans la commune de Cocody. Je ne saurais citer des établissements. Ce serait de la mauvaise publicité pour ces écoles. Mais il faut savoir que ça se passe dans les écoles huppées de Cocody. Là-bas, les élèves ont suffisamment de moyens pour acheter la drogue. Certains écoliers ont plus de moyens que leurs professeurs», affirme le commissaire Guy Emile Mouhnon. Selon lui, certains dealers sont tombés dans les mailles des filets de ses éléments. «Nous avons arrêté des fournisseurs. Certains ont dit que l’huile de cannabis qu’ils vendent devant l’école est utilisée pour faire pousser les cheveux. Ils ont été interpellés devant un établissement à Cocody. Cela remonte au mois de mai. La direction de la mutualité des œuvres sociales en milieu scolaire, (Dmoss) initie des actions de sensibilisation dans les écoles. Nous travaillons de concert avec cette structure du ministère de l’Education nationale. C’est une lutte permanente», explique l’officier. Concernant les réseaux qui approvisionnent les écoles en drogue, il confie : «ce sont les mêmes jeunes gens qui sont dans les fumoirs qui fournissent la drogue aux élèves. Vous savez, la vente de la drogue se déroule rapidement. Les individus se connaissent et ils utilisent un langage codé pour communiquer. Ce sont des échanges qui se font en un clin d’œil. On nous a signalé des fumoirs aux entours des établissements. Nous avons effectué des descentes. Mais, nous n’avons pas pu interpeller de vendeurs. Quand nous allons dans ces écoles les gens ont déjà l’information sur notre présence. Ils ont des informateurs qui les fournissent les renseignements », se convainc-t-il. Toutefois, l’officier et ses hommes retroussent les manches en déclarant la guerre aux dealers. «Nous ferons tout pour appréhender ceux qui livrent la drogue aux élèves », insiste le commissaire Mouhnon qui assure que le phénomène s’étend de plus en plus au ville du pays profond.

Ouattara Moussa in NORD SUD QUOTIDIEN

Sun, 22 Jul 2012 05:33:00 +0200

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