DROIT À L’EAU POTABLE ET À L’ASSAINISSEMENT : NOUVEAU DROIT HUMAIN ?

L’Assemblée Générale des Nations-Unies a adopté en date du mercredi 28 juillet 2010 une résolution reconnaissant l’accès à l’eau potable et à l’assainissement comme un droit humain.
Cette résolution adoptée par 122 voix pour, 0 voix contre et 41 abstentions, (émanant de pays développés pour la plupart, à l’exception de l’Allemagne et l’Espagne) marque une étape importante dans le combat que mène de nombreuses organisations et certains Etats depuis une quinzaine d’années afin que l’accès à l’eau soit considéré comme un droit fondamental de l’homme.
S’il est vrai, comme nous le verrons, que de nombreux textes relatifs aux droits de l’homme soulignent déjà implicitement l’importance de l’eau potable, force est cependant d’affirmer que la résolution A/64/L.63/Rev.1 est le premier instrument juridique international qui reconnait explicitement "le droit à une eau potable salubre et propre [comme étant] un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’homme".
Pour asseoir la pertinence de ce texte et justifier son adoption, de nombreux Etats sous la houlette du Nicaragua, ont à juste titre rappelé "qu’environ 884 millions de personnes n’ont pas accès à une eau potable salubre et que plus de 2,6 milliards de personnes n’ont pas accès à des services d’assainissement de base".
Bien plus, les Etats signataires ont noté "avec inquiétude que près de 1,5 million d’enfants âgés de moins de 5 ans meurent et 443 millions de jours d’école sont perdus chaque année du fait de maladies d’origine hydrique ou liées à l’absence de services d’assainissement".
Dès lors, on comprend mieux l’espoir que fait naître l’adoption d’une telle résolution. L’ancienne conseillère des Nations-Unies pour les questions relatives à l’eau, Maude BARLOW n’a d’ailleurs pas hésité à déclarer à l’AFP que c’était "un jour historique pour le monde, un grand pas" dans la perspective d’un traité portant sur l’eau.
Dans la même lancée, la secrétaire d’Etat à l’écologie Chantal JOUANNO (France) s’est réjouie de cette décision qu’elle considère comme une "avancée historique" qui permettra espère-t-elle, de replacer le droit à l’eau potable et à l’assainissement en tête des priorités des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD).
Il convient cependant, au-delà de ce florilège de satisfactions, de soumettre cette résolution au crible d’une analyse sans concession, afin de dégager sa portée.
1. Du prétendu nouveau droit humain
Si l’importance que constitue l’eau pour l’être humain n’est plus à démontrer, sa reconnaissance juridique et partant sa justiciabilité demeurent sujettes à débat.
A l’analyse, l’accès à l’eau potable comme droit est –implicitement- enchâssé dans plusieurs droits humains canonisés par de nombreux textes internationaux. Analysons quelques-uns.
Le droit à la vie
De la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (Art.3), au Pacte International relatif aux droits civils et politiques (Art.6) en passant par la Convention sur les droits de l’enfant (Art.6), la Convention américaine des droits de l’homme, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, ou encore la Convention européenne des droits de l’homme ; le droit à la vie s’impose comme le droit de l’homme le plus fondamental.
Il y a cependant lieu de constater que la réalisation de ce droit passe nécessairement par une interaction harmonieuse avec d’autres droits qui, au demeurant constituent sa condition même de possibilité. De fait, le droit à la vie exige non seulement des obligations négatives (le fait de ne pas porter atteinte à la vie) mais aussi des obligations positives que les Etats sont tenus d’adopter en vue de sa préservation.
A ce sujet, le Comité des droits de l’homme indique précisément que :
"[l’]expression droit à la vie […] ne peut pas être entendu de façon restrictive, et la protection de ce droit exige que les États adoptent des mesures positives. À cet égard, le Comité estime qu’il serait souhaitable que les États prennent toutes les mesures possibles pour diminuer la mortalité infantile et pour accroître l’espérance de vie, et en particulier des mesures permettant d’éliminer la malnutrition et les épidémies".
