Communauté internationale : Alassane Ouattara est-il un démocrate à légitimer ou un autocrate corrompu à reconnaître ?

En octobre 2000, Laurent Gbagbo accède au pouvoir, contre l’attente des milieux d’affaires, en battant Robert Guéi qui était alors chef de l’Etat. En France, sous le gouvernement Jospin en cohabitation avec Jacques Chirac président, le pouvoir de Bédié a été renversé le 24 décembre 1999 par des militaires. Jacques Chirac n’a jamais supporté que le dauphin d’Houphouët perde le pouvoir sans qu’il ait pu donner un coup de main pour rétablir la situation. Ce remords chiraquien va attiser des stratégies qui vont mettre le pouvoir de Laurent Gbagbo sous contrôle.

Le pouvoir socialiste de Laurent Gbagbo pendant son exercice de 23 mois, va multiplier les signaux en termes d’innovation de gouvernance en Afrique : Laurent Gbagbo fait rentrer en Côte d’Ivoire Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara qui étaient en exil – chaque observateur avisé sait comment ces exils étaient survenus auparavant – ; honneur au statut de l’opposition avec à la clé le financement des partis politiques ; paiement des indemnités d’ancien président de la République à Bédié et d’ancien premier ministre à Ouattara ; renouement de lien avec l’Union européenne qui s’était fermée à la Côte d’Ivoire pour l’affaire de détournement de 18 milliards de francs cfa, sous Henri Konan Bédié ; conception d’un « budget sécurisé » qui se passe alors de l’aide extérieure ; mise en projet de l’assurance maladie universelle ; organisation d’un forum de réconciliation nationale et beaucoup d’autres projets en attente d’exécution. Cette nouvelle façon de Laurent Gbagbo de mettre en œuvre le projet politique promis à son pays irrite et agace dans divers bords en France. Aux yeux de ceux qui ne veulent pas de transparence en Afrique, cette praxis démocratique doit être déstabilisée. En fait, il faut tout mettre en œuvre pour la perpétuation de l’ordre ancien. C’est dans cette imposture que réside la raison de la tentative de coup d’Etat le 19 septembre 2002. Jospin quitte Matignon et n’a pas remporté les élections présidentielles. Chirac – qui trouve que « la démocratie est un luxe pour l’Afrique » – a alors eu les mains libres et les coudées franches pour accomplir son forfait. Nous avons observé que l’exécutif français a refusé d’actionner les accords de défense. Michèle Alliot Marie – alors ministre des Affaires étrangères – va feinter en parlant d’une crise ivoiro-ivoirienne. Il y a ensuite eu Bouaké ; puis l’Hôtel Ivoire en novembre 2004. Mais surtout, les accords de Linas-Marcoussis ont adoubé les auteurs d’une tentative de coup d’Etat : les rebelles.

Comment la jeunesse africaine et même au-delà peut-elle faire confiance à la parole humaniste de l’ancienne puissance coloniale ?
La réalité dans la crise ivoirienne est que la France ne veut pas de Gbagbo contre l’avis de son peuple. Il fallait traumatiser le peuple et frapper Gbagbo d’ostracisme en l’isolant des siens. Comme l’épreuve du temps amène toujours les substances à la décantation, les artifices d’intoxication et les propagandes à affichage humaniste montrent aujourd’hui leurs limites. De ce qui revient, certains socialistes ont même un temps dit : « Laurent va très vite alors que beaucoup parmi nous ne l’acceptent pas encore ». Au niveau de la droite française, d’autres soutiennent que « Laurent Gbagbo est celui qu’il fallait à la Côte d’Ivoire ; mais cela ne nous arrange pas ».

