Burkina Faso: Thomas Sankara avait-il un fils caché?

25 ans après sa mort, l’existence supposée d’un fils illégitime du révolutionnaire burkinabè suscite une agitation médiatique. L’intéressé voudrait asseoir sa notoriété autrement. La famille Sankara, que l’on rende justice à l’ancien président.
Depuis la publication il y a quelques jours par Jeune Afrique, d’un article sur l’existence d’un prétendu fils caché de feu l’ancien président burkinabè Thomas Sankara, sa famille ne décolère pas.

Selon l’hebdomadaire panafricain, le jeune rappeur américain Ismael Sankara, qui aurait enregistré un album de hip-hop, il y a peu, à Libreville, serait le fils caché de l’icône de la révolution du pays des hommes intègres.

Qui est ce jeune homme?

Le jeune homme qui a grandi à Miami, aux Etats-Unis, aux côtés de sa mère, serait né le 1er avril 1987, soit environ sept mois avant l’assassinat de Thomas Sankara.

Toujours selon Jeune Afrique, Thomas Sankara qui pressentait la fin probable de son régime, aurait décidé d’envoyer le petit Ismael et sa famille aux Etats-Unis, quelques jours seulement avant sa mort tragique.

Aucune précision en revanche sur l’identité de cette femme. L’on apprend tout juste qu’elle n’a pas élevé ses enfants dans la rancoeur vis-à-vis du régime actuel du président Blaise Compaoré, que le jeune Ismael dit avoir rencontré au Burkina Faso en 2010, en marge d’un concert du Jamaïcain Sean Paul auquel il avait été invité.

Immédiatement après la parution de cet article, le journal burkinabè «L’Observateur Paalga» a titré en une: «Ismael Sankara, l’autre fils de Sankara?»

Depuis, de nombreux Burkinabè n’en sont toujours pas revenus. Jusque-là en effet, ils ne connaissaient que Mariam Sankara, la veuve de l’ancien leader du Conseil national de la révolution, qui vit dans le sud de la France, et ses deux enfants Philippe et Auguste.

Qui est ce jeune homme? Pourquoi n’apparaît-il que vingt-cinq ans après la mort Thomas Sankara? Pour en avoir le coeur net, l’hebdomadaire d’information burkinabè, «Bendré» décide de réaliser une interview du jeune homme.

Et là, surprise! A la question de savoir si Thomas Sankara est son père, il a répondu:

Démentis véhéments

«[.] Le journaliste a inventé cette histoire pour vendre son journal. L’interview a été publiée sans mon consentement. Je ne prétends pas être le fils de Thomas Sankara, la politique n’est pas au centre de mes intérêts. J’ai cherché à éclaircir cette situation quand j’ai appris la parution de cet article, mais c’est devenu une histoire qui me dépasse.»

Le jeune rappeur précise ensuite qu’il est juste un jeune burkinabé qui vit aux Etats-Unis depuis l’âge de deux ans. Selon lui, ses propos auraient été déformés.

Le contenu de l’article qu’il dit n’avoir découvert qu’après sa publication, ne correspondrait pas à ce qu’il aurait dit à notre confrère de Jeune Afrique. Quant aux circonstances dans lesquelles l’entretien a été réalisé, rien de substantiel. Tout juste apprend-on qu’il s’agissait de quelques questions sur un documentaire qui aurait été réalisé sur lui à Libreville.

Il précise par ailleurs qu’il devait valider l’article avant sa publication. Pour finir, le jeune homme a déclaré qu’il ferait tout pour faire la lumière sur cette affaire. Il a également promis de contacter la famille Sankara pour lui présenter ses excuses.

Depuis, la famille Sankara attend un démenti formel et officiel du jeune rappeur. Compte tenu du retentissement de cette affaire, elle ne peut effectivement se contenter d’excuses. Elle attend que le jeune rappeur fasse le nécessaire auprès de l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique, afin qu’un démenti formel et officiel soit publié.

La famille Sankara monte au front

Vingt-cinq ans après l’assassinat de Thomas Sankara, sa famille mène un combat acharné pour la vérité et la justice. Parmi les nombreux soutiens dont elle dispose aux quatre coins de la planète, il y a celui des animateurs de la campagne «Justice pour Thomas Sankara, Justice pour l’Afrique.»