On note en filigrane de ce commentaire très autorisé, le lien extrêmement étroit que le Comité établit entre le droit à la vie et les droits-créances. Autrement dit, compte tenu de l’importance de l’eau pour la vie, il importe aux Etats de prendre des mesures en matière de droits sociaux et économiques afin de donner effet au droit indérogeable qu’est le droit à la vie.
Dans le même ordre d’idées, de nombreux autres textes établissent une corrélation systématique entre le droit à la vie et l’accès à l’eau potable et à l’assainissement. En ce sens, on peut citer la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes (1979) qui stipule que :
"les États leur assurent de bénéficier de conditions de vie convenables, notamment en ce qui concerne […] l’assainissement et l’approvisionnement en eau" (Art.14 (2)h ).
Outre ce texte, on a également la Convention sur les droits de l’enfant. Elle dit expressément en son article 24 que : "les États prennent les mesures appropriées pour lutter contre la maladie […] grâce à la fourniture […] d’eau potable […]".
Au niveau, sous régional c’est le même son de cloche. Dans l’optique de garantir le droit à la vie et le bien-être de l’enfant, la Charte Africaine des droits et du bien-être de l’enfant (art.24), invite les Etats-parties à prendre des dispositions nécessaires afin de "garantir la fourniture d’une alimentation et d’une eau de boisson saine en quantité suffisante".
En Europe, on peut se référer au Protocole de Londres sur l’eau et la santé. Ce texte défend l’accès à l’eau pour tous et de manière égale. Relativement à l’Amérique, on peut citer la Déclaration de Santa Cruz sur le développement durable des Amériques (1996) et surtout le Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’homme sur les droits économiques, sociaux et culturels (1988) qui reconnait pour chaque citoyen le droit d’accès à tous les services publics de base, au rang desquels l’eau potable.
Somme toute, la réalisation du droit à la vie exige -incidemment- le respect du droit à l’eau potable et à l’assainissement. Remarquons par ailleurs que, pour aussi diffus et parfois peu explicite (dans plusieurs textes) que soit le droit à l’eau, sa reconnaissance et son importance n’en demeurent pas moins certaines. Pour s’en convaincre davantage arrêtons-nous un instant sur le droit à la santé, le droit à la nourriture et le droit des conflits armées.
Le droit à la santé
Le droit à la santé est consacré par de nombreux textes internationaux et régionaux. Le plus emblématique et sans doute le plus contraignant est le PIDESC. En son article 12, il invite les Etats-parties à prendre des dispositions afin d’assurer un minimum d’hygiène et d’assainissement nécessaire au maintien de la santé du citoyen.
De fait, au même titre que le droit à la vie, la réalisation du droit à la santé requiert indubitablement la possibilité pour les individus d’accéder à une eau de qualité. Comment pourrait-il en être autrement, surtout quand on sait que chaque année 2,3 milliards de personnes contractent des maladies d’origine hydrique, près de 1,5 million d’enfants âgés de moins de 5 ans meurent et 443 millions de jours d’école sont perdus chaque année du fait de maladies d’origine hydrique ou liées à l’absence de services d’assainissement.
Autant dire qu’on ne peut raisonnablement penser le droit à la santé sans tenir compte de ses facteurs déterminants. Le droit à la santé présuppose par ricochet le droit à une eau de qualité et à des moyens d’assainissement qui soient accessible pour tous.
En ce sens, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a précisé que : "le droit à la santé est un droit global" qui exige aussi "la prestation de soins de santé appropriés en temps opportun, mais aussi les facteurs fondamentaux déterminants de la santé tels que l’accès à l’eau salubre et potable et à des moyens adéquats d’assainissement l’accès à une quantité suffisante d’aliments sains".
