Cameroun: la défection d’athlètes, reflet du malaise de jeunes en mal d’exode

La disparition de sept athlètes camerounais du village olympique de Londres reflète le fort malaise social de jeunes, notamment de sportifs, tentés par l’exode dans un pays pauvre et politiquement verrouillé, estiment plusieurs personnalités camerounaises. C’est l’expression "d’un malaise commun. Celui d’une jeunesse qui n’a pas confiance, ne croit pas aux capacités de son pays et doute de ses chances d’avenir", analyse Mathias Eric Nguini Owona, politologue et universitaire.

Selon toute vraisemblance, les cinq boxeurs, un nageur et une footballeuse ont sans doute immigré clandestinement en Angleterre ou en Europe. Les organisateurs des Jeux ont toutefois précisé que les Camerounais étaient munis de visas en bonne et due forme jusqu’à novembre.

Au Cameroun, un tiers des 20 millions d’habitants n’a pas accès à l’eau potable et à l’électricité et une personne sur quatre vit avec moins de 1,1 euro par jour. Selon certains experts le taux de chômage des jeunes atteint 30% dans les deux principales villes Yaoundé et Douala.

Loin de leurs aspirations, de nombreux jeunes diplômés se retrouvent chauffeurs de taxis, "benskineurs" (conducteurs de motos-taxis), "callboxeurs" (propriétaires de cabines téléphoniques de rue), vendeurs à la sauvette ou comme gardiens.

Des blocages politiques et économiques

Au niveau politique, le président Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, a été réélu pour un mandat de 7 ans en 2011 au terme d’un scrutin à faible participation contesté par l’opposition.

Un responsable de l’opposition, Evariste Fopoussi, est catégorique: "Quand un jeune trouve la moindre occasion de sortir de l’enfer, il sort. Il ne se demande pas où il va. Tout le monde fuit. C’est la déliquescence. Les jeunes n’ont pas de perspectives d’avenir", affirme ce dirigeant du Social Democratic Front (SDF).

Jean de Dieu Momo, membre d’un petit parti d’opposition, blâme le chef de l’Etat "qui n’a aucune politique en faveur des jeunes. Avant, les meilleurs avaient la possibilité d’accéder à la fonction publique. Mais ce n’est plus le cas. Il faut, dans la plupart des cas, être pistonné ou payer pour obtenir une place".

Conscient du désenchantement des jeunes, M. Biya a lancé en 2011 un recrutement spécial de 25.000 jeunes dans la fonction publique. Il y a eu pas moins de 300.000 candidatures.

Des défections de sportifs relativement fréquentes

Les défections d’athlètes de pays pauvres lors d’autres compétitions existent, mais le Cameroun est coûtumier du fait, souligne Bertrand Magloire Mendouga, président de la Fédération de boxe dont sont issus cinq des sept athlètes disparus: "Il y a 16 ans, nos athlètes ont fait défection lors des jeux Olympiques. C’était le cas, il y 12, 8, 4 ans et aujourd’hui. Si rien n’est fait, dans quatre ans, on parlera de la même chose".

Le politologue M. Nguini Owona parle "d’exode de muscles" désignant "une immigration sportive liée à l’insuffisance chronique des politiques sportives. Ces sportifs estiment que rien n’est fait pour qu’ils puissent tirer leur épingle du jeu dans la société. Ils choisissent donc d’immigrer parce que dans de nombreux sports, les changements de nationalité sont très aisés".

"Cette disparition est la preuve qu’il y a un problème (…) Le sport est malade au Cameroun", reconnaît un homme politique de la majorité présidentielle Hervé Emmanuel Nkom, ex-dirigeant du club de foot du Dynamo de Douala.

Plusieurs dirigeants craignent qu’à l’avenir des athlètes camerounais ne soient privés de visas pour des stages voire des prochaines compétitions, ce qui rendrait encore plus difficile leur situation.

Le président de la fédération de boxe s’interroge: "le problème que ces garçons pose est celui de leur devenir. Ils (les boxeurs) ont tout donné au Cameroun notamment en Afrique où le pays a été célébré grâce à leurs victoires. En retour qu’est-ce qu’ils ont reçu? Qu’est-ce que le Cameroun fait pour assurer l’avenir de ses athlètes?"

AFP

Fri, 10 Aug 2012 09:07:00 +0200

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