Outre le dépôt d’une demande d’enquête parlementaire, il y a tout juste un an, auprès de l’Assemblée nationale française, cette campagne a permis de réunir à ce jour, près de huit mille signatures de soutien à travers le monde.

Pour les animateurs de cette campagne, comme pour des millions d’Africains, la mort de Thomas Sankara est le résultat d’un complot international.

Selon les partisans de cette hypothèse, à l’instar de Patrice Lumumba, l’ancien leader burkinabè dérangeait les puissances occidentales par ses prises de position radicales, tout en prônant un modèle de développement alternatif et autocentré. Ces soupçons de complot sont renforcés par la conviction au sein de la famille, que tout est fait depuis le début, pour éviter une enquête sérieuse sur cet assassinat.

Les membres de la campagne «Justice pour Thomas Sankara, Justice pour l’Afrique» ont toujours affirmé que des témoins libériens auraient déclaré que les Etats-Unis et la France ont participé au complot contre le père de la révolution burkinabè.

Il y a quatre ans, dans une pièce intitulée «Mitterrand et Sankara», mise en scène par Jean-Louis Martinelli, au théâtre des Amandiers à Nanterre, en banlieue parisienne, Odile Sankara, comédienne et petite sour de l’ancien président burkinabé, rejouait la fameuse rencontre de novembre 1986 entre son frère et l’ex-chef d’Etat français, au palais présidentiel de Ouagadougou.

A l’époque, dans un contexte de guerre froide, Thomas Sankara qui s’était emparé du pouvoir trois ans auparavant, venait d’instaurer un régime d’inspiration marxiste-léniniste dans le pays.

Quant à François Mitterrand, qui était au pouvoir depuis 1981, il était venu évaluer l’étendue de cette révolution. La pièce reconstituait la réception officielle au cours de laquelle Thomas Sankara dénonça avec passion le néocolonialisme, le calvaire des peuples du Sud, les contradictions de la France qui tout en défendant les droits de l’Homme, n’hésitait pas à accueillir à Paris les responsables de l’Afrique du Sud sous apartheid.

Pour tous ceux qui nourrissent aujourd’hui la mythologie autour de la mémoire de Thomas Sankara, cet épisode aurait scellé son sort.

Le mythe reste entier

Il est vrai que de son vivant, Thomas Sankara était comparé à Che Guevara. Il se dit même qu’il se sentait proche du célèbre guérillero, au point qu’il aurait songé à commémorer sa mort peu de temps avant d’être lui-même assassiné.

Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui rappellent que les deux révolutionnaires sont morts à peu près à trente-huit ans, et les armes à la main.

S’agissant du reste de l’assassinat de Thomas Sankara, le pourvoi formulé par les avocats de la famille, après le rejet en 2003 de la plainte pour séquestration de l’ancien président, vient d’être rejeté quant au fond par le président de la Chambre criminelle de la Cour de cassation burkinabé.

Les avocats de la veuve de l’ancien président burkinabé promettent tout de même de poursuivre leur combat, pour faire toute la lumière sur ce crime qui à leurs yeux est imprescriptible.

En attendant, la famille continue de se demander pourquoi l’histoire d’Ismael Sankara sort maintenant, à quelques mois justement du vingt-cinquième anniversaire de la mort de Thomas Sankara. Cette histoire est-elle vraisemblable? Et si oui, pourquoi apparaît-elle maintenant?

Au cas où elle serait fausse, qui est alors ce jeune rappeur? Que cherche-t-il? Pourquoi se présente-t-il comme le fils de Sankara? Est-il manipulé, et si oui par qui?…

Quand on sait que l’affaire Sankara a toujours suscité des fantasmes, cette affaire n’est pas faite pour apaiser les esprits. Quoi qu’il advienne, la famille Sankara est résolue à protéger la mémoire et l’image du père de la révolution burkinabé, quoi qu’il lui en coûte.

Christian Eboulé in slate.afrique

Thu, 05 Jul 2012 14:08:00 +0200

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