Droit à une nourriture de qualité et à un logement adéquat
Alors Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Jean ZIEGLER affirmait qu’il "tombe sous le sens que le droit à l’alimentation comprend non seulement le droit à la nourriture solide, mais aussi le droit à la nourriture liquide, à l’eau potable".
Ce faisant, il ne fait qu’expliciter fort judicieusement l’article 11 du PIDESC qui souligne le lien extrêmement étroit entre la potabilité de l’eau et la qualité de l’alimentation. Une fois de plus, on a ici un exemple qui laisse saisir le droit à l’eau potable sous le registre d’un droit fondamental de l’homme.
Il participe de manière prépondérante à la réalisation du droit à la santé. Combattre la faim, donner effet au droit à la santé suppose inéluctablement que les Etats adoptent des mesures nécessaires pour assurer l’approvisionnement en eau potable.
Bien plus, un "logement convenable dit le Comité DESC, doit comprendre certains équipements essentiels à la santé, à la sécurité au confort et à la nutrition. Tous les bénéficiaires du droit à un logement convenable doivent avoir un accès permanent à des ressources naturelles et communes : de l’eau potable, de l’énergie".
Miloon KHOTARI, tire des conclusions similaires dans son rapport sur le droit au logement. Il établit en effet une corrélation systématique entre le droit à la vie, droit à la santé, le droit à un environnement sain et l’accès à l’eau potable. Dans la même lancée que le Comité, il montre clairement que la réalisation du droit à l’eau et à l’assainissement conditionne à bien des égards le droit à une nourriture de qualité et le droit à un logement convenable. Par conséquent, il doit être facile d’accès.
Le droit des conflits armés
Même en droit international humanitaire, on trouve de précieuses et lointaines références au droit à l’eau et à l’assainissement. En effet, le premier Protocole additionnel relatif aux conflits armés internationaux (Art.54) souligne clairement qu’il "est interdit d’attaquer, de détruire, d’enlever ou de mettre hors d’usage des biens indispensables à la survie de la population civile, tels que […] les installations et les réserves d’eau potable et les ouvrages d’irrigation en vue d’en priver, à raison de leur valeur de subsistance, la population civile". Les articles, 5 et 14 du second Protocole additionnel relatif aux conflits armés non internationaux s’inscrivent dans le même sillage.
Bien avant ces Protocoles, la troisième Convention de Genève invitait déjà les Etats-Parties au conflit à garantir aussi bien aux prisonniers de guerre qu’à la population civile, l’accès à l’eau en quantité et en qualité. Dans la même lancée, elle exigeait également des "installations conformes aux règles d’hygiène et maintenues en état constant de propreté".
Tout ce qui précède vient conforter l’idée que le droit à l’eau potable et l’assainissement est un droit dont l’importance n’est plus à démontrer et au sujet duquel aucune dérogation ne doit être admise même en tant de guerre comme en témoigne les textes du droit humanitaire.
Par ses différents Commentaires et Observations générales, le Comité du PIDESC a précisé le contenu des droits du Pacte en y incluant le droit à l’eau potable et l’assainissement. Celui-ci, en tant que droit humain, a été réitéré à de nombreuses reprises par plusieurs États et inscrit même dans certaines Constitutions (Afrique du Sud).
L’importance de l’eau, en a fait un droit central qui conditionne la réalisation de plusieurs autres droits.
L’analyse des principaux instruments juridiques internationaux démontre sans ambiguïté l’existence du droit à l’eau potable et à l’assainissement en tant que droit humain. Cette brève revue kaléidoscopique, était une occasion de mettre en lumière la présence manifeste du droit à l’eau et à l’assainissement dans tous les textes majeurs relatifs aux droits de l’homme. L’idée étant de montrer que la reconnaissance du droit à l’eau et l’assainissement est un acquis qui remonte à des lustres. A ce titre, il faut resituer le débat.