Comment peut-on ainsi continuer de couvrir des violences politiques pendant des décennies ? Au-delà de toutes ces postures qui paraissent anecdotiques, la question d’un député français au ministre des affaires étrangères est une thèse qui s’affirme nonobstant le refus intéressé d’une vision conservatrice : 
« … sur les graves difficultés rencontrées par le processus de réconciliation en Côte d’Ivoire. Un récent rapport d’Amnesty international souligne l’attitude partiale et arbitraire du pouvoir ivoirien en place, alors qu’il avait pris, devant la communauté internationale, l’engagement solennel de faire toute la lumière sur les exactions commises dans les deux camps en présence, au moment de la crise postélectorale en 2010-2011 qui avait fait près de 3 000 victimes. Cette ONG a établi que les violations des droits humains perpétrées par les forces armées à l’encontre des soutiens de l’ancien président Laurent Gbagbo se sont généralisées depuis deux ans. Secondée par une milice armée composée de chasseurs traditionnels, la nouvelle armée nationale, qui était censée « être un puissant instrument de cohésion nationale », jouit d’une impunité quasi-totale, se rendant coupable d’exécutions extrajudiciaires, d’assassinats, d’arrestations abusives, de détentions illégales et d’actes de torture. En juillet 2012, cette milice a attaqué, à Nahibly, un camp de personnes déplacées, principalement issues de l’ethnie guérée, qui est généralement considérée comme partisane de Laurent Gbagbo, et elle a au moins massacré 14 Ivoiriens. Seuls les partisans et proches de Laurent Gbagbo sont persécutés, violentés et incarcérés, en raison de leurs affiliations ou de leur appartenance ethnique. Le rapport d’Amnesty international précise que certains sont détenus dans des conditions très pénibles, soumis à des traitements inhumains et dégradants, privés de tout contact avec leur famille et leurs avocats. Les procédures judiciaires sont entachées de maintes irrégularités : les audiences ne se déroulent presque jamais de manière équitable et les droits de la défense sont systématiquement bafoués. Dans ce contexte, il souhaite qu’il lui fournisse des renseignements concrets sur la situation en Côte d’Ivoire des droits humains dont le respect attentif constitue la base d’un véritable processus de réconciliation dans ce grand pays.

En réponse à une telle question sans équivoque – publiée au Journal officiel ; question N° 25008 –, le ministre des Affaires étrangères réputé pour sa logique d’interventionnisme surtout en Afrique botte en touche mais ne peut nier une évidence. Il déclarera alors dans sa réponse que «  … néanmoins, la situation des droits de l’homme reste source de préoccupation … La lutte contre l’impunité est un enjeu fondamental de la réconciliation et la refondation de la Côte d’Ivoire … » Ainsi donc, dans la haute sphère de la politique française, il est établi que Ouattara ne respecte pas les droits de l’homme.

Le musèlement de la presse et de l’opposition

Après l’enlèvement et l’assassinat du journaliste Désiré Oué, Dieusmonde Tadé, journaliste au quotidien Le Nouveau Réveil et président de la Section ivoirienne des médias pour la paix (SIMP), a été enlevé dans la nuit du 18 au 19 novembre 2013 ;
Les opposants sont interdits de voyager. Le 25 novembre 2013, le Secrétaire général du Front populaire, parti de Laurent Gbagbo a été refoulé par la police alors qu’il devait embarquer pour Paris, muni d’un visa dûment délivré par l’ambassade de France en Côte d’Ivoire.
Le vendredi 14 février 2014, Michel Gbagbo, fils du père, en partance pour Paris aux fins de répondre à une nouvelle convocation de la juge d’instruction du Tribunal de grande instance de Paris, Sabine Kheris, a été arrêté à l’aéroport, après qu’il a été empêché une première fois le 30 Octobre dernier. Il est actuellement tenu au secret.

