AFRIQUE : CES PRIX QUI EMBARRASSENT LES LEADERS AFRICAINS

Un prix dédié à la bonne gouvernance en Afrique ne trouve pas de candidats, tandis que l’Unesco vient de refuser des fonds offerts par un chef d’Etat "pas très démocratique".
Plusieurs dizaines de "leaders sociaux" d’Afrique, associatifs, civils ou politiques, sont distingués chaque année par la communauté internationale pour leur engagement en faveur des droits humains et sociaux, notamment pour leur action dans les domaines de lutte contre la pauvreté.
En 2009 par exemple, Marc ONA ESSANGUI (Gabon) a reçu le prix Nobel de l’environnement, le Goldman Environnemental Prize. Celui qui reçut le prestigieux prix Olof PALME 2008, Denis MUKWEGE, est un gynécologue congolais qui soigne les femmes victimes de violences sexuelles liées à la guerre civile. Il était nominé pour le dernier prix Nobel de la Paix également.
Plus qu’une compétition entre personnalités, ces récompenses constituent souvent de véritables leviers quant à l’action de leurs récipiendaires en faveur de la collectivité. Cependant, la légitimité de ces prix, ainsi que leur utilité sociale, ont été souvent interrogées ces dernières années.
D’après le sociologue ougandais Marcel BOGANDA qui travaille sur l’émergence de la société civile et des nouvelles formes d’action publique en Afrique, "il devient de plus en plus impératif de savoir qui donne ces prix, comment on sélectionne les candidats, et ce qu’ils signifient pour les lauréats et pour les sociétés où ils agissent".
Lui soutient l’idée de promouvoir des prix africains, "gérés et décernés par les africains, explique-t-il, pour que les sociétés s’en approprient la valeur et la signification, pour qu’ils ne soient plus qu’une simple opération de communication ou de notabilité individuelle".
Aucun candidat méritant.
Deux actualités ont relancé depuis quelques mois le débat sur le sens des récompenses décernées aux leaders africains, qu’ils soient associatifs ou autres, politiques par exemple, engagés en faveur du développement social.
On apprenait au mois de juin dernier que pour la deuxième année consécutive, le prix Ibrahim, c’est-à-dire le plus important prix africain de la bonne gouvernance (5 millions de dollars versés sur une période de 10 ans et 200.000 dollars par an versés à vie à un chef d’Etat ayant quitté de façon honorable le pouvoir et développé les structures sociales de son pays) n’a pas trouvé de candidat méritant…
Le jury, une équipe indépendante dirigé par Koffi ANNAN, n’a pas souhaité désigné de lauréat, et a plutôt conseillé la fondation gestionnaire du fonds d’investir l’argent dans un programme spécial de formation collective d’entrepreneurs sociaux et politiques africains de haut niveau.
Dès la rentrée prochaine, il sera donc formé une génération de cadres appelés à maîtriser les enjeux de la globalisation – avec une approche privilégiée de la lutte contre la pauvreté. Tant mieux.
"Afropessimisme"
Dans tous les cas, le non-octroi de ce prix prestigieux pose de sérieuses questions au progrès socio-démocratique sur le continent. Si la fondation Mo Ibrahim maintient son optimisme, estimant que la non-attribution du prix ne doit pas donner raison à l’"afropessimisme" ou aux tenants d’un Etat africain foncièrement corrompu, force est de constater que la justice sociale n’est pas un domaine en forte croissance sur le continent.
Les commentateurs s’accordent sur le fait qu’il serait aujourd’hui difficile de trouver un successeur de MANDELA, du mozambicain Joaquim CHISSANO, Festus MOGAE du Botswana, respectivement récipiendaires du prix Ibrahim la première, la deuxième et la troisième année.
Un prix de l’argent mal acquis.
De Malabo en Guinée Equatoriale à Paris au siège de l’UNESCO cette-fois-ci, c’est une autre histoire de prix qui a suscité débats et controverses. Le président de ce pays avait offert trois millions de dollars à l’UNESCO afin de récompenser les bonnes œuvres dans le domaine de la recherche pour la science de la terre et contre la pauvreté.
Théodore OBIANG NGUÉMA en a les moyens : la Guinée équatoriale qu’il dirige depuis 31 ans est immensément riche en pétrole – avec un revenu par habitant de 36.000 dollars en 2009, plus élevé qu’en Israël, en Italie et en Arabie Saoudite. Le problème, c’est que la Guinée Equatoriale possède le taux de scolarisation les plus bas du monde.
Les défenseurs des droits sociaux africains estiment que ce serait néfaste pour l’image des Nations Unies d’accepter cet argent "mal acquis", et que ce président ferait bien de l’investir dans les actions sociales de son pays, notamment le système éducatif. Après avoir un temps accepté le cadeau, l’UNESCO avait finalement demandé le temps de réfléchir. Ce jeudi 12 août 2010, l’organisation a annoncé qu’elle refusait le prix-Unesco-OBIANG NGUÉMA.
Impasse. Faut-il penser que l’idée d’un grand prix social "pour et par les africains" est aujourd’hui impossible à mettre en œuvre ? Le constat actuel est que notre continent se retrouve à chaque fois en difficultés lorsqu’il s’agit de créer lui-même ses propres dispositifs normatifs en matière d’engagement social.
Mais pour le politologue ougandais Marcel BOGANDA, le débat autour de ces prix africains n’en est pas moins constructif. "Malgré l’impasse dans laquelle se trouve le prix Mo Ibrahim ou le ridicule qui entoure les fonds offerts par le président équato-guinéen, estime-t-il, il semble que nous sommes en train de tourner la page de l’époque où les récompenses les plus importantes n’étaient que des instruments de propagande politique. L’Afrique devient plus exigeante maintenant".
Espérons qu’il y aura un lauréat pour le prix Ibrahim l’année prochaine, et que tous nos dirigeants auront compris que dorénavant seules des actions en faveur des populations, et pas seulement le fait d’avoir du pouvoir et de l’argent, peuvent conférer de la reconnaissance.

Par Edgar C. MBANZA

Wed, 18 Aug 2010 22:32:00 +0200

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