2. La garantie pratique : Le véritable débat
Si certaines puissances à l’instar du Japon, de la Grande-Bretagne, Turquie, etc. rechignent tant à donner au droit à l’eau une garantie pratique, c’est parce que l’eau représente un enjeu économique majeur. De puissantes firmes multinationales occidentales n’ont pas intérêt à ce que l’eau rentre de manière effective dans le domaine des biens publics mondiaux.
C’est pourquoi la militante BARLOW a relevé au lendemain de l’adoption de la Déclaration sur le droit à l’eau et à l’assainissement que certains pays riches s’étaient abstenus de peur "qu’on leur demande de payer la facture" ou que la résolution n’offre "à leurs propres citoyens des outils pouvant être dirigés contre eux".
Dans la même lancée, elle a estimé que le manque de consensus autour de cette déclaration et surtout le caractère non contraignant de cette Déclaration répondaient aux attentes du gouvernement conservateur d’Ottawa d’avoir le droit de commercialiser l’eau : "Ils savent que s’ils disent qu’il s’agit d’un droit de l’homme, ce sera en contradiction avec leur volonté d’en faire une marchandise" poursuit-elle.
En fait, au-delà des idées généreuses que renferme la Déclaration soumise à notre analyse, eu égard au caractère historique dont-elle est revêtu, son adoption est en réalité un pseudo-évènement. Il y a rien de fondamentalement nouveau sous le soleil.
En mettant une emphase sur une question qui n’a pas lieu d’être ou qui doit être -à tout le moins- secondarisée, certains pays veulent faire diversion et s’épanchent en des conjectures et autres atermoiements stériles.
Pis, cette situation est une tentative d’enfoncer les portes entrouvertes, une volonté de se soustraire du débat véritable, celui-là même qui doit pouvoir mobiliser les gouvernants : le respect et la mise en application effective des engagements contractés librement au concert des nations.
Il faut sortir des lieux communs, des faux semblants, des garanties éthiques sans lendemains afin de prioriser définitivement la garantie pratique des obligations internationales relatives aux droits de l’homme en général et aux droits économiques et sociaux en particulier.
Le respect de ces obligations permettra indiscutablement de donner effet, au droit à l’eau et à l’assainissement. A l’heure actuelle ce droit à moins besoin d’une reconnaissance –qui ne fait plus l’ombre d’un doute- que d’une garantie pratique.
Conclusion
En somme, la Déclaration ici questionnée, reconnait explicitement (peut être comme jamais auparavant) le droit fondamental à l’eau potable et à l’assainissement. Il y a cependant lieu de douter de son impact sur le difficile combat que mène les défenseurs des droits de l’homme afin que, l’accès à l’eau ne soit plus un leurre pour de milliers de personnes.
Il se dégage, nous l’avons vu, un contraste entre l’enflure des engagements internationaux, des déclarations officielles rassurantes sur le droit à l’eau et les réalités et pratiques observables au quotidien.
En amont, plusieurs Etats prennent des engagements internationaux qu’ils transposent pour la plupart dans les ordres juridiques internes. "C’est, idéalement, la garantie éthique". Paradoxalement, ces États n’aménagent quasiment aucune disposition de mise en œuvre concrète de la garantie. Cette garantie pratique est tout simplement mise en veille, bâillonnée à défaut d’être violée. Ce qui de fait pose le problème de la justiciabilité de ce droit et non de sa reconnaissance qui est d’ores et déjà un acquis.
Pour conclure disons avec WILLYBIRO-SAKO que la "force obligatoire des conventions n’est en réalité que théorique, car leur portée concrète est des plus aléatoires. Seul l’État peut agir quand il veut (…)".
La mise en application des obligations contractées par les États demeure donc tributaire d’une réelle volonté politique qui ne faut cesser d’aiguillonner. D’où l’urgence de maintenir la pression et les actions de lobbying sur les gouvernants et les organisations onusiennes.

Christian Alain DJOKO

Thu, 19 Aug 2010 18:45:00 +0200

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