La manipulation à contribution pour enfoncer Laurent Gbagbo

Des proches de Laurent Gbagbo ont été accablés par la suspicion jetée sur eux relativement à la disparition de Guy-André Kieffer. On disait même que le pouvoir de Laurent Gbagbo faisait obstruction à la manifestation de la vérité. Il convient aujourd’hui de s’interroger sur l’activisme d’antan de madame Osange Silou-Kieffer. Cette épouse de Guy-André Kieffer (GAK), et Reporters sans frontières se sont rendus à Abidjan du 13 au 17 avril 2012 pour marquer le huitième anniversaire de l’enlèvement du journaliste franco-canadien, survenu le 16 avril 2004, dans la capitale économique ivoirienne : « Je pars à Abidjan pour m’entretenir avec les nouvelles autorités politiques et judiciaires ivoiriennes. Il s’agit aussi pour moi de manifester ma solidarité avec le peuple ivoirien qui a beaucoup souffert des déchirements de ces dernières années », a déclaré Osange Silou-Kieffer, qui revient pour la première fois en Côte d’Ivoire depuis 2004. [http://fr.rsf.org/cote-d-ivoire-osange-silou-kieffer-et-reporters-12-04-2012,42302.html]. Où est aujourd’hui passée Osange Silou-Kieffer ?
Il faut dire que la mobilisation de la communauté internationale pour destituer Laurent Gbagbo est remarquable à la lecture des éléments déclinés sur le lien : http://fr.wikisource.org/wiki/Rapport_de_la_Commission_d%E2%80%99enqu%C3%AAte_internationale_sur_les_all%C3%A9gations_de_violations_des_droits_de_l%E2%80%99homme_en_C%C3%B4te_d%E2%80%99Ivoire
Au lieu de négocier un partenariat vivable et viable, l’Occident « s’ingénie » à pérenniser coûte que coûte une domination conçue sous le prisme défini par la seule ancienne puissance coloniale
En votant pour François Hollande, la Diaspora africaine espérait un changement au moins au niveau moral de « la politique africaine de la France ou de la politique française en Afrique ». Cette considération peut-être un peu naïve mais tout de même méthodique et la perception globalement angélique de la politique française se heurtent à un réalisme patent au point de susciter un réveil brutal d’une désillusion.
Il a fallu une vingtaine d’années pour que le FMI et les autres institutions financières internationales se rendent compte que les programmes d’ajustement structurel n’étaient pas une bonne mesure. Après cette période qui a enfoncé l’Afrique, on est passé à une autre logique de retardement. Il s’agit de l’installation de rébellions. Nous remarquerons que partout où les guerres sont installées, la recette de sortie de crise est le DDR (désarmement, démobilisation et réinsertion) pour la construction d’une armée nationale. Très souvent, les milices et groupes armés comptant nombre d’analphabètes sont intégrés dans des armées nationales. Ce sont ces épines que l’on retrouve dans les pieds des gouvernements qu’on arrive « à sauver » comme au Congo, au Mali, et peut-être en Centrafrique bientôt … !!
Pour partager la croissance qu’il y aurait en Afrique, l’Occident devrait penser de concert avec les pays africains un nouveau paradigme. Mais la voie choisie reste l’intimidation des élites qui lui oppose de regarder les choses en face.
Entre certains Occidentaux qui connaissent vraiment l’Afrique et qui font conséquemment des constats justes et d’autres qui prétendent connaître ce continent sans qu’il en soit véritablement ainsi mais qui mettent des rapports à disposition pour que la règle de l’exploitation de l’Afrique soit l’interventionnisme éhonté, les Africains doivent trouver leur voie.
Des peuples qui vivaient hier en bonne intelligence en Côte d’Ivoire, au Mali, en Centrafrique se voient brutalement aujourd’hui en chrétiens ou en musulmans et devraient s’affronter pour cette raison. L’Occident devrait au mieux comprendre que sa posture qui infantilise les Africains ne pourra pas éternellement abuser de l’opinion publique.
Des indicateurs macro-économiques sont vantés pour masquer les réalités socio-politiques criantes en Côte d’Ivoire. La gouvernance de Ouattara, avec une assemblée nationale et des institutions territoriales monocolores est-elle démocratique ? Les marchés de gré à gré qui sont passés scandaleusement avec toute la file de corruption que cela engendre sont-ils un critère démocratique ? Les interpellations et arrestations extra-judiciaires, les enlèvements et les emprisonnements sans procès que les ONG appellent à juste titre une justice des vainqueurs sont-ils des indicateurs démocratiques ?
Le fils de l’ancien président ivoirien vient pour la deuxième fois d’être empêché de se rendre à la convocation d’un juge en France. Et nous assistons à un mutisme partagé par l’ensemble de la classe politique française. Pourquoi tout ce qui constitue, à une moindre échelle en Occident un scandale devrait être admise comme une norme qui doit s’imposer en Afrique ? La thèse qui soutient que la France et autres puissances interviennent pour le bien des populations en Afrique ne résistent plus à l’épreuve des faits. Il s’agit là d’un simple procédé obscurantiste qui voudrait entretenir un ferment de l’omerta.
A la lumière de tout ce qui précède, on peut retenir que les guerres sont exportées en Afrique pour que pendant que les populations cherchent à survivre, les richesses soient exploitées par les grandes puissances. Aussi, constatons-nous amèrement que ceux qui perpètrent la violence politique sont adoubés et même choyés. La communauté internationale a eu le temps pendant bientôt trois ans de mesurer que celui qu’il a imposé aux Ivoiriens, en l’occurrence Alassane Ouattara n’est pas un démocrate. Ouattara est hostile à la manifestation plurielle de la politique. La communauté internationale doit donc aujourd’hui prendre acte et aviser que Ouattara est un dictateur corrompu.
Le pouvoir actuel ne veut pas de la réconciliation pendant que la Côte d’Ivoire, grand pays de la sous-région ouest-africaine mérite d’être une République démocratique et responsable. Ce qui ferait gagner tout le monde : ses populations ; ceux qui aspirent à y vivre dans la quiétude et les pays qui s’engageraient avec elle dans un cadre de rapport gagnant-gagnant. Ceux qui ont endeuillé de nombreuses familles en falsifiant la vérité et l’histoire ne méritent pas de rester au pouvoir.

Dr Claude KOUDOU, Enseignant-Ecrivain ; Directeur de la Collection « Afrique Liberté » chez les Editions L’Harmattan ; Président des Convergences pour la Paix et le Développement de l’Afrique ; Membre de la Coordination des intellectuels africains et des Diasporas africaines.

Mon, 17 Feb 2014 13:43:00 +0100

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